L’étrange ambivalence du cinéma iranien I

mazdak-vafaei-shalmani

Au cours de ces vingt dernières années, les salles obscures du monde entier, et d’Europe en particulier, ont vu éclore un genre à part dans le septième art : le modeste cinéma iranien. Le modeste cinéma iranien, à l’instar de ses cousins d’Europe occidentale et orientale, n’a rien de baroque, il ne se contente pas de dérouler des effets cinématographiques pour fasciner le spectateur, et lui faire oublier le temps d’un voyage dans le septième ciel qu’avant de montrer, le cinéma raconte. L’exemple le plus marquant de la prééminence du fond sur la forme dans le modeste cinéma iranien figure naturellement dans l’une des œuvres majeures de l’un de ses maîtres à penser, Abbas Kiarostami. Dans le Ten d’Abbas Kiarostami, deux caméras de type numérique sont fixés sur les portières d’un taxi, technique suffisante pour donner du tempo au film,  et la conductrice embarque ses clients  dans son fabuleux voyage à Téhéran offrant une grande fresque autour l’identité  de la société iranienne. Entre une prostituée et un enfant gâté, entre les histoires de mœurs et de divorce, Abbas Kiorastami peint la société iranienne sans tabous telle qu’elle devrait toujours être présentée. Ce décalage monstrueux entre le champ d’action très limité du réalisateur sur le plan technique, et sa capacité à dérouler des histoires caractéristiques d’une société au deux visages    n’est pas propre à Abbas Kiarostami et encore moins au modeste cinéma iranien. Hossein Makhmalbaf  en avait fait l’expérience dans « Salam Cinéma », et Jafar Panahi a atteint le paroxysme de cette méthode dans son non-film « Ceci n’est pas un film ». Les festivals européens ont l’habitude de fêter les réalisateurs qui jouent de leur génie en comptant leurs deniers, le salaire du pauvre en somme, ou qui s’impose des contraintes techniques pour coller au fond du film (The Artist),  mais il est vrai que peu de réalisateurs ont paradoxalement réussi à marquer les esprits en disposant de moyens quasi-illimités.      

 Cela dit le modeste cinéma iranien n’a pas les moyens de faire autrement. Oppressé par la censure, il réussit tout de même à porter un message politique ambitieux. Que ce soit Ghobadi, dans son film « Noone knows about  persian cats », ou Jafar Panahi dans son film “Offside”, le cinéma iranien dépeint l’image d’une société schizophrène où la République Islamique peine à évoluer au rythme de sa jeunesse, et où la question du droit des femmes est omniprésente, même si ce débat est pour le moment absent de la scène politique. Le modeste cinéma iranien est donc tiraillé entre des contraintes politiques et techniques, mais il n’en demeure pas moins un espace de contestation, un espace de vérité, le jugement de l’artiste est tout aussi cruel que celui des bassidji, l’artiste ne jette pas des pierres, mais calcine les débris d'une société en décomposition. Il faut savoir que beaucoup de metteur en scène iranien ont tourné leurs films au péril de leur vie, et qu’au jour d’aujourd’hui, Jafar Panahi, le réalisateur du  « cercle » est toujours assigné à domicile.  Là encore, il n’est pas étonnant de voir le cinéma iranien se développer à cette vitesse, connaître autant de succès, et  être aussi réactif. Sous l’Ancien Régime, les auteurs en France étaient tenus au respect du roi, et de l’institution royale, leur plume ne pouvait pas baver sur la monarchie. Pourtant, le « Gargantua » de Rabelais,  « les lettres persanes » de Montesquieu, par exemple, écorchent les institutions et mettent en évidence les anomalies du régime avec l’innocence et la naïveté d’un conte pour enfant. Les contraintes techniques et politiques donnent à une œuvre une autre substance, lui permettant de s’affranchir d’une vision trop directe, et appelant une réflexion plus poussée.

FIN PARTIE I (EN TROIS PARTIES ; DEUXIEME PARTIE COURANT OCTOBRE)

Signaler ce texte