Les Vacances

Hervé Lénervé

Dans la vie, certaines étourderies ne sont pas toujours anodines

Extrait du recueil de courtes nouvelles: « HISTOIRES INSOLITES »  (à paraître, peut-être ?) 

 

 

§ 02

 

LES VACANCES

 

 

Trois potes, septuagénaires, discutent dans un café parisien. Il est tard et les amis ont fait quelques connaissances de comptoir. Quand de nouvelles têtes apparaissent dans un cercle, on ressort les vieilles histoires, celles qui ne peuvent plus faire rire les familiers, car par leurs singularités, elles ont été racontées des dizaines et des dizaines de fois, déjà.

-         René, je sais que tu n'as pas trop de tête, mais c'est peut être ta tournée, à présent.

-         Ok, les gars, pas de problème.

-         René n'est pas radin, il a juste des problèmes de mémoire.

-         Laisse ma mémoire tranquille, elle est surement meilleure que la tienne.

-         Permet moi d'en douter, car pour ma part, je n'ai jamais oublié ma femme sur le bord d'une autoroute.

-         Oh ! Arrête un peu avec cette histoire, ce n'est arrivé qu'une seule fois.

Voilà, c'est lancé, les nouveaux sont déjà accrochés par l'annonce de ce fait accrocheur, il faut maintenant développer, c'est inévitable et inévitablement René va en faire les frais. C'était son meilleur ami, Jean qui avait commencé à lancer le sujet et il relance à présent.

-         Excuse-moi, mon pote, mais même une seule fois, c'est déjà mille fois de trop. Tu as de la chance que ton épouse soit de bonne composition, la mienne ne m'aurait jamais pardonné.

-         Qui te dit, qu'elle m'a pardonné ?

-         Elle ne t'a pas quitté, du moins.

-         C'est vrai mais j'étais bourré ! Ça ne vous est jamais arrivé ?

-         De conduire en ayant bu, si plusieurs fois… C'est au tour du troisième copain, Cédric de renchérir… mais pour partir en vacances et faire plus de mille kilomètres, non, jamais !

-         Vous faites chier ! Je vais la raconter votre histoire où je n'aurai plus la paix. Vous êtes contents !

-         On t'écoute.

Et les deux copains, qui la connaissent par cœur, l'histoire, se délectent d'avance, pas du récit proprement dit, juste de l'hilarité qu'il va déclencher dans l'auditoire.

-         Bien ! J'avais un peu bu, certes et ma femme me demande de m'arrêter à une station pour une envie pressante. On s'arrête et j'en profite pour prendre un café, puis deux, ensuite le café étant diurétique, je vais pisser.

-         Attend ! Tu ne vas pas nous décrire tous tes souvenirs physiologiques, on s'en fout ! intervint Cédric.

-         Il faudrait savoir, vous voulez que je raconte ou pas ?

-         Allez ! laissez-le tranquille. Vas-y, René raconte à ton rythme. Vole à son secours l'ami dévoué, Jean.

-         Donc, je vais pisser. Ensuite, je sors une minute pour griller une cigarette. Mes idées étaient assez confuses, quand on est saoul, on n'est pas sûr. J'essaye de remettre de l'ordre dans mes préoccupations de l'époque. J'avais une traite importante à payer pour le garage et mon comptable me disait que la situation était sérieuse, voire critique.

-         René est garagiste. Dit Cédric

-         Tu me laisses continuer, où je me tais ?

-         Ok ! C'était pour préciser.

-         De plus, j'avais un problème avec un client qui prétendait qu'on lui avait fauché ses quatre jantes alu et remplacé par des jantes pourries, comme si c'étaient nos habitudes !

-         Heum, heum ! toujours Cédric.

-         Merde ! à la fin ! Oui, on lui avait fauché et alors ? Bien-sûr, vous, vous n'avez pas de commerce à faire tourner, vous !

-         Continue à te chercher des excuses. Le même.

-         Je ne me cherche pas d'excuses, j'explique, c'est tout ! La situation n'était pas si simple. Si bien, que je ressassais mes difficultés dans ma tête, j'étais aux abois et cette idée de prendre une semaine de vacances n'était pas la mienne, moi c'est mon affaire que je craignais de perdre. Bref, pendant que j'étais dans mes emmerdes, je me pose la question bête, de savoir ce que je foutais là, sur un parking à fumer cigarettes sur cigarettes, alors que j'avais tant à faire. Je suis remonté dans ma caisse et j'ai pris la première sortie pour rentrer à la maison, pour rejoindre ma femme. Comment aurais-je pu savoir qu'en mettant tant de temps pour un malheureux besoin, j'allais finir par en oublier jusqu'à sa présence. Les portables existaient déjà en ce temps-là, mais nous n'en avions pas, ce n'était pas encore rentré dans les mœurs. J'ai roulé encore pendant quinze kilomètres avant d'avoir un flash, pas un radar, un flash intérieur et là, ma négligence m'a sauté à la gueule. J'ai dessaoulé en une seconde, et j'ai repris une bretelle de sortie pour revenir à la station. Voilà l'anecdote, vous êtes content, allez riez, tant qu'il vous plaira à présent !

Et, il est vrai que l'entourage ne se priva pas de se gondoler, comme des baleines, des malheurs de notre bonhomme, mais c'est ce que l'on fait tous, n'est-ce pas, de rire des malheurs des autres, puisqu'on ne sait pas rire des siens. Un téméraire lança.

-         Putain ! Vous avez dû passer de putains d'bonnes vacances.

René n'ajouta rien, après son récit, il resta à boire en silence, mais dans sa tête il continua son histoire pour lui seul. René et son épouse s'entendait à merveille, ils filaient un amour tranquille et paisible. Ils avaient connu le coup de foudre, la passion dévorante d'un Grand Amour qui bouscule tout sur son passage, un ouragan, puis par l'habitude, un amour plus mesuré, moins excessif, un attachement sentimental puissant cependant qui fait que la vie commune leur était agréable.

Après cette indélicatesse, sa femme lui en voulut bien évidemment et il le comprenait aisément puisqu'il méritait ce ressentiment. Malheureusement, là, où, le temps aurait dû dissiper la rancune, il ne fit que l'amplifier dans l'âme de son épouse. Elle avait été blessée, sur le moment, c'était naturel, mais comme la brûlure, qui fait mal sur le coup, puis continue à ronger à creuser les chairs, chez cette femme la rancœur se transforma en une animosité permanente et tenace. Une tumeur d'amertume dans le cerveau de cette femme grossissait et elle ne fut pas bégnine. Elle partit, un matin, sans rien dire et René n'eut plus jamais de ses nouvelles. Il la rechercha partout où il pensait qu'elle puisse être, puis il abandonna, il se résigna à vivre sans elle, à vivre seul. Seul, mais en le cachant à tous, même à ses meilleurs amis. Voilà que depuis trente ans René dissimulait à son entourage que son épouse l'avait quitté quelques temps après leur mésaventure, le couple n'avait pas eu d'enfants et n'avait plus de famille, René vivait donc, avec ce mensonge depuis tout ce temps et s'apprêtait à mourir avec. C'est dans cet état à ressasser sa triste destinée que l'on va laisser notre pauvre René, un homme vieillissant dont la vie avait été chavirée par une anecdote qui faisait tant rire dans les troquets où il allait, plus pour oublier que pour boire.

Précisons qu'à la suite de cet « acte manqué », il perdit également son garage, mais de ses pertes, seul celui de son épouse lui pèse encore. Aujourd'hui encore plus qu'hier, elle lui manque toujours

 

 

FIN

  • Moi la mienne, je l'ai abandonné sur une départementale paumée. Et elle n'est toujours pas revenue... J'suis tranquille! Les autoroutes c'est pas un bon plan.

    · Il y a presque 7 ans ·
    P1000170 195

    arthur-roubignolle

    • Départementales, autoroutes, il y a toujours un doute et on passe sa vie, selon le cas, à espérer ou craindre un retour. Pour ma part, j’attends encore que ma femme me revienne, tout en sachant pertinemment qu’elle ne fera pas.
      Je le sais, mais c’est entièrement de ma faute, je n’aurais jamais dû l’enterrer si profondément.

      · Il y a presque 7 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

Signaler ce texte