L'éternel désunion Ch. 27

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26-L’éternel désunion-Ch.27

Voulant défendre les libertés ; rempart contre la montée du fascisme, le Front Populaire, coalition contre nature de tous les partis de gauche débuta en 1936 pour échouer deux ans plus tard. Le 7 avril 1938, trois semaines après sa deuxième nomination, le Sénat refuse à Léon Blum les pleins pouvoirs que lui avait accordé l’Assemblée. Les deux conséquences les plus spectaculaires du Front Populaire furent la semaine de 40 heures et 15 jours de congé payé par an. Belle victoire, mais voilà ! Pendant la période ou la France paralysée par les grèves, luttant pour une société plus juste,  en Allemagne, les usines d’armements préparaient la lutte armée et la déshumanisation de l’Europe.

En 1790, dans un discours à l’Assemblée National, Robespierre, un des principaux pourvoyeurs de la guillotine ( il en fit d'ailleurs son profit ) avait prononcé des mots qui devaient rassembler ; Liberté-Egalité-Fraternité. Malheureusement, ce n’était que de la poudre aux yeux. Les Français ne sont pas égaux et ne le seront probablement jamais. Ils ne sont pas fraternels. En ce qui concerne la liberté ; chacun la sienne, même si ça doit empiéter sur la liberté des autres.

L’entre deux guerres, l’endémicité conforme à une situation politique de dissension se partageait entre plusieurs courants idéologiques. On vit prospérer une multitude de France ; la France ouvrière, la France bourgeoise, la France paysanne, la France militariste, la France syndicaliste, la France pacifiste, la France communiste, la France fasciste, la France capitaliste, la France réactionnaire, la France des métèques, la France des catholiques de gauche, la France des catholiques de droite. Bref ! la France des pour n’importe quoi, la France des contres n’importe quoi. la France antisémite, des juifs porteurs de toutes les calamités, responsable de tous les cataclysmes n’était pas chose nouvelle et s’observait plus ou moins dans toutes les tendances. Le pays divisé en 2, 4, 8..... On pouvait aller jusqu’à 40 millions de division détenaient 40 millions de vérités. En 1939, comment une telle France aurait-elle pu faire l’union sacrée pour se préparer au conflit qui pointait à l’horizon.

Ces divergences ne préparaient pas les Français, ni politiquement, ni moralement ni militairement à la deuxième phase des hostilités commencées en 1914. La trêve de 20 ans avait vu la multiplication des commémorations et défilés de tous bords scandés par des discours solennels, oriflammes en tête et décorations déployées par les participants des nombreuses associations d’anciens combattants de diverses tendances. À force de répéter au bon peuple de France, que ses fils n’étaient pas morts pour rien, que l’héroïsme et les sacrifices de toute cette jeunesse, de toutes les forces vives de la nation ne fut pas vaine, permettait au peuple de se dresser fièrement sur ses petits ergots et de s’auréoler de gloire et de participer à toutes les processions, manifestations, commémorations, salut au drapeau, sonneries aux morts, jusque dans les coins les plus reculés de la nation.

La France n’arrêtait pas de crier victoire sans comprendre que le 11 novembre 1918, fêté comme un triomphe, n’était que l’anniversaire d’un armistice, d’une pose entre deux mi-temps.

Toutes ces disparités perturbaient Julien. Comme tous ses compatriotes, il avait une idée très personnelle de cette France morcelée, qui ne s’était jamais remise de la grande guerre. Pour lui les vrais Français, avaient leurs noms inscrits sur les monuments aux morts de chaque village de son pays. L’amertume de Julien, le ressentiment, qu’il considérait comme légitime, contre cette société responsable de la mort de ce père qu’il n’avait pas connu était en grande partie dû à l’influence de sa mère. Mort pour rien, mort parce que les politiciens de tous bords, de tous pays, ont envoyé leur jeunesse au massacre, n’arrêtait pas de répéter Céline. Aux yeux de julien, parmi la multitude de journaux, deux seulement disaient la vérité : “” Je suis partout “”  et “ l’Action Française” ; les autres tous pourris. Il fallait remettre de l’ordre dans cette France corrompue. Julien remâchant sa rancœur avait trouvé refuge chez les anciens combattants d’extrême droite, groupés en une puissante association. Ils venaient des ex “” Croix-de-Feu””  ; à l’origine des anciens combattants qui en 1931 sous l’impulsion du colonel de la Rocque jouèrent un rôle important dans la vie sociale et politique. En 1934 ses membres s’accrochaient à des thèmes nationalistes, s’apparentant au fascisme. Diamétralement opposé à la gauche, le parti fut dissous en 1936 par le gouvernement du front populaire. Julien avait en tête des images réductrices ou les vrais ennemis de la France étaient les communistes, un couteau entre les dents, les juifs combinards et voleurs, les métèques fainéants et profiteurs, les capitalistes exploiteurs et fauteurs de guerre, les politiciens vendus aux marchands de canons. Arlette ne supportait pas l’indulgence de Céline pour son “ bon à rien de fils” comme elle disait.

Ca la rendait folle,---À 23 ans, il n’a aucun métier, ne fait rien de la journée, si ce n’est de traîner avec sa bande de racistes qui rêve d’une France pure, sans étrangers. C’est quoi une France pure ? une France celtique ? une France gauloise ?

Céline ne répondait rien. Comment aurait-elle pu faire comprendre que son fils était le prolongement d’Adrien et l’objet de son amour exclusif. Arlette n’était pas dupe. Elle excusait sa mère. Les photos de son père ne trompaient pas ; Julien lui ressemblait comme deux gouttes d’eau. Céline à 44 ans, prématurément usée, minée par une vie tronquée était devenue une petite flamme vacillante abandonnant peu à peu, la vie réelle pour se réfugier dans un passé chimérique d’avant la date fatidique du 10 janvier 1917. Elle avait vécu pour un seul homme et depuis ce jour, le plus triste de sa courte existence, à 22 ans, cette jeune femme pleine de vie et d’amour s’était coupé du monde. Céline ne vivait plus, Céline était morte. Son éducation chrétienne et ses enfants lui interdisaient de passer à l’acte. Pour donner un sens à son existence, elle s’était rapprochée de Dieu et avait fait de sa chambre, une chapelle, un sanctuaire à la mémoire d’Adrien. Elle s’y enfermait pendant des heures, allongée sur son lit, les yeux fermés et quittait un monde infernal pour entrer dans un univers chimérique. Avec les années, son pouvoir de concentration était telle que Céline arrivait à voir Adrien comme s’il était présent. Il se tenait devant debout au pied de son lit. Il souriait. Elle ne tenta jamais de tendre la main. Elle restait pétrifié de peur de faire disparaître la vision de l’être aimé. Elle n’avait été que droiture et pourtant sa foi la culpabilisait et pensait que pour une raison mystérieuse Dieu l’avait frappé d’anathème et avait fait de sa vie une expiation. Un malheur comme le sien ne pouvait être que la base d’un renouveau dans un autre monde qu’elle attendait avec impatience. Chaque matin, en passant par la rue de la Verrerie, Céline parcourait les deux cents mètres qui la séparaient de l’Eglise St Merry pour prier avec une ferveur mystique. Elle avait la certitude, qu’a la fin de son calvaire, Dieu l’accueillerait dans son paradis pour la réunir à Adrien pour l’éternité. Voulant garder sur terre, avec son mari, un lien aussi tenu soit-il, elle avait appel sa boutique “ Céline-Adrien “. 

En 1924, après la mort de Lucienne, seule avec ses enfants, Céline n’eut qu’une idée en tête: fuir Beauvais peuplé de fantômes et de souvenirs. Le temps de régler ses affaires, avec son héritage et la vente de la quincaillerie, en 1925 Céline s’enterra dans l’anonymat de Paris, et créa une petite boutique de vêtements et de retouches, rue du Renard, pas loin de l’Hôtel de Ville. La mère et la fille travaillaient ensemble, mais au fil des ans, Céline baissait les bras et laissait la direction de leur commerce à sa fille.

Les disputes politiques, entre frère et sœur étaient nombreuses, les thèmes étaient toujours les mêmes; pour Julien les mouvements revendicatifs des rouges étaient téléguidés par Moscou. Thorez, un vendu aux soviets. Les juifs dirigeaient la France. Arlette rétorquait qu’il fallait être bête pour prêter l’oreille aux attaques verbales des fascistes de tous bords. Que les avancées socialistes étaient ce que la classe ouvrière avaient gagnée de haute lutte et elle méritait que le fruit du travail soit partagé entre tous. Etc...etc... Ils ne cessèrent leurs disputes, que lorsque Céline excédée leur demandait de se taire. Faute de combattants, leurs chamailleries s’espacèrent. Le 3 juillet 1938, Arlette et Pierre Nimier, nommé instituteur à l’école primaire des Francs Bourgeois, rue Saint Antoine célébrèrent leur mariage et s’installèrent rue des Blancs Manteaux. Ils s’étaient rencontrés, côte à côte, distribuant les mêmes prospectus lors d’une manifestation socialiste.

Julien reçu son ordre de mobilisation le 1e septembre 1939. Céline ressentie tout le poids de la fatalité qui lui faisait vivre deux fois en 25 ans le même événement. Après son départ, elle n’osait plus s’endormir, persuadée qu’elle allait faire un rêve prémonitoire lui annonçant encore une fois la mort d’un être aimé. Elle avait toujours présent à l’esprit, dans tous ces détails, son cauchemar, le matin de la mort d’Adrien. Elle avait, dans sa mémoire, gravé à jamais, Julien éclaboussé par le sang de son mari. La signification pour Céline était simple, son fils devait lui aussi avoir une fin tragique et que le temps était arrivé.

Bien que voulant la guerre totale à l’ouest comme à l’est, Hitler avait retiré les leçons de la grande guerre. Il ne voulait pas répéter l’erreur d’attaquer sur deux fronts en même temps. Pragmatique, le 23 août 1939, il signe avec Staline, son pire ennemi, un pacte de non-agression dont une clause secrète allait règle le sort de la Pologne, des réfugiés russes en Allemagne et des antifascistes allemands réfugiés en Union soviétique. Ce traité, permettait également, à Hitler et Staline de rayer la Pologne de la carte. Le 1e septembre, sous un prétexte fallacieux, l’armée allemande franchit la frontière polonaise. Le 3 septembre conformément à l’accord de garantir la sécurité de la Pologne, la France et l’Angleterre déclarent la guerre à l’Allemagne. Le 17 septembre, L’URSS, à son tour, envahi la Pologne. Les deux cosignataires du pacte germano-soviétique dépecèrent et se partagèrent le pays conquis en cinq semaines sans que la France et l’Angleterre ne tirassent un coup de feu. Le 7 septembre Il y eut bien une attaque en direction de la Sarre, mais le 16 octobre l’armée française se replia sur la ligne Maginot et ce fut le début de la “ drôle de guerre “qui doit son nom à l’inaction des armées alliées pendant neuf mois. Le 26 septembre, un mois après le pacte germano-soviétique le parti communiste français fut dissous et ses adhérents pourchassés. Les soviétiques criaient haut et fort que les impérialistes français faisaient la guerre à sa classe ouvrière. La population était anesthésiée par la propagande anti - anglaise des communistes et des fascistes. Le 10 mai 1940, les Allemands envahirent la Belgique et la Hollande. On ne saura jamais si la ligne Maginot, construite entre les deux guerres, réputée imprenable était réellement imprenable. Comme d’habitude les Français attendaient l’ennemi ou il ne fallait pas. Comme d’habitude les Allemands envahirent la France par la troué des Ardennes et rompirent le front Français à Dinan et Sedan pour foncer vers la mer et encerclés l’armé française en Belgique. Ce que l’Allemagne n’avait pas réussi en 1914 fut une parfaite réussite en 1940 : prendre les armées alliées en tenaille. Comme à la parade, la Hollande fut conquise en cinq jours, la Belgique en 18 jours. Après la déroute des armées anglo-belgo-françaises, le maréchal Pétain, chef du gouvernement signe l’armistice avec l’ennemi, le 22 juin 1940. 

François Legros et Julien Langier s’étaient liés d’amitié peu de temps après leurs mobilisations. Cantonnés à Mezière dans le même bataillon, ils étaient très vite devenus bons copains. François, parisien du quartier de Grenelle, dont le père était un ancien Croix de Feu avait tout pour plaire à Julien. Lorsqu’il parlait, Julien s’entendait penser. Ils avaient en commun leur hargne contre la démocratie, les Francs-Maçons, les juifs, les bolchevistes, le défaitisme et le pourrissement de l’armée française. Nos deux compères, pendant les 9 mois de la drôle de guerre, s’ennuyèrent ferme et eurent le temps de se monter un peu plus le bourrichon contre la racaille et les métèques étrangers devant maintes bouteilles de vin. Et puis tout à coup, le 13 mai ce fut l’attaque aérienne dévastatrice des bombardiers allemands et le déferlement des chars dans les Ardennes. La guerre en devenant meurtrière n’était d’un seul coup plus drôle du tout. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, l’armée française fut défaite.

Legros et Langier, abandonnèrent leurs armes, Leur régiment décimé et sans savoir d’où venaient les coups, sans avoir combattu, ils rejoignirent la route de Soissons. À perte de vue, une colonne de véhicule divers ; voitures automobiles, charrettes, carrioles chargées de valises et matelas et un bric à brac d’objet divers que les fuyards considéraient comme précieux, indispensable dans leur sauve-qui-peut. Du monde, beaucoup de monde à pieds marchait lentement sous le poids de baluchons, des sacs à dos. Certains poussaient un landau bourré jusqu’à la gueule, d’autres une bicyclette chargée jusqu’au guidon, suivi par des enfants visiblement exténués. Englués au milieu de ce cortège hétéroclite des soldats anglais, français et belge. Semer la panique est une arme de guerre. Des Stukas mitraillaient les convois improvisés provocants des cavalcades vers les bas-côtés de la route ; tant pis pour ceux qui n’avaient rien vu venir.

A Rethel, d’un commun accord, Legros et Langier quittèrent le convoi et par des voies secondaires arrivèrent à Montcornet. Legros entraîna Langier vers une ferme qui semblait abandonnée. La porte était ouverte et les poules indifférentes à la connerie humaine, picoraient et caquetaient jusque dans la cuisine.

Nos deux compères n’avaient rien mangé depuis deux jours. N’ayant rien trouvé dans la maison, ils gobèrent avidement des œufs dénichés dans le poulailler. Langier voulu tordre le coup à un poulet et le faire cuire. Legros l’en dissuada, --- Le feu pourrait nous faire repérer. Nous devons réfléchir et décider de la marche à suivre ; je n’ai pas envie d’être rattrapé en uniforme par l’avance des boches.

---Tu as raison, essayons de dégoter des vêtements civils et nous trouverons bien un moyen de rejoindre Paris. Dans la buanderie, deux vieilles salopettes sales et rapiécées eurent raison de leurs uniformes et ils s’empressèrent de brûler leurs livrets militaires. Dans un hangar, plusieurs bicyclettes abandonnées par leurs propriétaires ; ils choisirent celles qui semblaient en meilleur état.

Il était trois heures de l’après-midi. Le silence était total. Dans cet environnement champêtre la guerre pourtant toute proche semblait lointaine...irréelle. Legros, plus résolu avait dès le début de leur fuite pris la direction des opérations.

--- Nous allons nous reposer, je pense qu’il est plus prudent de se déplacer de nuit et dans la mesure du possible nous ne prendrons que des petites routes de campagne.

D’abord à vélo, avant que ceux-ci ne rendent l’âme, puis à marche forcée, de nuit, ils évitèrent les nationales, passèrent par des villages fantômes aux noms inconnus. Le premier jour, ils dormirent dans une grange près de Vailly. La deuxième nuit ils franchirent l’Ourcq à Fère en Tardenois. Ils coupèrent la D1 et eurent la chance de trouver à Neuilly St Front, une maison délaissée par leurs occupants. Ils purent enfin faire une toilette digne de ce nom. En fouillant dans les tiroirs de la chambre à coucher, Legros trouva des vêtements propres. Ils dînèrent d’une boîte de petits pois et d’un vieux morceau de fromage trouvés dans un garde manger. --- Je me sens revivre, dit Langier. As-tu déjà pensé que nous sommes des déserteurs.

--- Non, pas des déserteurs, notre mouvement est un repli stratégique, rigola Legros en employant ironiquement des termes militaires. Nous nous replions en bon ordre. C’est l’armée entière qui déserte. Les boches sont en train de nous baiser la gueule. Notre armement est nul, nos chefs sont nuls. Et nul + nul ça fait double zéro. Je n’ai pas envie que par la connerie de nos supérieurs, nous soyons arrêté comme prisonnier de guerre.

De nuit, par des petites rues, ils entrèrent dans Paris par la porte de Pantin, le 12 juin, juste six jours après leur folle escapade et deux jours avant la proclamation du général Hering déclarant Paris, ville ouverte. En évitant les barrages de gendarmerie, dans la capitale déserte, ils arrivèrent rue du Renard à 5 heures du matin. Céline, folle de joie serra Julien dans ses bras et accueilli chaleureusement son ami François. Après un bon bain et un vrai repas, ils dormirent toute la journée. Le lendemain, François téléphona à son père, qui vint le chercher en voiture. Paris n’était plus la ville lumière mais la ville panique. Les événements avaient gommé toutes traces de civilisation. Les gares de Lyon et d’Austerlitz débordaient d’une affluence ne pensant qu’à fuir pour le sud par les rares trains en partance pris d’assaut par une foule qui se bousculait, se piétinait, dans l’espoir d’avoir une place dans une rame qui ne partait peut-être pas. Paris se vide, Paris est exsangue.

Céline a décidé de ne pas bouger. ---Il y a 25 ans, les Allemands m’ont tout pris, ils ne peuvent plus rien contre moi. Arlette, ne voulait pas quitter sa mère et Julien préférait se terrer. Le 14 juin, Paris capitule, les Allemands entrent dans la ville.

Après trois jours de combat acharnés pour la défense de Lille, la 15e division d’infanterie motorisé, encerclé par l’armée allemande se rendit à l’ennemi le 31 mai. Pierre Nimier et quelques camarades réussirent à fuir vers Hazebrouck. A Wormhout, à court de munitions, il abandonnèrent leurs armes et leurs véhicules aux réservoirs vides. A marche forcée, ils refluèrent vers Dunkerque. Que pouvaient-ils faire d’autre ? La seule issue, encore possible, était la mer du Nord vers l’Angleterre.

Pierre Nimier eut la chance d’embarquer in extremis, le 4 juin, sur un bateau de pêche anglais. Durant cette sombre période, l’unique victoire des alliés, était surtout due à une erreur d’Hitler qui, contre toutes attentes et sans explications, le 24 mai, à la nuit tombée, donna l’ordre aux forces blindées de stopper à 35 kilomètres de Dunkerque. Cette bourde monumentale permit du 26 mai au 4 juin, l’évacuation de 350 000 soldats alliés encerclés. Churchill lui-même n’espérait pas en sauver plus de 50 000. Lorsque le 26 mai, le contre ordre fut donné, il était déjà trop tard. Les alliés avaient eu le temps d’organiser leur défense et continuer leur évacuation par mer.

La France était vaincue. Vingt-deux ans après l’humiliation subie par les Allemands en 1918, dans la même clairière, le même wagon, l’armistice est signé à Rotondes le 22 juin. Hitler exulte, il avait promis d’effacer cet affront et il tint promesse. À leur tour, les Français, le profil bas durent accepter sans conditions les clauses d’armistice des nazis ; subir la loi des vainqueurs. La guerre était terminée. Du 19 au 21 juin, plus de 1.500.000 soldats furent capturés, enfermés dans des camps provisoires. La plupart espéraient rentrer chez eux après la signature d’armistice. Comment pouvaient-ils savoir qu’une des 23 clauses de la convention précisait qu’ils allaient être dirigés vers l’Allemagne comme prisonniers de guerre. Après la signature d’armistice, l’ambiance entre Anglais et français se dégrada sérieusement. De peur que la flotte française basée à Mers el-Kébir ne tombe dans les mains des Allemands, le gouvernement britannique adressa un ultimatum sommant la marine française de se rallier aux Anglais ou d’appareiller pour les Antilles. Celui-ci fut rejeté et le 3 juillet 1940, Churchill ordonna la destruction de l’escadre qui fut anéantie au mouillage en moins de 15 minutes. Il y eut 1300 victimes parmi les marins français. Pierre Nimier faisait partie de la horde de soldats consignés pour ne pas dire enfermés dans l’enceinte du camp de Raleigh gardé par les Anglais. Aucuns d’eux n’avaient une idée de ce que pouvait être l’avenir. K.O. debout, ils ne savaient plus que penser ; fallait-il se battre avec les Anglais ? Fallait-il rejoindre la France ? Début juin personne ne savait si l’Angleterre allait continuer la guerre ou signer une paix séparée avec l’Allemagne, ce dont Hitler dans son euphorie ne doutait pas. Il ne comprit son erreur qu’après Mers El-Kébir. Suivant leur affinité, des petits groupes se formaient les uns pro-Pétain, les autres, continuer la guerre avec les Anglais. Début juin on ne pouvait pas encore dire pro-De Gaulle. Celui-ci arriva à Londre le 17 juin. Après la signature d’armistice, les discussions allaient bon train et nombreux étaient les militaires, surtout parmi les officiers, qui ne savaient plus ou était leur véritable ennemi. Les Anglais, qui les combattaient en Afrique du Nord ? ou l’Allemagne avec qui Pétain, toujours auréolé de sa gloire passée avait signé un traité d’armistice ? Se rallier à de Gaulle ? ou rester fidèles à Pétain ? Nombreux étaient les militaires dont le seul désire était de rentrer en France. En décembre 1940, 30 000 hommes : soldats et officiers, qui pour des raisons diverses, tels que la retraite, l’ancienneté, la famille et la peur d’être considérés comme déserteurs furent rapatriés en France. Ils allèrent rejoindre les camps de prisonniers en Allemagne.

En sens inverse, de plusieurs ports de France, par des actions Individuelles, des embarcations de fortune naviguent vers l’Angleterre.

Le lendemain de son retour en Angleterre, le 18 juin, De Gaulle parle à la BBC et entre dans l’Histoire. Par ses paroles De Gaulle donne une assise pour les Français de tous bords qui refusent la défaite et veulent continuer la lutte. Le 28 juin, avec une certaine réticence, Churchill reconnaît le général de Gaulle comme chef de la France libre. Durant les années de guerre, malgré des rapports difficiles, par sa ténacité, De Gaulle fini par s’imposer aux alliés.

Le 24 octobre, au rendez-vous de Montoir, Pétain, le vainqueur de Verdun, entrait dans la collaboration active avec l’ennemi. Devenu chef fantoche d’une France vaincue, dans son discours du 30 octobre, il dit entre autre “  ...une collaboration sincère a été envisagée entre nos deux pays... “.  Ainsi furent scellés pour un bon bout de temps les rapports entre l’Allemagne et la France coupée en deux. 20 millions de pétainistes dans la zone occupée, 20 millions de pétainiste dans la zone libre, et très peu de gaullistes. Exceptés quelques rares auditeurs qui n’y prêtèrent pas attention, personne n’entendent l’appel du 18 juin. Le 19 juin, plusieurs journaux de la zone libre publièrent le texte du discours occulté par la plupart des lecteurs. Les Anglais considèrent l’événement comme mineur, il ne fut pas enregistré.

Nimier n’était pas certain que combattre auprès des Anglais et suivre de Gaulle n’était pas considéré comme une trahison. Après réflexion, il pensait que c’était un faux problème et qu’il fallait voir les choses simplement ; l’Allemagne occupait son pays, c’est donc l’Allemagne qu’il fallait combattre. La seule chance de libérer la terre de France ne pouvait venir que des combattants de l’extérieur et s’il fallait s’allier aux Anglais, et bien c’était un moindre mal. Dans les différents centres de rassemblement des soldats de l’armée française, les émissaires du général avaient beaucoup de difficultés pour convaincre les hommes de s’engager dans les Forces Française Libres. Lorsque le représentant du général vint au camp de Raleigh, ils furent peu nombreux à dire oui. Nimier fut l’un de ceux-là.

Les 2000 hommes de la première brigade de la France libre défilèrent à Londres Le 14 juillet 1940. Sur le sol anglais, dans les colonies et dans le reste du monde, les Français restaient divisés ; malgré la défaite de leur pays, il n’y avait, moins que jamais, d’union sacrée contre l’envahisseur. Cette éternelle désunion existait dans la résistance. Au départ peu nombreux, ils n’étaient pas forcément anti-pétainistes, et pas nécessairement gaullistes. En 1943, une bonne vingtaine de réseaux de toutes tendances politiques, dogmatiques et religieuses refusaient de s’entendre et Jean Moulin, avant d’être trahi eut beaucoup de mal à fédérer une douzaine d’organisations.

Pierre voulait combattre et savait que certains Français étaient parachutés en France pour rejoindre les premiers réseaux de résistance et des filières d’évasions, qui timidement commençaient à s’organiser. Il se porta volontaire. Il fut reçu par le colonel Dewavrin, dit le colonel Passy, chef du 2e bureau de l’état-major du général de Gaulle, dans une petite pièce, sommairement meublée. Quelques papiers éparpillés sur une table, un téléphone et deux chaises. Près de la fenêtre, un classeur en bois à volet roulant.

Nimier fit le salut réglementaire et resta au garde à vous.

---Asseyez-vous, proposa le colonel en désignant la seule chaise disponible.

Pendant une vingtaine de secondes, il resta silencieux, les deux coudes sur la table, les mains sous son menton, observant son vis-à-vis.

Puis à brûle-pourpoint. --- Que voulez-vous exactement ?

Pris de court, Nimier bredouilla qu’il n’acceptait pas la capitulation et qu’il avait entendu dire que des Français étaient parachutés sur le sol national pour continuer le combat. Au fur et à mesure de ses paroles, sa voix se raffermit.

---C’est vraiment ça que vous voulez ? Ce n’est pas facile de vivre dans la clandestinité, toujours sur le qui-vive, ne faire confiance à personne. Vous êtes marié ?

---Je sais que ma femme pense comme moi. Elle ne supporterait pas de me savoir inactif en Angleterre.

--- Je vous demande de réfléchir. On en reparle dans quelques jours. Une fois votre décision prise, il sera trop tard pour faire marche arrière...sauf si je le décide.

Le colonel Passy se leva, signifiant que l’entretien était terminé.

En avance pour son rendez-vous avec le capitaine Laffond, Pierre Nimier faisait les cents pas devant le Carlton Garden. À l’heure fixée, celui-ci ouvrit la porte de son bureau ; Pierre Nimier attendait, assis sur un banc. Le capitaine sourit,--- C’est bien je vois que vous êtes ponctuel. Entrez.

---Ponctuel et impatient de vous rencontrer.

---Assoyez-vous. Venons-en au fait, je vais être votre instructeur pendant six mois. Il lui tendit un papier,---Voici l’adresse ou vous devez vous rendre chaque matin à 7 heures.

Pierre Nimier subit un entraînement intensif en différentes disciplines tel que le parachutage, la manipulation radio et l’art de se camoufler.

Son stage terminé, le sourire aux lèvres, le capitaine Laffond lui tendit une enveloppe,---Voici vos papiers Monsieur René Valet. Retenez bien les détails de votre nouvelle identité. Votre mission, ne sera de vous battre avec des armes, mais de nous transmettre le plus de renseignements possible sur les Allemands. N’essayez pas de distinguer ce qui est valable ou non. Nous ferons le tri.

Enfin, il fut décidé qu’il serait parachuté le 17 octobre 1941, dans la zone sud, du côté de Vierzon. Du matériel radio, récupéré par la résistance sera parachuté quelques jours plus tôt. À Paris, votre mission consiste à devenir opérateur radio d’un petit groupe d’opposants dans la capitale. Vous avez sept jours pour établir le contact avec un certain André Chauvin au “Ballons des Vosges “ en face de la gare de l’Est. Pendant une semaine, il vous attendra chaque jour de 12 h 30. À 13 heures Les Essais de Montaigne bien en évidence et lisant Paris-Soir.

Arlette regrettait amèrement son pacifisme acharné des années qui précédèrent la guerre. En 1938, elle ne voulait pas croire son mari, lorsqu’il affirmait qu’Hitler nous entraînait vers un conflit et que comme d’habitude nous étions pas prêt.

Arlette la conscience plus social que politique pensait qu’il valait mieux construire des logements décents pour les ouvriers plutôt que des canons. Elle avait omis une règle simple ; on ne peux pas faire la paix tout seul. Jusqu’au début du mois de mai, elle avait reçu plusieurs lettres de Pierre. Depuis, plus rien. Malgré son silence, elle restait confiante. Elle se remontait le moral en se disant que s’il était prisonnier ou mort, elle le saurait. Elle attendait donc patiemment qu’il refasse surface. 

A suivre...


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