Les Vies

threnody

Quand on met notre personne dans la section virtuelle.

J'ai une vie. Je n'en ai qu'une seule. Elle se scinde de temps en temps. Celle quand ma vision est libre, et celle quand elle est voilée. Cet aveuglement est intentionnel. Il est là pour nous protéger. Il protège notre identité aux autres.


Alors, je ne vois pas plus loin que ce que je vois, mais les autres ne voient pas plus loin que ce qu'ils voient, et donc, ils ne me voient pas. Enfin, ils ne voient que ce que je veux leur montrer. Je peux choisir d'enlever ce voile, et quand je le fais, c'est sans timidité. C'est volontaire. Je choisis d'apparaître ou pas. C'est au moins ça qui me plaît. Mais je n'enlève le voile qu'une fois que celui à qui je me montre s'est décidé à faire de même.


On se dévoile mutuellement. Le masque tombe. Ça peut nous être indifférents, être une agréable surprise ou une déception amère. On peut réagir de manière opposée aussi. Mais dès que ces masques sont tombés, il y a ce lien. On se rapproche soudainement plus : tu m'as confié ton identité.


Alors, depuis ce jour, tu appartiens à l'autre vie. Celle dans laquelle je t'accorde une importance égale à celle de mes amis. Ou plus, ou moins. Et des fois, je regrette qu'on soit séparé. Je pense à tout ce que je vis sans toi. Je pense à tout ce que je rate à ne pas être avec toi. Je pense à tout ce que nous ratons.


Mais depuis peu, j'ai remarqué que toi, tu scindais ta vie différemment. La vraie vie. Et elle. Cette autre vie dans laquelle on s'est connu. Moi, je reste dans cette catégorie.


Je ne suis qu'une fiction ? Je n'appartiens pas à la vraie vie ? Je ne suis pas présente physiquement à tes côtés, et alors ? Je suis ici. Je suis vivante. J'existe. Moi aussi j'ai une autre vie. À savoir que tu as un problème, que tu ne vas pas bien, ça m'atteint, peu importe dans quelle vie. Malgré le fait qu'il ait fallu que je t'arrache cet aveu après une mise à nue intégrale et humiliante. Embarrassante.


Alors, savoir que je n'appartiens pas à ta vie intégralement, ça me tue. Je suis effacée à moitié. Si ma personne n'apparaît que d'un côté, alors où est-elle quand ce n'est pas dans cette vie ? Elle attend que tu repasses de l'autre côté ? Que tu te plonges dans cette autre vie ? Pourtant, aux dernières nouvelles, je ne sais pas que écrire. Je sais penser. Je sais rire. J'ai la vraie vie moi aussi. Et quand les deux ne font plus qu'un, tout remonte. Tout reviens. Et tout se mélange, et je veux t'aider, vraiment.


Et tu sais ce que j'ai envie de te dire ? De te faire, même ? J'ai une envie irrépressible de te gifler. De te demander ce que moi je ressens. Ce que je ressens quand toi tu ressens ça. J'ai envie de te faire mal, pour te prouver que j'existe. Pour te toucher. Mentalement comme physiquement.


Pour te montrer que ces deux vies finissent par se rejoindre. Pas parce que c'était écrit – de toutes manières, qui l'aurait écrit ? Parce que les règles avaient été brisées. Tu ne sais donc pas que quand le voile est brûlé, tu sors de cette fausse vie pour entrer dans la vraie.


Tu sais ce que je voudrais te faire, après t'avoir blessé ? T'embrasser, et te montrer que tout ce que je ressens est bien réel. Et a une justification. Je ne fais pas tout ça pour rien. Je suis désolée d'être muette. De ne rien vraiment écrire. Et te le dire. Juste une fois. Que tu m'entendes ou pas, ça m'est égal. Juste pour me dire : « Je l'ai fait ! ».

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