L'espion de Rome

Georgia Margoni

Le destin du jeune Aulus Maximus Memmius ...

L'occasion se présenta durant les ides de mars. Sans doute, avait-elle peu de chances de ne jamais se reproduire. Je l'avais saisie au vol, impatient et confiant comme lorsque j'étais enfant et que j'agrippais de mes petites mains la balle que me lançait Marcus, la stoppant net dans sa course. J'éclatais alors de rire et lançais à mon frère :

- Hey, Marcus, tu as vu, je suis le plus fort.

Si Marcus me dépassait d'une tête et de deux ans, je pensais être le plus malin, profitant de chaque opportunité pour m'amuser. Mais le jeu ne valait que si j'en sortais victorieux. Ma famille m'attribuait un mauvais caractère quand moi, je n'y voyais que la peur d'échouer et la honte qui s'emparait de moi.  Ma chance n'avait pas toujours été mon amie.

Mère était morte à ma naissance et mon père m'en faisait constamment le reproche. Comme si un bébé pouvait tuer de ses mains potelées, comme si la méchanceté avait toujours habité mon cœur. Marcus me protégeait, solide, attentionné, prenant sur lui la plupart de mes bêtises.

Puis, Père était parti. Une attaque, nous avait-on dit. Il n'avait pas quarante ans et moi, huit. Il eut été convenable de montrer ma peine sauf que j'en étais dépourvu. Je ne ressentais rien que du soulagement même si je respectais le chef de famille qu'il était. On ne renie pas sa famille quand on est romain.

Mon défunt père Rufus Matella était client d'un avocat peu fortuné mais qui avait des relations au Sénat et puisqu'en Italie, il faut toujours être client de quelqu'un de plus riche, de plus puissant, Père l'était de Caius Apollonius Memmius. C'était un homme brave à qui la vie n'avait pas fait de cadeau. Son fils unique Julius était mort à dix-huit ans, de maladie soudaine et grave.

Il avait quelques biens et un nom à transmettre. Il nous le céda, à Marcus et moi. L'adoption était courante car elle permettait de protéger les terres et de conserver la pérennité du nom de famille quand celui-ci n'avait rien de plébéien. Nous eûmes droit à une éducation même s'il était illusoire - nous disait Caius - de rêver d'une position sociable enviable. Nous n'étions ni riches, ni pauvres et cet inconfort me blessait au plus haut point.

J'avais la sensation que je pourrais tout réussir, m'extraire de situations extrêmes, soit en refusant la vie de plébéien, soit en me révoltant contre les devoirs d'un patricien. Je rêvais d'un idéal, d'un combat contre l'ordre établi même si je n'étais pas encore fixé sur le sens que je voulais donner à ma vie. Mais la médiocrité, la normalité d'une vie quelconque, semblable à celles de milliers d'autres vies, me donnait envie de hurler.

Il fut question pour moi d'embrasser la prêtrise puisque j'étais le second. Je pleurais toutes les larmes de mon corps et dit à Caius que je préférais mourir. A dater de ce jour, je ne m'alimentais plus, ne m'intéressais plus à rien, restant cloîtré dans ma chambre. Marcus persuada notre père adoptif que j'étais capable d'aller au bout de mon combat et l'on n'en parla plus jamais. J'avais seize ans et atteint les limites de ce qu'un enfant peut imposer à son père.

J'obéis quand il me prit dans son étude afin de m'enseigner le métier. Je crois après coup qu'il préférait m'avoir près de lui que poursuivi par la basoche. Le droit me semblait rébarbatif mais Caius m'envoyait souvent dans les rues étroites et sales du Rome populaire mener des enquêtes pour ses clients. J'avais trouvé ma voie.

J'aimais filocher un individu, me jeter derrière une porte cochère quand le suspect jetait des regards furtifs derrière lui alors qu'il partait retrouver sa maîtresse ou préparer un mauvais coup. Il m'arrivait de me faire bastonner quand l'autre était plus malin que moi et me tendait un guet-apens avec ses sbires ou ses domestiques. Je taisais mes souffrances de peur que mon père ne m'interdise ces sorties excitantes. Je m'engaillardis, appris à me travestir et le risque encouru augmentait mon plaisir. J'étais heureux, j'étais fou ! 

Mais un jour, une simple enquête de routine changea ma destinée. Je surveillais un commerçant suspecté de chantage. L'affaire tourna mal, je fus arrêté et me préparais à passer devant un juge corrompu. On me jeta aux pieds de Tullius, empereur des romains. Je ne comprenais rien à la situation.

- On me dit que tu es entreprenant et que le risque ne te fait pas peur.
- Imperator, ce que l'on vous a dit sur moi est ….
- Exact. Mes contacts semblent plus professionnels que toi. Tu t'es mêlé, jeune Memmius, d'affaires qui ne te concernent en rien et pour cela, tu vas mourir.

Je ne bronchai pas, ne lui accordant pas ce plaisir. 

- Quoi ? Pas de pitié, Seigneur, je suis jeune, je ne savais pas ce que je faisais, railla Tullius .
- Bien au contraire, je le savais ! Et je recommencerais tant que les Dieux me prêteront vie.

Je baissai la tête, m'attendant à avoir la tête tranchée mais rien ne venait. Je la relevais donc et regarda l'empereur dans les yeux avec ces mêmes yeux qui m'avaient valu de mettre de très jolies femmes dans mon lit.

- Tu me plais, ta bravoure me plaît mais si tu veux vivre, il faudra te soumettre à ma volonté. Connais-tu l'Egypte ?
- Le pays est infesté de serpents et je ne les aime pas.
- Tu les aimeras. Prépare tes affaires. Tu prends le prochain navire.

 

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