L'espace d'un regard

loup-cie

Court texte à partir d'un instant de journée

13h12 "Quand elle se retourna pour lui tendre la feuille, l'espace d'un court instant, leurs yeux se croisèrent. Elle crut mourir. Sa respiration se fit sourde et acérée. Des boules d'énergies fourmillantes lui parcouraient le corps tout entier, semblant converger vers un point précis. Son cœur manqua un battement, et pendant une seconde, elle crut que c'était fini. Puis l'univers explosa en une myriade de couleurs éclatantes, et, à travers ses yeux, elle comprit: désormais, elle leur appartenait. Son cœur s'accélérait, elle ne pouvait faire un mouvement. Chaque parcelle de son être le réclamait, un besoin impérieux qui ne pourrait jamais être assez satisfait. Puis la réalité refit surface. Le monde continuait de tourner, tout cela n'avait duré que quelques secondes. Et elle réalisa que ce n'était que son imagination qui l'avait laissé croire que lui avait pu vibrer comme elle. Il attendait juste cette feuille, cette maudite feuille qui avait plus d'attention qu'elle n'en aurait jamais venant de lui. Elle la haït, et se maudit d'être aussi futile. Puis se détourna, et tenta d'oublier cet instant, ses yeux, et ce que lui criait son cœur. Pourtant elle ne pouvait nier l'évidence, qui s'imposait à elle à chaque fois que la scène se rejouait dans son esprit: ces yeux étaient ceux qui l'avaient déjà chamboulée par le passé. Des yeux sombres, indescriptibles, et qu'elle ne parvenait pas à décrypter. Des yeux qui feraient frémir la plus stoïque des personnes. Des yeux dans lesquels se perdre, s'ancrer comme à une bouée. Rassurants et mystérieux. Elle n'avait pas senti la foudre lui tomber dessus, mais le poids des souvenirs avait semblé s'alléger. Pendant ces quelques secondes, il lui avait paru être son libérateur. Celui qui lui permettrait d'oublier toutes ses erreurs, tout ce qui avait été détruit par la passion ravageuse qui l'avait brûlée pendant trois ans. Celui qu'elle avait cru avoir trouvé voilà quelques mois, et qui était parti en broyant ce qui avait pu être reconstruit. Qui l'avait laissé brisée face à son démon après avoir tant cru en elle. Et elle prit peur. Elle ne voulait pas revivre ce désespoir qui vous prend aux tripes, vous tord les entrailles et vous mitraille à coup de poignard, puis vous laisse pour morte à la merci des charognards. Ces yeux, tout cela, ce n'était qu'un mensonge. Derrière le côté rassurant, elle voyait le regard torve du serpent. On ne pouvait pas avoir confiance face à ces yeux. Ils étaient le Mal. Et elle n'était pas assez forte pour s'y confronter. Alors elle regarda devant elle, et ne se retourna jamais plus." 13h17

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