L'ESCALIER DE LA MORT...

francine

 L’ESCALIER DE LA MORT…

Qu’ils soient faits de vingt, de dix ou de cinq marches, en pente douce ou abrupte, devoir descendre des escaliers, la fige sur place… Voilà Mimi qui culbute et déboule jusqu’à la dernière de ces marches et, à ce moment précis, elle se voit inerte, sur le dos, ignorant si elle est vivante ou morte ! Elle ne sait vraiment pas ; mais cette scène elle la connaît par cœur…  Où quelle soit, au travail comme à la maison, que ces escaliers soient fixes ou en mouvement, il y a toujours ce moment de brève panique qui la neutralise, le temps de s’agripper à la rampe…Les escaliers roulants ? Encore plus angoissants ! Sa vue se brouille et souvent elle bute sur le sol à l’arrivée, ce qui la fait presque chuter. Bientôt 30 ans, qu’elle conscientise ce problème, sans jamais trouver l’explication de cette fixation…

Il faut qu’elle trouve… Cette crainte des escaliers la met de plus en plus en danger dans son quotidien. Elle a bien sa petite idée mais impossible de vérifier. Par contre, à défaut de pouvoir résoudre ce mystère, elle saisit une occasion qui se présente à elle et qui, sans régler le problème entièrement, pourrait la protéger d’accidents éventuels. On offre une formation en Psychosynthèse dans son milieu de travail.  Cette approche intégrative du développement humain, pourrait lui permettre d’accéder à plus d’équilibre, de maturité et de liberté… Et peut-être qu’à défaut de trouver sa réponse, elle saurait mieux maîtriser sa crainte des escaliers… Très intéressant pour Mimi, cette avenue » !

Samedi, 27 mars 1993, dans la dernière tranche de ce quarante-cinq heures de cours et, perdue dans ses pensées, Mimi entend le professeur qui suggère un exercice qui pourrait conduire tout ce groupe, vers une expérience au cœur d’eux-mêmes … Quelle aventure !  

Tête reposant sur leurs bras, bien appuyés sur leur pupitre, dans un silence impeccable, c’est alors qu’il tentera de guider chaque membre de ce groupe le plus loin possible, dans leur exploration du « soi » ; le plus bizarre c’est que personne n’a semblé comprendre le processus, mais, tous avaient développé une totale confiance en leur guide et professeur… Ses connaissances et ses compétences les avaient tous impressionnés …

S’adressant au groupe, il commence…

- Tout sera de l’ordre du mental ; tout se déroulera dans votre pensée. 

- À présent, vous allez dessiner un cercle, peu importe comment vous le voyez, vous l’imaginez ou vous le sentez… 

- Vous allez faire entrer ce cercle en vous et, vous allez le faire circuler dans tout votre corps, de la tête aux pieds, en allant dans chaque membre, jusqu’au moment où il s’arrêtera de lui-même… Puis, remarquer l’endroit où il s’est arrêté. 

- Maintenant vous allez entrer dans votre cercle et observer ce que vous voyez tout autour de vous. 

Étant trop peu concentrée ou, dérangée par le fait d’être en groupe, elle ne sait pas trop, elle progresse lentement et son trajet s’avère bien court et bien pénible pour cette première séance…Tout ce qu’elle percevait autour d’elle, c’était le noir et le froid en plus de ressentir une très grande angoisse…   En somme, elle n’a pas pu dépasser cette étape en salle de cours.

De retour à la maison, elle se sentait très fatiguée et elle n’avait pas le goût de s’occuper ni des enfants, ni du souper ; c’est donc pendant que son mari s’affairait à ces tâches qu’elle s’allongea sur le sofa et, qu’elle réessaya l’exercice du cercle… Pour elle le cercle c’était un cerceau, oui, comme celui que l’on faisait tourner autour de la taille, en guise de jeu avec des copines… Elle le fait entrer en elle et le fait circuler de la tête aux pieds en dessinant tout le contour de l’intérieur de son corps, jusqu’à ce qu’il s’arrête… Après un certain temps, sans idée sur la durée de cette étape, il se stabilise au niveau du plexus solaire en position debout et là, elle doit entrer dedans… Dans un mouvement d’élan elle entre dans le cerceau et, faisant un « v » pour les bras et, un « v » inversé (/\) pour les jambes, c’est ainsi qu’elle arrive à garder son équilibre dans ce cerceau…Donc, elle est debout dans ce cerceau, qui lui, est dans son corps, à la hauteur du plexus solaire. La revoici à cet endroit où le noir, le froid et l’angoisse l’habitaient entièrement… Toujours l’inertie totale…Elle n’ose plus bouger, elle a même peur de respirer !  Dans un réel sentiment de peur elle resserre ses mains sur le cercle…

-Il faut faire autre chose ; il faut progresser…

C’est alors qu’elle se baisse sur ses talons et qu’elle tente, avec grande difficulté, de sortir du cerceau, en tenant la base de façon à lâcher prise en douceur, pour débarquer à son rythme dans ce vide. Sa peur est si grande, qu’en débarquant du cerceau, elle retient la base et demeure suspendue à bout de bras, le reste du corps totalement dans le vide… Mais là encore, elle n’ose plus bouger ; elle est terrorisée… Il fait si froid… La simple idée de tomber la paralyse totalement et, elle demeure ainsi jusqu’à ce qu’elle entende : « À la table Mimi, le repas est prêt ! »  

Dimanche, 28 mars 1993, dernière journée de formation…Elle profite de l’occasion pour rencontrer le professeur et, lui faire part de son échec, dans sa tentative de revivre l’expérience du cercle… En fait, juste pour savoir s’il n’y avait pas un truc pour l’aider à retourner dans le cercle et, l’empêcher de tomber dans ce précipice…

- Pas compliqué Mimi…Tu n’as qu’à lâcher ton cerceau et te laisser tomber dans le vide ; comme cela, tu finiras bien par toucher du solide et t’arrêter…

C’était bien loin de la réponse qu’elle espérait, et en plus, il aggravait sa peur… Mais il fallait qu’il se passe quelque chose ! Un profond malaise s’était emparé d’elle et, il ne la quittait plus.

C’est au coucher du soir, alors qu’elle est allongée dans un état de calme mitigé, en position dorsale, qu’elle décide de recommencer l’expérience…

 Sa curiosité est à son maximum… Il faut qu’elle se rende au bout de cette aventure !

Alors, elle recommence pour une troisième fois ce processus, et elle atteint assez facilement l’état qui la terrorisait ; tenir le corps et les jambes dans le vide, les mains accrochées au cerceau…Elle balaie du regard son environnement … Outre son inconfort, il y a aussi ce précipice… Ses mains se fatiguent, elle sent qu’elle ne tiendra pas encore bien longtemps. Elle n’a même plus la force de remonter sur son cerceau. Dans cet instant d’épuisement elle lâche prise, les bras tendus au-dessus de sa tête… Elle tombe dans ce vide et file à une vitesse incroyable…

-Il doit bien y avoir du solide… Je ne peux pas tomber ainsi indéfiniment, il me l’a dit … Je gèle ; c’est ça, c’est sûrement ça, je suis en train de crever ! Mon cœur…Il va lâcher, il va se rompre à ce rythme !

Dans cette vitesse incontrôlable, en route vers l’inconnu, cette descente lui apparaît interminable…

Tout-à-coup elle atterrit sur quelque chose de dure, de solide, qui lui fait plier les genoux et rebondir, pour ensuite s’immobiliser en position debout ; debout à la manière du skieur qui termine la descente d’une pente à bosses !

Il fait noir mais elle perçoit un plancher sous ses pieds…Elle regarde et réalise qu’elle se tient debout sur une porte et, cette porte est sur le sol. Il y a des carreaux vitrés ; il y en a six…Elle voit une poignée sur la porte… Son premier geste : regardé par cette fenêtre…

-Trop noir, je ne vois rien…

Cette porte lui apparaît comme un symbole …

-Une porte : on peut l’ouvrir ou la fermer…Je ne vois pas d’autres utilités !

-Ouvrir la porte, je veux bien, mais je suis debout dessus…

-Je ne sais pas si, en me donnant un élan vers l’arrière tout en tenant la poignée de porte, s’il n’y aurait pas suffisamment d’espace pour me projeter dans l’ouverture ?

Elle fait ce bond vers l’arrière et, au même moment qu’elle tire sur la poignée, elle est aspirée dans l’ouverture et, la porte se referme derrière elle avec la lourdeur d’une porte de coffre-fort… Elle est prisonnière dans cet espace ; elle ne peut plus rebrousser chemin, puisque la porte ne s’ouvre plus ! Elle ne pouvait s’ouvrir que dans un seul sens.

De l’autre côté de cette porte, roulant sur elle-même, elle se retrouve telle une petite boule, tel un fœtus qui est en chute libre dans un espace noir et, froid…

- Du liquide froid ! Non…Du liquide chaud qui ne me réchauffe pas !

Elle roule sans cesse sur elle-même durant sa chute, mais là, elle commence à parler et à dire sa douleur…Elle parle, elle pleure ; elle est en colère… Elle parle même très fort…On peut l’entendre…Son mari se réveille suite à ce bruit et, l’entend parler, l’entend pleurer…Il la laisse faire dans ce qui lui semble un rêve ou, un cauchemar peut-être ! Il sait que cette formation des derniers jours lui a fait vivre des choses difficiles.

Elle parle… Elle veut dire l’intensité de sa souffrance…

-J’ai si mal …

-Comment veux-tu que j’existe ?

-Comment veux-tu que je vive alors que toi tu as toujours désiré que je meure ?

-Comment veux-tu que je vive, alors que tu as tout fait pour te débarrasser de moi ?

-J’étais déjà morte en naissant ; tu m’avais tuée en me rejetant…Tu m’avais tuée en te faisant débouler de ce grand escalier pour ensuite te retrouver si déçue d’avoir raté ton avortement…

-Tu as essayé tant de choses pour m’expulser de ton corps, pour me sortir de ton sein, pour me sortir à tout jamais de ta vie…

-Tu te frappais le ventre, tu te projetais sur le pied de ton lit en fer, en plus de t’introduire dans le vagin différents objets pour évacuer ce contenu honteux…

-Tu avais trop mal ? C’est ce qui t’arrêtait ? Imagine combien moi j’avais mal !

-Je ne sais pas pourquoi je m’accrochais autant !

-Tu as fait de moi une morte vivante !

 Toujours en chute libre, mais là, le rythme s’est ralentit …

-Tient, je perçois une lueur, on dirait de la lumière…

Elle roule encore sur elle-même mais, encore plus lentement et, elle commence à se redresser…

- Je suis fœtus ; je vais naître… Ma tête… Ma tête me fait mal…

Mais ce fœtus, ne peut naître à terme dans son apparence normale … En se dépliant, il a la taille d’un enfant de trois ans ; c’est une petite fille …Et à la manière et à la vitesse qu’elle fût aspirée dans le sein de sa mère, elle est tout-à-coup expulsée de la même manière…Une naissance violente…Le bébé reste alors suspendue dans le vide entre l’accoucheur et la mère… Il tient là, dans cette espace, comme en lévitation…

-Non, je ne peux pas rester là ; il faut que je me fasse renaître…

Retournant dans le ventre de sa mère, il lui aura fallu deux expulsions additionnelles, pour sortir de cet état de lévitation et, pour accéder à l’endroit qui lui était destiné pour commencer sa vie… Cette fois, par un processus de propulsion, elle se retrouve dans un lit, le sien…

Trois ans ; elle a trois ans, bientôt quatre…C’est une grande fille !  Bientôt sa vie va commencer dans cette chambre ; cette chambre qui était bien la sienne jusqu’à l’âge de six ans et, qui contenait deux demi-lits avec ce bureau à miroir entre les deux lits…

-Il fait noir, c’est la nuit…  

-J’ai peur, j’ai froid… J’ai toujours peur… J’ai toujours froid !

Coucher sur le dos, les couvertures remontées jusqu’au menton, les bras le longs du corps, les yeux rivés au plafond de cette chambre, elle sait qu’il y a quelqu’un dans l’autre lit… Il va lui dire de le rejoindre… Il est si grand…Elle pense encore à ses grandes chaussures qu’il avait laissées à l’entrée, dans le portique…Tout de lui était immense, était impressionnant .Un jour elle saura qu’il avait dix-huit ans et qu’il portait des chaussures de grandeur treize !

-C’est toi L … ? « Oui c’est moi, je me couche un peu, je suis fatigué… »

-Maman et papa vont venir tantôt ? « Tantôt ! »    

-Il va me dire de traverser, je sais…Il l’a fait les deux autres fois…

Mais…

-CHUT ! C’EST UN SECRET…

  

  

     

  

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