L'étincelle de ma vie

Candice Caillaud

L'on dit des voyages qu'ils "forment la jeunesse". La mienne fut aux antipodes car ce fut ma jeunesse qui forma mes voyages. Comment est-ce possible? Eh bien, dans l'histoire de mon existence, je n'ai pas eu la chance d'en faire. C'est au cours de cette jeunesse acculée que mes voyages se sont formés. Une jeunesse prenant place dans une chambre sombre, calfeutrée, où régnait un silence pesant.


Quand je me suis rendue compte pour la première fois de l'existence de cette pièce obscure qui m'emmurait, j'ai pris peur. Je ne bougeais pas, tentant d'analyser un mouvement qui n'existait pas, un son qui n'existait pas, un monde qui n'existait pas. Après de longues minutes, rien ne semblait évoluer, c'est ainsi que j'ai pris la décision de me lever pour tenter d'explorer cet enténébré infini. Mes pas se firent furtivement, du bout du pied. J'essayais de ne pas poser le pied-à-terre. Aujourd'hui j'expliquerais ça par un instinct, une impulsion qui m'instiguait à glisser sur ce monde qui n'était pas le mien. Un monde qui me semblait irréel par la froideur du parquet sous mes pieds.


Soudainement, comme une claque que l'on peut prendre, mon pied se heurta à un objet que j'entendis glisser de quelques centimètres. C'était un bruit fluide, le genre que l'on ne peut matérialiser, qui n'avait pas de force pure. Un bruit qui s'éloigne quand on s'approche. Peut-être celui de la fumée qui s'envole et se dissout dans les airs. Je l'ai aimé ce premier bruit. De longs instants se sont passés avant que je ne me résoude à m'agenouiller et à tâtonner le sol à la recherche de cet objet de ma concupiscence. Quand enfin, mes doigts parvinrent à retrouver l'objet de leur convoitise, un frisson s'empara de moi, moins de peur que d'excitation. Je les laissais se balader sur cette énigme, la contourner afin d'en prendre pleinement connaissance. Aujourd'hui je n'aurais plus les mêmes mots pour la définir, mais ce qui me frappa à cet instant fut sa régularité. Cet arcane laissait sur mes doigts des petites particules presque indiscernables, ce que plus tard je découvris comme étant de la poussière.  A mesure que mes doigts se baladaient, je décidais de le soulever. Du haut de mes quelques années d'existence, je ne pu le porter et il chu dans un bruit soudain.


A cet instant précis, je vis qu'il s'était fendu, laissant place à une ardente lumière, aveuglant mes yeux pendant quelques instants. Aujourd'hui je peux affirmer que ce fragment d'éternité n'allait être rien d'autre que l'étincelle de ma vie. Le sibyllin objet qui se tenait devant moi émettait sa propre lumière, qui se reflétait désormais tout autour de moi. C'est ainsi que je pris conscience du monde qui m'entourait. J'étais au milieu d'une pièce aux murs peints de blanc. Je suis restée ce qui me sembla être des heures, les yeux plongés dans cette couleur qui me renvoyait non pas à des souvenirs mais à des songes. Des songes nouveaux. Après cette incommensurable découverte, mon attention se reposa sur le livre ouvert devant moi. Les mots guidaient mes doigts sur ce papier. Je ne savais pas lire. Mais j'imaginais que chaque mot était un dessin, une image. Je créais un petit animal de ce “s” sinueux et un trou de ce “o” régulier. Je créais une arme de ce “l” majestueux et un chemin de ce “y” incertain. Mes voyages se faisaient de plus en plus nombreux à chaque mot et, en une page, j'avais déjà créée ma toute première exploration.


Alors que je tentais de ramener mon esprit à la réalité, je tournais une page. Le spectacle qui s'offrit à mes yeux n'avait nul antécédent. Les couleurs semblaient danser sur cette feuille blanche. J'observais sans cligner des yeux chaque trait, chaque saut et chaque vibration du dessin qui s'offrait à moi. Je m'imaginais danser, tournoyer et virevolter le long de ces courbes. Plus tard, j'appris que ce fut ma première découverte du monde. Chaque ligne étant la côte qui séparait la terre de la mer. Mon esprit désormais ne faisait plus qu'un avec ce livre devant moi. Chaque page se tournait et mon âme sautait, volait au rythme de ces linéaments d'infini.


Le temps fuyait, mais il fuyait avec moi. Les secondes devenaient des heures. Les heures des minutes. Les minutes des années et les années des jours. Mes voyages se faisaient de plus en nombreux, chaque page en était empli. Je survolais tantôt la Chine, tantôt l'Amérique. A ma guise j'explorais le paradis puis quand bon me semblait la Lune. J'osai même un pied sur Saturne avant de plonger dans le nuage de Magellan pour réattérir en Antarctique. Les vents guidaient mes rêves qui guidaient ma vie.


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