Les Trois Saisons
Healyn Miller
AUTOMNE
Cher Nicolas,
J'ai essayé de composer, j'ai essayé de jouer. J'ai essayé d'oublier, de faire comme si rien n'allait se passer. J'ai été heureuse. Les gens n'ont cessé de me dire de ne pas accorder d'importance au passé, de tourner la page et de laisser l'encre couler ; mais je n'y arrive pas. Je ne peux pas. En oubliant ma douleur, c'est toi que j'oublierais et je ne peux pas résigner à abandonner mes sentiments à ton égard. Nicolas, je t'ai aimé peut-être un peu trop, mais tu sais bien que trop aimer nous sert uniquement à avancer.
Quand le vent cesse de souffler, doit - on dire que la vie cesse alors d'exister ? Dehors, tout te semblait déjà si hostile après des mois sous la tourmente des touristes. Les rires des enfants s'amusant avec l'eau tombée la nuit précédente t'étaient parvenus comme une douce mélodie. Leurs pas qui dévalaient la petite pente pour rejoindre un amas de feuilles mortes susceptible de les projeter les uns sur les autres. Bien que fraîche, la douceur de l'air avait rempli la pièce. Sur son fauteuil, Sushi t'observait. Tu étais penchée sur ton piano que tu n'avais pas touché depuis des jours. Pourtant, le mauvais temps était source d'inspiration pour ta musique. Ton regard s'était posé sur les photos accrochées au-dessus de ton instrument. Les souvenirs que tu n'avais jamais évoqués. Tu n'avais pas fait attention à la petite tête qui s'était hissée à ta fenêtre : une petite fille au doux visage qui voulait entendre la pianiste faire résonner la vie avec ses doigts, mais elle avait assisté à une toute autre scène qui l'avait alors attristé. Pourquoi pleurais - tu ? Pourquoi laissais - tu couler les larmes sans prendre la peine de les essuyer comme si tu voulais que le monde voie ta tristesse ? Tu avais laissé ton chat miauler sans y prêter aucune attention. Tu avais refermé ton piano et tu t'étais rendue dans ta chambre où tu avais ouvert une valise. Sur une étagère, tu avais déposé les trophées des concours auxquels tu avais participé et que tu avais gagnés. Des photos donc, des souvenirs. Encore. Septembre se terminait inexorablement laissant une place à octobre qui devait se charger de créer une nouvelle saison. Il fallait recommencer et tandis que tu semblais n'avoir rien composé depuis des mois - autant dire tout une vie, dehors, la pluie reprenait de plus belle. Tu avais délicatement pris un de ces biscuits ronds fourrés au chocolat que l'une de tes amies t'avaient ramenés lors d'un de ses voyages en Europe. Ce qui était bien avec ce genre de cochonneries, c'est que si le paquet n'était pas ouvert, le biscuit restait intact bien qu'il ne pouvait difficilement supporter le voyage. L'aéroport avec ses petits restaurants, ses petits magasins, la nostalgie des voyageurs quand ils arrivent enfin sur la terre ferme. Ce n'était pas ce détail, mais un tout autre qui résonnait en toi comme une mélodie, cette mélodie que tu voulais tellement finir. Tu entendais le bruit des pas, les voix qui s'élevaient et qui résonnaient. Les enfants qui pleuraient, car ils prenaient conscience qu'ils ne deviendraient jamais pilotes. Puis, il y avait ce rassemblement de filles et de garçons qui attendaient devant l'une des portes principales. Ils ricanaient, levaient leur mobile à l'affût d'un cliché qui immortaliserait sûrement leur rencontre avec une célébrité. Tu t'étais redressée légèrement, qui cela pouvait - il être ? Un agent de la sécurité était passé devant toi discutant avec l'un de ses collègues. Tu l'avais alors interpellé.« Excusez-moi de vous déranger durant votre ronde, Monsieur l'Agent. Pourquoi ce rassemblement ? - Oh, je vois que vous êtes curieuse. Nous attendons l'arrivé d'un artiste étranger. » Tu t'étais demandée quelle était la différence entre une personne qui ne vit que dans l'ombre et celle qui est éclairée sans cesse par une lumière qui, au fond, peut détruire une vie. L'agent avait remarqué ta fatigue et t'avait aidé à porter tes valises. Tu avais fermé les yeux pour entendre le chant des oiseaux que tu avais réussi à dissocier du bruit des voyageurs. Tu avais eu cette impression que tout était au ralenti. Les pas de ceux qui couraient pour rejoindre leurs amis qui revenaient d'un long voyage. Ceux qui partaient et ne pensaient pas revenir. Ces enfants courant après je ne sais quoi, riant de tout leur cœur. Et puis, il y avait la pluie qui tombait doucement, nettoyant la terre. Les notes résonnaient au plus profond de toi et sans le vouloir, tu avais pleuré. Ce jour - là, quand l'Agent t'avait demandé où est-ce que tu partais, tu avais seulement répondu : « Je pars retrouver mon inspiration. »
~
Tu avais quitté ton pays sous la pluie pour en retrouver un autre bien que l'atmosphère fût différent. Tu avais appris que l'artiste qui avait été tant entendu n'était qu'un acteur quelconque sans grande valeur, n'inspirant rien d'autre que le narcissisme et la gloire. Comment pouvait - on admirer une personne sans fond te demandais - tu parfois. Tu avais attendu un taxi, mais la pluie t'empêchait de voir clairement. La fatigue était omniprésente, elle t'accompagnait partout où tu allais. Tes doigts tapaient sur des touches invisibles. Les notes te venaient, enfin. La mélodie devenait claire et précise, mais pas assez pour que tu la couches sur du papier. Tu quittas l'aéroport qui n'était qu'un point de vas et viens sans chaleur. Tous se bousculent comme une foule s'écrasant les uns contre les autres espérant apercevoir quelqu'un, on pouvait voir dans leur regard une part d'espoir désespéré, une part d'espoir fougueux. Et ces détails ne t'échappaient point. Tu étais passée devant moi sans vraiment t'en rendre compte. Ce jour-là, je n'avais pas fait attention aux taxis, ni même aux personnes, je n'avais pas regardé le conducteur ni même la passagère. Tu étais hantée par tes notes, mais tu n'avais rien pour écrire. Tu cherchais quelque chose dans ton sac, sûrement de quoi mettre les premières gammes, mais tu sentais seulement que tes doigts perdaient leur sensibilité. Au volant, le conducteur t'avait demandé l'adresse et tu lui avais demandé qu'il t'amène à l'hôpital le plus proche. Tu avais besoin de repos.« J'ai toujours rêvé de voir Londres sous la neige... » Le chauffeur t'avait souri. Il avait des souvenirs qui lui venaient. Ses enfants s'amusant à se jeter de cette poudre si blanche et si pure.
Je n'aurais jamais pensé qu'un sentiment aussi fort naisse en moi à ton égard, comme jamais je n'aurais cru te rencontrer un jour.
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Tu avais attendu une bonne partie de la journée dans les couloirs de l'hôpital. Ton regard s'était posé sur tes genoux abîmés par les marquages de l'enfance et de ses gamelles. Tes longs doigts étaient abîmés par le froid de ce mois de décembre. Trois mois que tu étais arrivée, mais cela te semblait si long et éprouvant. Tu n'avais réussi à continuer ta mélodie et le temps s'écoulait. Un infirmier était passé devant toi, s'était arrêté. À la main, il avait quelques papiers qu'il te tendit avec un sourire. « April ? Voici les résultats. Vous pouvez maintenant rentrer chez vous. »Tu avais alors quitté l'hôpital laissant tes pieds te guidaient vers les ruelles désertes. La pluie s'infiltrait dans tes vêtements et tu sentais ce froid sur ta peau, cette eau coulait contre ton épiderme. Sur ton visage, tu ne savais pas si c'était les larmes où la pluie qui longeaient tes joues creuses. Tu avais porté ton regard sur le ciel gris qui n'avait pas une seule once de coin bleu. Encore et encore, jour après jour. À ne plus s'en finir, jusqu'à ce que le monde s'éteigne et que des personnes arrivent encore à se relever pour vivre, car elles ont l'espoir de se voir un jour construire une existence meilleure au sein de tous. Tu étais tombée à genoux renversant le contenu de ton sac, éparpillant les feuilles de composition vierge et les documents du médecin. Un sanglot était sorti de tes lèvres, une plainte que tu pouvais retranscrire sur une portée. Tu avais fermé les yeux et essayais de trouver ces notes manquantes. Ta gorge était si sèche, ta tête te faisait si mal et tes larmes te brûlaient désormais ton visage pâle. Tu voulais te relever, mais n'en avais plus la force. Je n'étais qu'à quelques mètres de toi, à l'intérieur de l'un de ces restaurants chaleureux où on vient entre amis intimes. Ma tête était embrumée par l'alcool. Les langues commençaient à se dénouer et je n'avais pas besoin de ça. J'étais donc sorti restant à l'abri devant l'enseigne. J'avais glissé entre mes doigts une clope que j'avais allumée sans grand intérêt dans un automatisme déstabilisant. J'avais arrangé ma veste sur mes épaules remontant le col afin de ne pas attraper froid.Le ciel était d'un gris tirant vers le noir et la pluie ne cessait de tomber depuis des jours. Parfois, le ciel bleu reprenait sa place dans mon quotidien, mais ce n'était jamais de longue durée. J'observais les passants qui couraient sous la pluie. Je trouvais cela d'une grande idiotie de sortir alors que le temps pouvait nous permettre de rester chez nous. Les gens se croisaient et ne faisaient pas attention à eux, ils se bousculaient, s'excusaient dans un ton informel et se quittaient. Peut-être que le soir même, ils oubliaient qu'ils avaient croisé la route d'une autre personne. Je les regardais, ces monstres, ces êtres qui ne vivent parce que c'est l'unique chose qu'on leur a donnée à faire. Vivre. J'avais tiré sur ma clope. Un frisson m'avait alors parcouru l'échine, je n'aimais pas ça. Je reniflais un peu, le froid me prenait la gorge. J'avais à nouveau regardé les passants et c'est là que je t'avais vu pour la première fois. Tu étais à genoux, essayant de ramasser tes affaires. D'où j'étais, et ce, malgré la pluie, je pouvais discerner tes sanglots. Ton visage était tout aussi pâle que la neige bien que tes pommettes étaient d'une teinte de fleurs de cerisier. Tes longs cheveux descendaient jusqu'à la courbe de tes reins. Je t'avais regardé un instant ; la pluie qui te donnait comme des claques en plein visage. La scène aurait pu être belle, mais j'y avais découvert une sorte de violence. J'avais alors jeté mon mégot au sol et couru vers toi sans prêter attention à la pluie qui pouvait toucher mon si joli visage, ma belle peau blanche comme le lait, ainsi que mes cheveux d'ébène que j'avais soignés avant de venir à ce restaurant. Tu avais relevé ton regard rougi par les larmes, mais je m'étais attardé sur le ramassage de tes affaires qu'on mit maladroitement dans ton sac. Puis, sans réfléchir, je t'avais pris la main, t'aidant à te relever et t'avais entraîné vers une des voitures garées non loin de là.
Il y avait en ton corps, sur ton visage, dans la moindre ombre de tes pupilles sombres cette chose qui fait que l'on tombe amoureux.
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Je n'avais réussi à te réveiller et ne connaissant pas le lieu où tu vivais, je t'avais amené chez moi où je vivais avec une bande d'idiots qui furent contre ma décision. Je t'avais installé dans mon lit, dans la chambre que je partageais alors avec d'autres. Nous dûmes y changer la disposition afin que tu puisses avoir de l'intimité. Mais tu ne te réveillas pas avant trois jours durant lesquels je passais régulièrement dans la chambre pour m'assurer que tu ailles bien. Tu avais ouvert les yeux avec cette impression d'avoir couru sans arrêter pendant des heures. La mélodie était plus distincte dans ta tête tout comme dans ton coeur. La pièce était claire, encombrée d'affaires diverses comme si nous étions une vingtaine à y vivre. Le froid avait été remplacé par du chaud et à tes pieds, une boule de poils dormait profondément. Tu avais murmuré Sushi, mais le chat n'avait répondu. Sushi était resté dans ton pays, tu l'avais laissé chez une amie. Tu sentais une lourdeur au niveau de tes paupières et tu en avais déduit que tu avais beaucoup dormi. Ton regard s'était posé sur tes habits qui étaient accrochés à un étendage sauvage au milieu de la pièce prenant alors conscience que tu étais accoutrée d'un pyjama rose qui ne t'allait que trop grand. Tu savais que tu ne te trouvais pas à l'hôpital. La boule de poils s'était étirée à tes pieds te regardant de ses yeux persans. Il était venu à ton visage, s'était frotté contre toi puis, était retourné à tes pieds. Tu avais contemplé le plafond comme si c'était la première fois que tu en voyais un. J'étais rentré à ce moment te faisant sursauter. Je m'étais excusé. Tu m'avais regardé m'avancer sans une once de peur dans ton regard. J'avais ce pas assuré que tu appréciais tant, sans aucune gène dans mes gestes. J'avais posé ma main sur ton front tout en m'asseyant à tes côtés. Je savais que mon comportement te rassurait, dans un sens. Je portais des habits noirs qui faisaient ressortir mon teint laiteux. J'avais plongé mon regard dans le tien durant un instant et j'avais senti une connexion comme celle qu'on peut voir entre deux protagonistes dans les films romantiques. Tu voulais sourire, mais tu préférais entendre ce que j'avais à te dire. Tes lèvres s'étaient fendues en une sorte d'esquisse. Ce léger sourire que j'appréciais temps. Celui qui signifiait tellement de chose. Le silence qui nous entourait était unique, simple et pourtant, tu y trouvais des mélodies. Elles étaient précieuses tout autant que précises et sublimes. A mes côtés, plus rien ne te semblait flou. « Vous dormez depuis trois jours. Je n'ai pas osé vous réveiller. Vous devez avoir faim...» Tu m'avais regardé comme si j'étais la plus belle chose au monde. Tu avais des étoiles dans les yeux comme si tu allais pleurer. Je ne savais jamais comment réagir quand tu étais ainsi. Parce que tu sais, j'ai besoin de ton souffle pour vivre. J'ai besoin de te voir pour survivre. Je t'ai dit que j'avais appris à être heureuse, et c'est en te voyant que j'arrive encore à me sentir joyeuse. Je m'étais relevé caressant le chat qui leva seulement la tête et qui s'était mis à ronronner sous mon attention puis, je m'étais retourné vers toi qui t'étais redressée contre le mur.« Je suis Nicolas. »
HIVER
Tu ne m'avais plus jamais quitté. Jamais je n'aurais pensé ressentir autant d'émotions pour une seule personne. Tu n'essayais pas de me changer, tu acceptais ma façon d'être. Tu ne me jugeais pas. Tu passais juste tes journées à l'appartement pendant que je continuais mes activités. Mes amis ne s'étaient pas opposés à ta présence bien qu'ils fussent dans un premier temps mal à l'aise par cette compagnie féminine. Nous t'avions aménagé une chambre rien que pour toi, mais tu n'y restais pas souvent. La nuit, en faisant bien attention à ne pas réveiller les autres, tu te faufilais jusqu'à ma chambre où tu venais te loger contre moi écoutant ma respiration nocturne. Pourtant, tu savais à quel point je n'aimais pas que l'on me réveille, et bien que parfois, j'ouvrais les yeux sentant tes pieds nus contre les miens, je te laissais dormir près de moi. Et nous passâmes des heures l'un contre l'autre, bougeant l'un contre l'autre. Parfois, ta jambe venait s'écraser contre mon ventre tandis que tu avais ta tête reposée sur mon bras. D'autres fois, quand tu me tournais le dos, je me collais à toi te prenant dans mes bras comme si je voulais t'empêcher de partir. Mes amis ne s'étaient pas opposés à ta présence bien qu'ils fussent dans un premier temps mal à l'aise par cette compagnie féminine. Nous étions trop proches alors que nous ne connaissions pas. En effet, je ne savais rien sur toi, mais cela ne m'inquiétait pas. Quand nous nous retrouvions seuls alors, tu venais te mettre entre mes jambes collant ton dos à mon torse et tandis que je lisais un roman quelconque, je te voyais remplir tes partitions vierges qui commençaient à vomir des notes, des mesures, des portées qui possédaient ta douceur, ta peine.Je t'appelais simplement April. Je ne voulais rien savoir de plus. Au fond, je m'en fichais, mais espérais ne pas te blesser. Et naturellement, tu m'appelais Nicolas. Quelques fois, on me demandait pourquoi pas mon chéri ou ce genre de conneries, mais parce que tu n'étais pas comme toutes ces filles, tu étais simple. Tu étais... April. Je ne comprenais pas pourquoi je m'étais autant attaché à toi, tout ce que je savais, c'est que j'étais véritablement moi en ta présence, que je n'avais pas à faire toutes ces idioties pour te plaire.
« Depuis plus d'un mois, je m'accroche à toi comme un animal affamé, comme une bactérie venue déchiqueter ton organisme. Est - ce mal d'être ainsi envers quelqu'un ?
- Non, avais-je répondu. Si ma présence est ton souffle pour vivre, alors ne pars pas. »
Nous n'avions besoin de conversation pour nous comprendre. Tu appris courant janvier que je faisais partie de ces artistes qui étaient désirés par de nombreuses filles - que nous ne connaissions pas forcément. J'étais très populaire et aimé bien que tout autant haï. Mais tu ne changeas pas en ma présence. Tu restas toujours aussi calme et toujours aussi douce dans ta manière d'exister. Tu restas discrète envers les autres leur parlant que très rarement. L'envie de sortir te venait, mais je sentais que tu n'étais pas prête. Tu regardais par la fenêtre la neige tomber et s'entasser dans les ruelles. Je t'observais sans que tu ne t'en rendes compte. Parfois, quand je m'absentais pendant quelques jours, tu restais sur tes partitions et tu écrivais. Encore et encore.
J'ai rêvé de ce jour où j'arriverais à faire un pas vers toi, à te prendre la main pour te dire de ne pas partir, de ne pas me laisser.J'aurais tant aimé pouvoir effleurer ta peau pour te dire que tu es l'inspiration, que tu es celui qui m'a rendu visible.
Tu ne visais plus que dans l'attente de quelque chose que je n'avais point. Je ne faisais plus qu'acte de présence. Parfois, quand je revenais, tu étais absorbée par quelque chose, dehors et tu ne faisais pas attention à moi. Gabriel - l'un de mes amis - me fit remarquer que tu avais maigri. Tes habits ne t'allaient plus, on aurait dit que tu te cachais en dessous du tissu et non plus que tu les portais. Pourtant, tu mangeais.
Gabriel s'attachait à ce détail te forçant parfois à manger ce qu'il préparait. Puis, un jour, tu cessas de venir nous rejoindre à table et tu restas dans ta chambre. La nuit, tu ne venais plus me rejoindre alors, je quittais ma chambre sans faire de bruit et j'allais te rejoindre. Tu m'accueillais avec parfois des larmes et tu t'excusais, mais je n'arrivais pas à t'en vouloir. Je passais ma main sur ton visage pour essayer ces perles d'eau que je ne tenais pas à voir. Et tu t'endormais, écoutant la mélodie de mon cœur. Tu attachais tellement d'importance à mon bien-être que cela me déstabilisait. Gabriel me disait souvent que tu étais sûrement mon ange gardien et que tu étais là dans un but précis. Quand je regardais alors tes partitions, je compris que tu avais besoin d'un instrument pour pouvoir les jouer.
Je ne veux pas que ça te hante de savoir que tu es la raison qui se cache derrière toutes mes notes, toutes mes pensées, toute mon histoire.
Un matin, je t'avais amené chez un ami qui possédait un Yamaha à queue. Je me souvins encore de ton regard quand tu l'avais vu. Tu en avais les larmes aux yeux. Je t'avais retrouvé, dans un sens. Tes doigts s'étaient posés automatiquement sur les premières notes de ta composition et tu avais commencé à faire vivre ta mélodie, doucement, avec quelques difficultés. Mais qu'est - ce que j'avais trouvé cela magnifique.
~
Nous reprîmes un quotidien normal depuis ce jour. L'un contre l'autre, tu repris tes visites nocturnes au grand désespoir de certaines personnes. Mes absences étaient plus longues, plus irrégulières. J'arrivais pour repartir sans même avoir le temps de te saluer. Après une période de bonheur dans laquelle tu commenças même à parler aux autres, tu te renfermas dans ton monde ne quittant plus ta chambre. Ton comportement m'échappait et quand je voulais t'en faire part, tu me disais seulement de ne pas m'inquiéter. Que tout irait bien. Fin février, je ne te voyais plus composer. Tu avais mis tes feuilles dans une pochette que tu n'ouvrais pas, que tu laissais sur ta table de chevet comme si tu attendais le bon moment pour l'ouvrir. L'hiver continuait sa course folle, mais il ne neigeait plus. « J'ai vu Londres sous la neige et c'était la chose la plus sublime au monde... » Quand tu avais prononcé ces mots, j'avais relevé mes yeux de mon bouquin. Tu étais à la fenêtre de ma chambre, droite, vêtue d'une fine robe blanche. À travers, on pouvait y deviner ta maigreur. Je m'étais alors levé, pris une couverture et t'avais engouffré dedans tout en te gardant près de moi. Tu t'étais mis à pleurer, j'avais senti tes larmes couler sur mon épaule. Cette sensation m'avait fait mal au cœur et j'avais alors pleuré avec toi. Je pleurais avec une étrangère qui, pourtant, était tout pour moi. Le temps passait, il ne faisait que passer. Quelque chose en toi s'était cassé et je n'en connaissais pas les raisons. Tu me cachais beaucoup de choses. Pourquoi accordais-tu autant d'importance à cette mélodie que tu composais ? « Hé! Pourquoi manges - tu uniquement le chocolat de ces gâteaux ? Tu en fais quoi du reste ?
- Le biscuit est trop sec. J'aime le chocolat. » Hier matin, j'ai retrouvé la boîte dans laquelle tu avais entassé tous les biscuits. Il n'y avait plus de chocolat. Je l'ai pris et essayais d'en manger un, mais je n'ai pas réussi. Tu avais raison, le chocolat est bien meilleur.
PRINTEMPS
Début mars, Gabriel m'avait prit à part des autres pour me demander comment je te trouvais, s'il y avait quelque chose entre nous. Je ne sus répondre. Au final, je n'étais pas quelqu'un qu'on connaissait être précis dans ses sentiments. Émotionnellement, j'étais juste instable. Pour moi, l'amour n'était qu'un cœur qui se déchirait, laissant les larmes le soigner, laissant échapper les sentiments qu'il pouvait contenir, s'en allant sûrement au rythme de la douleur qui saignait. On me voyait comme un Casanova, un tombeur qui aime collectionner les filles. Pourtant, depuis ma rencontre avec toi, j'avais cessé ce genre d'activités qui me mettait maintenant mal à l'aise. Quand je regardais une fille, j'avais cette désagréable sensation de te trahir. Émotionnellement, j'étais juste instable.Il me raconta qu'une fois, il était arrivé dans l'après-midi à l'appartement et il t'avait vu pleurer. Alors, vous aviez parlé de tout et de rien, les mots t'aidaient venu facilement en sa présence, car c'est ce qui se passait souvent. Je sentis une certaine jalousie à son égard quand il me détailla la conversation. J'appris alors que tu n'avais que 22 ans, que tu venais de faire 5 ans au conservatoire que tu avais dû arrêter pour des problèmes d'argent. Que tes parents étaient décédés l'année précédente et que depuis, tu cherchais l'inspiration pour ta mélodie inachevée. Une mélodie, qu'est - ce au final ? « Vous n'avez que 5 ans d'écart, ce n'est pas énorme. Et puis...Je trouve que vous irez bien ensemble. » Je fus troublé. Et comme dans les films, quand Gabriel me dit cela, tu apparus dans mon champ de vision. Tu portais cette petite robe bleu pastel que je t'avais offerte et qui faisait ressortir ton teint pâle, ta chevelure cuivrée et tes yeux noisette. Tu étais juste sublime. Il m'avait fallu qu'une seule petite journée pour me rendre compte à quel point je t'appréciais et à quel point je voulais apprendre à te connaître. J'avais vécu de nombreuses rencontres - femmes, hommes - et pourtant, tu paraissais comme la seule et unique. Tous ces instants que nous avons passés ensemble résonnaient en moi à chaque fois que je te regardais. Je ne voulais pas risquer de te perdre, je voulais continuer à te parler chaque jour et apprendre à te connaître dans toute ta splendeur. Tu étais mon être ange.
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Parfois, je te regardais longuement sans manifester ma présence, mais je crois que j'en revenais souvent à cette évidence : j'étais amoureux de toi. Tu m'avais appris à aimer comme je t'avais appris à vivre.Et dès que j'avais un moment de libre, je venais dans ta chambre où je m'étalais sur ton lit. Tu venais me rejoindre, te mettant contre moi et nous reprenions cette position où tu te mettais entre mes jambes, collant ton dos à mon torse et tandis que je lisais, tu t'endormais. Tes cheveux venaient me caresser le bas de mon menton. Tes doigts enlaçaient les miens. Personne ne venait nous déranger.
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Et puis, un matin d'avril, tu paraissais tellement fatiguée que cela avait préoccupé tous mes amis avec qui nous vivions. Pourtant, tu ne voulais qu'une seule chose, c'est de voir le coucher du soleil avec moi. Tu avais même choisi le lieu et je prenais ce détail comme un rencard amoureux. J'étais parti toute la journée pour le travail tandis que tu avais passé ta journée à l'appartement. Tu n'étais pas seule, tu étais avec Gabriel qui fut le seul à te comprendre véritablement. Après moi. Il paraissait tellement en savoir plus sur toi, des choses dont il me fit part quelques temps après.Tu avais vêtu une petite robe au bustier blanc, mais dont la jupe s'étalait en trois couleurs comme un arc - en - ciel. Elle montrait le dessus de tes genoux. Pour ne pas que tu attrapes froid, tu avais enfilé un gilet en laine qui était tout aussi magnifique que la robe. Plus je te regardais, plus mon coeur s'emballait. Nous quittâmes l'appartement après avoir eu une longue étreinte avec Gabriel. Ce dernier n'osa me regarder dans les yeux et tandis que tu venais vers moi avec un large sourire, je l'avais vu s'essuyer les yeux. Je voulais te demander : « Quelque chose ne va pas ? » Mais ton sourire m'empêcha de poser une quelconque question, je ne voulais pas gâcher notre moment. Nous arrivâmes à la plage à l'avance. Le soleil était sur le point de dormir. J'avais sortis une couverture que nous avions étalée sur le sol. Je m'étais assis et tu t'étais naturellement mis entre mes jambes, coller contre moi. Pour une fois, j'humais tes cheveux, caressais tes bras. Je t'avais pris contre moi pour te bercer. Tu m'avais demandé de chanter quelques ballades et je m'étais exécuté. Je voulais à nouveau voir ton sourire. Je me sentais alors heureux, tiré par les sentiments d'un amour que je ne comptais pas lâcher. Et tandis que nos regards se posaient sur le soleil, j'entendais ton coeur battre contre le mien. Lentement, en une mélodie si apaisante que cela me déstabilisa. Tu soupiras, non pas d'ennui, mais de tout autre chose que je n'avais pas compris. Quelque chose qui m'avait échappé.
« Nicolas...crois - tu en l'amour ? Le vrai. Celui qui nous empêche de sombrer dans les supplices de la destruction de soi. Celui qui nous fait perdre la tête.
- L'amour...je crois en l'amour. Je crois en celui qui nous fait avancer. »
Tu avais penché la tête en arrière de sorte à ce que tu puisses regarder dans mes yeux puis, tu t'étais redressée et m'avais fait face. Tu avais encore ces étoiles dans tes yeux, et ce sourire au coin des lèvres. Tu disais que le mien n'était qu'une esquisse, mais je pouvais définir le tien comme une œuvre d'art.
« Nicolas...peut - être que certains moments de nos vies sont mémorables ou au contraire éphémères. Peut - être aussi qu'ils persisteront dans nos mémoires parce qu'ils en valent la peine et qu'on a besoin de ces souvenances pour continuer à aller de l'avant. En fait...Je ne sais pas. On ne se rend pas forcément compte des événements marquants de nos vies, mais je sais une chose...Depuis le premier jour où je t'ai rencontré, je me suis rendu compte à quel point la vie était belle de m'avoir fait te rencontrer. »
Tu m'avais fait l'un de tes plus beaux sourires. Tes mots me calmèrent comme si au fond de moi, quelque chose qui me hantait depuis des années, comme si un feu qui me consumait s'était éteint. J'étais comme en paix avec moi - même. Et alors, tu avais posé tes lèvres sur les miennes dans un doux baiser, presque une caresse. Je n'avais pas cherché à l'approfondir. Tu m'avais souri, à nouveau et nous avions regardé le soleil mourir derrière l'étendue bleue. C'était un instant magique. Je savais qu'au fond de toi, tu avais cette mélodie qui te hantait, qui tournait en rond. Je la sens maintenant au fond de moi comme un guide. Ce soir-là, quand nous sommes rentrés, nous avons fait l'amour avec cette infinie tendresse qui ponctuait notre relation depuis le début. Nos corps se mouvaient dans une harmonie délicate qui m'avait fait pleurer. Et au matin, quand j'avais vu ton visage illuminait par les premières lueurs du soleil, je ne pus résister à te dire ces quelques mots - Je t'aime - puis à contre-coeur, je t'avais quitté pour mes occupations, encore.
Je t'ai aimé comme on aime un fruit, pour son goût sucré, pour l'instant de plaisir qu'il nous procure. L'amour existe. Le vrai. Celui qui nous fait perdre pied.
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Quand je rentrai ce 21 avril 2011, je vis Gabriel, assis sur le canapé, les coudes reposés sur ses genoux, les mains liées, complètement effondré. Dans la cuisine, Loïc cachait son visage rougi par les larmes. Kevin était à côté de Gabriel, comme toujours, caressant chaleureusement son dos bien que lui aussi avait les yeux rougis. Même Hugo, d'ordinaire souriant, pleurait silencieusement près de Loïc. Avais - je loupé un épisode ? Je sentis une main se poser sur mon épaule, c'était Gabriel qui s'était levé pour venir à ma rencontre. Je ne comprenais pas. Et j'aurais voulu ne jamais le comprendre. Victor sortit de ta chambre, le visage fermé. Il avait assez pleuré. « Les gars...Vous me refaites une scène de quel drama là ? » Gabriel avait pleuré de plus belle face à mon ignorance. Il s'avait alors demandé pardon. Dans la cuisine, Loïc cachait son visage rougi par les larmes. Je compris aussi que toutes les personnes avaient qui je vivais tenaient à toi tout comme tu tenais à eux. Victor m'avait stoppé pour m'empêcher de me rendre dans ta chambre. Je l'avais poussé sans faire attention à Gabriel dont sa prise s'était effacée.Rien n'avait changé. Ta chambre avait ton odeur, tes affaires étaient toujours impeccablement bien rangées. Sur les murs, tu y avais mis quelques photos de famille où tu souriais. Quelques partitions traînaient au sol, mais ce n'était pas ta mélodie. La Mélodie d'April ou je ne sais pas quel titre lui avais - tu donné à ce moment-là. Tu étais allongée sur ton lit, le chat était assis à tes pieds, te regardait étrangement. Parfois, il miaulait, mais tu ne réagissais pas. Tu avais tes mains posées sur ton ventre, tu ne portais pas de chaussures, mais tu avais vêtu cette robe blanche qui t'allait si bien. Je m'étais alors agenouillé près de toi posant ma main sur ta joue froide, regardant les détails de tes traits. J'avais posé mon front contre le tien et j'avais laissé mes larmes couler sur ta peau comme si cela allait te réveiller.
J'aimerais que le monde ouvre les yeux et se rende compte que personne ne fait pratiquement attention aux étoiles qui tombent du ciel, aux anges qui descendent du Paradis pour rester quelques temps sur Terre. Et même si tu continues à dire que tu es égocentrique, je démonterais toujours : tu es mon petit ange à moi, mon inspiration, ma muse. Tu l'as toujours été, tu le seras toujours. Je serai toujours là pour toi et j'espère bien que tu le sais bien avant que je ne t'écrive cette lettre.
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Mais je ne crois pas qu'il faille parler de toi comme une personne disparue à jamais. Gabriel me prit à part et nous parlâmes, encore. À nouveau. De toi, toujours. J'appris alors que tu étais malade. Gravement malade. J'ai réussi à contacter ton amie à Tokyo qui m'a dit que tu n'avais que très peu de temps à vivre et qu'en partant pour Seoul, tu espérais trouver ton inspiration, ta muse. Elle comprit immédiatement que je l'étais, car elle avait senti dans ma voix mes sentiments en ton égard. Elle comprit immédiatement que je l'étais, car elle avait senti dans ma voix mes sentiments en ton égard. Je pus voir aussi où tu vivais et bien qu'on me conseillât d'enlever les affaires et de vendre l'appartement, je n'ai touché à rien. Je ne prenais pas encore conscience que tu n'étais plus. Ta présence était constante. Mon patron m'avait laissé un peu de répit pour que je fasse mon deuil, mais le travail me permettait d'avancer tout comme mon amour pour toi. C'est sans surprise que je fus la seule personne que tu avais mise sur ton testament rédigé à Seoul et j'ai bien hérité de tous tes biens que je garde précieusement. Quand je revins chez moi, mes camarades n'avaient pas touché à la chambre. Ils furent tous présents à tes funérailles. Gabriel était inconsolable culpabilisant de ne m'avoir rien dit. Il le savait depuis longtemps, depuis qu'il t'avait surpris en train de vomir. Au départ, il pensait uniquement que tu étais enceinte, mais ta maigreur t'avait quelque peu trahi.J'ai retrouvé ta mélodie que tu as appelé Les Trois Saisons. Par curiosité, je l'avais joué au piano, mais je m'étais mis à pleurer. J'ai encore ta boite à biscuits, sans le chocolat, que je garde tel un trésor. J'ai procédé à quelques changements dont celle de ma chambre. Je me suis installé dans la tienne pour ne pas perdre ton odeur qui pourtant, ne sera jamais éternelle. J'erre dans l'appartement tel un fantôme et je sens que je ne suis pas prêt pour montrer face aux caméras, mais je le fais pour toi, uniquement. Parfois, je me rends sur ta tombe pour y déposer des roses et je me souviens de tous nos moments. Je sais qu'un jour ou l'autre, la douleur s'apaisera et que tu ne seras qu'un lointain souvenir, un ange qui n'est que passé dans ma vie, presque comme un mirage. L'un des plus beaux, celui qui nous fait avancer. Comme l'amour.
Chère April,Tous ces instants que nous avons passés ensemble restent encore aujourd'hui gravés dans ma mémoire. Ils seront éternels, parce que je n'ai jamais cessé de t'aimer. Et je ne cesserais jamais.
FIN.
N.b: Merci à tous et à toutes d'avoir lu ce texte. Il est maladroit, mais il date. J'espère qu'il vous aura plu.