L’ETOILE DU BERGER

Emmy Jolly


 Le vent a cette chaleur inhabituelle en cette journée d'octobre. Il éparpille des rires joyeux qui s'étendent parmi les rues déjà assombries par le temps. Les maisons aux fenêtres illuminées arborent ces drôles de visages ronds orangés qui sourient sournoisement. Ils sont à la fois effrayants mais si attrayants. Des flammes dansent et s'allongent dans le ventre de ses figures fantasmagoriques aux rires aiguës qui ovationnent leur facétie.

         L'heure incertaine laisse place à des petites sorcières aux regards innocemment méchants, des vampires attendrissants, des monstres terriblement attirants. Ces petites formes cachées derrière des masques hurlants, éloquents et douteux.

 

         «   -Des bonbons ou la vie !!!

-C'est comme ça qu'on dit ? S'interloque un petit fantôme aux yeux exorbitants alourdit d'un visage pâle.

-Josie, laisse nous faire, ordonne alors une sorcière à l'air sévère.

-Oui, reste derrière, rajoute un petit démon aux dents crochues et aux yeux noircis dont le maquillage fond déjà par la pluie qui commence à tomber. »

Ils s'enfuient en courant lorsque la porte se referme et que leurs bourses en plastique sont remplies à ra bord.  Des bonbons tombent à toutes volées sur la route glissante et mouillée.

« -Josie dépêche-toi, s'agace une de ses petites sorcières dont les cheveux s'effilochent malencontreusement. »

Il faut dire que Josie n'a pas le plus beau costume pour cette tradition qui a pris des allures démesurées concernant une fête qui actuellement se perd dans des distractions à l'aspect jovial.

Elle est vêtue d'un simple drap blanc percé de trous et sali involontairement. Son regard triste est cerné par des yeux bleu gris sans vigueur et ses cheveux d'un blond cendré se collent à ses joues creuses. Ses mains tiennent un minuscule petit sac en tissu que sa mère a mis tant de mal à coudre.

 Ses camarades continuent leur marche bruyante dans un chemin obscur après avoir échappé à la vigilance de Mme Drapu, la surveillante en chef pour cette excursion qu'elle a si bien préparé depuis des semaines.

Josie hésite à les suivre mais ces petits monstres sont si bien décidés…

« -Allez, une dernière maison ! Crie Martin qui sautille dans son beau costume bleu et jaune de super héros…chez le vieux Frémont…. »

 

 Monsieur Frémont est connu pour être un mystérieux bonhomme habitant dans un hameau retiré du bourg de cette petite commune ; qui n'est pas à plus de cent mètres de l'école Ste Anne où étudient ces petits monstres. Il vit seul comme un ermite depuis bien longtemps et personne n'a jamais osé pénétré dans sa maison isolée au bout d'un chemin boueux et herbus.

Josie ne semble pas avoir peur de s'avancer dans cette voie difficile, drue et caillouteuse. Il faut être courageux quoi qu'il arrive, lui a toujours répété sa mère. Ses mots résonnent en elle à cet instant.

 

«  -J'ai peur Alice, s'exclame Susie la seule petite princesse du clan. Sa robe rose pailletée si bien en ordre semble pourtant se perdre dans la noirceur de la nuit tombante.

-Prends ma main lui réponds Josie pour la rassurer.

-Pas besoin c'est une grande fille ! Lui répond méchamment la petite sorcière au regard mesquin et vil. (Normal on n'a pas peur chez les Beaumet !). Allez, viens à côté de moi et tais-toi ! commande-t'elle ensuite à sa petite sœur de deux ans sa cadette. 

 -Le vieux Frémont, il paraît qu'il trucide les gosses comme nous !!! Et tu sais comment je le sais, c'est mon grand frère qui me la dit !!! » S'écrie Angelo, le petit démon paré d'une cape rouge sifflotant au vent. Il s'exclame avec un orgueil ahurissant et effectue une pirouette en frappant du pied dans une flaque d'eau arrosant sa voisine Louise qui hurle de désespoir face à cette tâche incongrue, pourtant minuscule, sur sa si belle tenue de Frida.

 

Une rumeur ce n'est rien d'autre qu'une rumeur ! Josie le sait bien, toutes ces histoires que les grands racontent, c'est pour faire peur aux enfants afin qu'ils ne s'approchent pas d'un lieu interdit, dangereux. Ils font tout ça parce qu'ils veulent les protéger, enfin ils pensent pouvoir les protéger. Mais ils les enferment dans un monde imaginaire qui les font défier encore plus la réalité même si celle-ci est risquée ou douloureuse. Seulement ils ne sont pas bêtes quand on leur dit de ne pas faire telle ou telle chose la tentation est évidente,  ils plongent quand même dans cette crainte fascinante.

 

Josie n'a que 9 ans mais elle semble déjà assez mûre pour son âge. C'est peut-être normal quand on est ballotté d'un endroit à un autre depuis son enfance, qu'on ne côtoie jamais les mêmes personnes, pas d'amis à qui se rattacher puis qu'il faut les quitter un moment ou à un autre. Et c'est comme ça depuis toujours, depuis que son père est parti quand elle avait 2 ans et que sa mère est restée seule, si seule…pour l'élever du mieux qu'elle le pouvait. Puis aujourd'hui elles ont atterris dans ce village, c'est si différent de ces grandes villes aux immeubles horribles, à ses trottoirs souillés et ses passants mornes, indifférents et déroutants.

Ici, c'est un véritable changement, c'est la tranquillité…Les gens beaucoup plus accueillant vous regardent, peut-être parfois trop d'ailleurs. Josie se demande pourquoi sa mère est venue se loger dans cet endroit isolé en pleine campagne.

« -Regardez c'est la maison du vieux Frémont là-bas…chuchote Martin qui tout à coup ne se sent plus aussi bien dans la peau de son super héros.

-Pourquoi vous voulez absolument y aller, ronchonne  Josie

-C'est pour s'amuser, t'es vraiment pas marrante, réplique Alice, si tu veux vraiment pas y aller on t'oblige pas à nous suivre. »

Depuis qu'elle vit dans cette bourgade, Josie n'a pas l'impression de s'être réellement intégré, elle perçoit tellement de réticence vis-à-vis de ses camarades, elle se sent rejetée tout simplement, incomprise. Elle, cette petite citadine taciturne qui ne porte pas le dernier jean's à la mode, ni les supers chaussures, et ni les bijoux fluos derniers cris. Non, mais peu importe, là maintenant, elle suit ces cinq petits monstres qui ne lui accordent d'ordinaire aucune attention.

Tenant leurs torches et leurs paquets si précieux dans leurs mains, ils arrivent devant une maison s'identifiant plus à un taudis qu'à une habitation. Des tôles sont entassées ça et là, un énorme tas de bois jonche le sol devant une fenêtre dont les contours ne se distinguent même plus. Des petites cabanes encombrées d'épines et de ronces abritent on ne sait quoi…avec des morceaux divers éparpillés dont l'odeur nauséabonde donne des sursauts de dégoût.

« - Il paraît que le vieux Frémont s'amuse à attirer les enfants chez lui puis qu'après il les enferme dans sa cave pour les donner à manger à ses chiens…des bêtes énormes…qui sont hauts et gros comme ça !!! Angelo lève alors les bras pour mimer une taille gigantesque à des bêtes qui s'apparenteraient plutôt aux animaux légendaires qui peuplent les films d'horreur.

-Moi j'ai entendu dire qu'y avait un petit garçon qu'avait été retrouvé dans le lac à côté, juste là, s'exclame Martin en montrant du doigt une petite mare non loin des arbres qui érige les sous-bois d'une forêt.

-Bon, moi je dis que c'est Josie qui doit aller frapper à la porte, rétorque Alice

-J'ai peur, grelotte Susie…je veux rentrer à la maison »

C'est vrai que ce lieu n'est pas très accueillant, la forêt à côté laisse présager un éventuel danger. Josie ne se sent pas vraiment à l'aise, ni même aucun d'eux d'ailleurs mais trop tard pour reculer…Des frissons lui parcourt le corps par le vent froid qui se réveille subitement.

« -C'est quoi ça ? S'écrie Martin apeuré par un petit cri bizarre qui retentit dans ce silence pesant.

-Ce n'est qu'un hibou pauvre cloche, répond Angelo. »

La pluie fine s'est enfin dissipée, la maison n'est pas éclairée et il semble qu'il n'y ait personne. Aussi prenant son courage à deux mains et réconforté par la lueur de la lune qui daigne enfin se montrer, elle frappe délicatement sur cette grande porte grise et maussade.

Ses yeux s'attardent ensuite sur l'inscription là-bas, ce petit panneau blanc, elle y distingue alors au faible éclairage de sa petite lampe le nom du lieu-dit « l'Etoile du Berger. Elle sert alors fortement son pendentif caché sous son drap blanc, une petite étoile que sa mère lui a donné. Ce collier qu'elle a découvert un jour dans un vieux coffre à bijoux en forme de cœur.

«- C'est l'étoile du Berger…lui avait-elle dit. Regarde comme ce collier te va bien ma Josie.

Sa mère l'avait alors contemplé avec un regard si tendre qu'elle en avait frémit de plaisir.

Mais tu sais ma Josie, en réalité l'étoile du Berger ce n'est pas une étoile…, c'est une planète. 

-Comme le soleil ? lui avait-elle alors répondu avec sa petite voix émue

-Non le soleil, lui, c'est une étoile. Et sa mère l'avait enlacé fortement en souriant.

 L'étoile du Berger c'est Vénus, et Vénus c'est la déesse de l'Amour… »

Elle l'avait alors pris encore plus énergiquement dans ses bras et s'était mise à la chatouiller. Puis, elles s'étaient lancées dans des éclats de rire qui savaient si bien les unir.

 

« -Frappe plus fort, marmonne Alice dans un agacement non dissimulé.

« -Vous voyez bien qu'il n'y a personne, allez on y va, s'énerve Louise

-Et venez voir là, c'est ouvert… »

En effet, il y a une autre porte sur le côté et Angelo, s'y introduit avec audace se sentant soudainement empreint d'une force intrépide. Mais sa fierté a des limites et une fois à l'intérieur, il reste poltron sur le paillasson. Il fait si noir et cette pièce sinistre le laisse inerte.

Josie le suit ne se laissant pas affaiblir par l'effroi et rentre dans cette demeure en désordre. A la lumière de sa lampe c'est apparemment la cuisine qui se trouve là, un grand buffet hautain est planté devant une petite table crasseuse où sont amoncelés des objets divers, de la vaisselle sale, des bouteilles vides, des journaux froissés. Cet espace si oppressant, chargé de mystère doit probablement renfermer des souvenirs d'une histoire passée.

« -Qu'est-ce que vous faites, susurre une petite voix à la porte. Les autres les rejoignent mais n'osent pas avancer. Ils restent à l'embrasure ne se risquant pas sauf Martin qui prit d'un élan de bravoure, retrouve Josie. 

-Y'a personne, marmonne t'il. »

 

Brusquement un chien se met à aboyer, suivi d'un autre jappement monstrueux retentissant encore plus fort.  Dans  l'effarement et l'agitation quelque chose tombe alors du buffet. Josie pointe sa lampe sur le cadre à ces pieds, elle se penche et prend la photo parmi les verres brisés pendant que les autres petits monstres s'échappent en criant et hurlant dans une frayeur incommensurable. Josie, quant à elle, s'attarde sur la jeune fille qui sourit sur la photo. Cela ne peut pas être le hasard, elle ressemble curieusement à sa mère, bien plus jeune évidemment. Elle en est persuadée cela ne peut être que sa mère, cette photo elle croit l'avoir déjà vu, mais où, elle ne le sait plus. Elle jette alors un œil sur l'autre photo intacte posé sur le buffet terrorisant, deux enfants côte à côte, un petit garçon et une petite fille posant devant un décor scolaire. Cette petite fille, des traits dans ce visage, ses yeux s'apparentent étrangement aux siens.

 

«  -Petite ! Qu'est-ce que tu fais ici ? » S'étonne un homme d'apparence sévère et austère, à la vue de ce petit fantôme.

La lumière éclaire alors la pièce et elle se retourne prise en flagrant délit. Puis son cœur qui tambourine dans sa poitrine bat si fort qu'il lui donne l'impression qu'il va se décrocher.

Elle ne peut rien dire, sa bouche pâteuse la laisse muette. Elle reste paralysée à la fois par la peur et la stupeur face à la photo qu'elle tient fortement dans ses mains moites.

Le vieux monsieur Frémont s'avance délicatement vers cette petite étrangère qui s'est introduit dans sa maison. Il ne paraît pas si vieux que ça finalement. Ses cheveux gris dégarnis et ses yeux clairs cachés derrière des lunettes ne le rendent pas si antipathique que ça en fin de compte.

« -On dirait que le chat à manger ta langue ! lui dit- t'il doucement en souriant. 

Josie ne peut plus bouger, elle a les yeux rivés sur ce drôle de bonhomme.

« -C'est ma fille sur la photo, lui dit t'il en ramassant le cadre vide et cassé.

 -Oh! , Mais tu sais, elle doit être grande maintenant. Et toi tu t'appelles comment petite ? Puis il reste bouche bée quand il scrute plus attentivement le visage de celle qui se trouve en face de lui. Elle te ressemblait d'ailleurs quand elle avait ton âge. Elle s'appelle Stella, dit-il les yeux attendrissants.

-Comme ma maman, lui répond alors Josie d'une petite voix fébrile. Puis sortant de sa torpeur et rassurer par la gentillesse du vieux monsieur, elle rajoute, Moi, je m'appelle Josie, Josie Latour. »

Elle lui tend la photo d'un bras tremblotant et s'en va en filant avec hâte, le cœur remplit de certitude.

« -Attends petite… »

Mais elle n'est déjà plus là et elle court à perdre haleine frissonnant d'exaltation par cette rencontre forfuite et inattendue. Ce voile blanc furtif chantonne au vent dans la nuit délicate et apaisante. Se sentant si légère dans son costume de drap blanc fait par sa mère, elle lève alors la tête vers un point lumineux. Une seule étoile, la plus brillante, orne le ciel et se distingue des autres.

Quant au vieux Monsieur Frémont, il contemple la photo qu'il tient à la main, celle où pose cette jeune fille souriante qui arbore au cou un pendentif en forme d'étoile… l'Etoile du Berger.

 

 

VENUS LADY

 

Les bougies tournées

Sur le banc des accusés

Le ciel déjà assombri

Clame sa vigueur

Parmi les larmes jaunies

D'une lueur qui se pâme en douceur

Lune, voilée de parade

Et toutes ces jolies mascarades

Un fantôme aux cheveux dorés

Petite Lady, tu frissonnes en liberté

 

Des chants d'enfants

Remplissent l'air impunément

De glorieuses idées réunies…

Si flamboyantes dans la nuit

Les membres engourdis

Une robe à la courbure nonchalante

Estampille des ailes envahissantes…

 

Les pas des alliés défilent

Ces rainures tranquilles aimantes

Incrustées dans l'or fébrile

Tels des rubans choyés

Lissés sur des chaussées luisantes

Sous l'emprise des âmes mendiantes

Reposent des mains tremblantes.

Une étoile s'est brisée

Filaments volants, éclatants

La peur est sur-jouée

Tu souris dorénavant.

 

Un coffret refermé avec prudence

Bois parfumé aux arômes d'enfance

Un château-fort tant de fois prisé

Et en ruine malgré les années…

 

Petit point lumineux d'argent

Un envol transparent

« Viens à tout vent

Viens dans l'instant présent … »

Ici et maintenant…

Les astres convergent

Cette petite Lady

Elle s'est enfuit mais elle sourit

Ce Fantôme étourdit

Où l'or de ces yeux émergent

Dans la nuit des temps…

 

C'est sur ce poème que ce referme ce chapitre. Un livre ouvert au hasard d'une rencontre d'un homme vieillit par la gaillardise et rougit par le temps se laisse momentanément enveloppé par le sommeil et une petite fille le regarde alors à la fenêtre sans oser franchir le seuil de la maison qu'elle contemple avec un respect fugace.


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