Letters to Nowhere

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Biographie de Jude Sayre.

Quand tout commence étrangement,

ou L'histoire d'un jeune garçon prénommé Jude
une histoire contée par Valentina, écrivain à l'imagination fertile et chanteuse lyrique 


Une enfance "heureuse".

Un enfant ne choisit pas ses parents, pas plus que les parents ne choisissent leurs enfants... Phrase insignifiante, mais pouvant s'appliquer aux trois génération d'une même famille. Comment expliquer autrement la rencontre presque improbable entre une sage-femme irlandaise, issue d'une famille d'artistes, et un homme placé à la tête d'une société d'import-export, fils d'un psychologue reconnu aux États-Unis ? Enfants et parents semblent bien à mille milles les uns des autres. Et pourtant, quelque chose reliait bien plus cette jeune femme à ses parents qu'elle ne le pensait... Le Don. Qui ne s'était pas développé chez elle comme chez ses frères...

Un enfant naquit un beau jour, fruit de l'amour entre ces deux personnes qui nous intéressent. Un enfant qui fut nommé Jude en référence à... Enfin, nous attarder sur ceci ne servirait à pas grand-chose. Penchons-nous plutôt sur des événements étonnants qui apparurent dès les premiers mois de sa vie ; des objets changeaient de place de façon inexplicable, volaient d'un coin à l'autre de la maison où le couple vivait. Finalement, la mère, Guinevere, en tira la conclusion qui s'imposait d'elle-même : son fils avait développé le Don... Et vint le terrible, terrible aveux à faire à son pragmatique mari, lequel ne la prit pas au sérieux... Comment pourrait-on le blâmer pour cela ? Le temps seul pourrait l'aider à comprendre... Mais alors que les jours passaient, devenaient semaines, puis mois et enfin années, rien ne changea, ou presque. Jude, dès qu'il avait été assez âgé pour comprendre que son père n'était pas comme lui, avait cessé d'user du Don en sa présence. Finalement, le père s'éloigna de sa femme et de son fils, qui vécu cet éloignement comme un abandon. Ce qui le distinguait dressait un mur infranchissable entre eux.

Jude passa ainsi les premières années de sa vie dans la région de Dublin, avec pour tous précepteurs ses grands-parents. Alternant échappées dans la nature, cours de mathématiques, escrime, cours de choses, danse, littérature, lettres et équitation, il partagea tout avec eux. Mais bien plus avec sa mère qui lui fit découvrir la musique dès son plus jeune âge. A quatre ans, il improvisait au piano des mélodies tour à tour gaies ou tristes, avant de chercher à déchiffrer les partitions qui avaient élu domicile dans la chambre de sa mère, protégées par de jolies boîtes recouvertes de tissu. C'est aussi à cet âge-ci que le petit Jude se passionna pour les livres, et découvrit la chevalerie, les fées et tout un petit peuple de personnages qui pouvaient être attachants, effrayants, amusants, sympathiques, arrogants, et... Bref. Ne nous emportons pas dans les détails, le plus important à savoir est qu'il prenait plaisir à plonger au cœur de contes et des récits de toutes origines. Son préféré ? Le Morte d'Arthur, bien sûr ! Le célèbre récit dont le nom de sa mère fut tiré.


Évanescents souvenirs...

Son quotidien éclata en milles morceaux par un ensoleillé matin printanier alors qu'il avait tout juste huit ans. La raison n'était autre qu'un miroir, qui, fidèle à son poste depuis plusieurs décennies, se dressait sur le mur opposé au piano dans le salon de la demeure grand-parentale. Alors que ses doigts voletaient sur le clavier du piano, il entendit une toute autre musique, jouée par un violon. Curieux, n'est-ce pas ? A l'oreille, il en localisa la source. Elle se trouvait derrière lui... Le miroir, lorsque Jude se retourna, ne lui renvoya pas son reflet mais, comme une porte ouverte, ouvrait sur une autre pièce qui lui était inconnue. Et là, lui tournant le dos, se trouvait une frêle fillette. Il avait trouvé le chemin vers un Ailleurs que même son imagination n'aurait pu créer... A moins que ce ne soit ce chemin qui l'ait trouvé.

Toujours est-il que la fillette se retourna. Premier regard, premier contact... Les miroirs jumeaux enfin entrés en résonance grâce à la magie de la musique, ces deux âmes se trouvèrent pour la première fois. Personnalités semblables, sentiments identiques, mêmes passions. Jude et Katherine. Katherine et Jude. Les miroirs n'étaient pas les seuls à être jumeaux. L'enfant de l'autre côté du miroir lui ressemblait tant, humaine mais avec quelque chose dans son apparence qui la rendait différente des autres. Vous avez l'impression de revenir au premier chapitre de cette histoire ? Si seulement vous saviez...

Les miroirs permirent aux deux enfants de passer d'un côté à l'autre, sans distinction aucune... Mais vint le jour où le père de Jude choisit de faire son retour dans une vie qu'il avait si bien déserté plus de dix ans auparavant. Il prétendait vouloir voir son fils, mais ce dernier ne partageait pas ce souhait. Pris de rage, l'homme brisa le miroir sans savoir qu'il venait aussi de briser quelque chose de plus important... Un lien unique, tissé d'amitié et peut-être d'une chose plus profonde. Un aveu jamais clairement énoncé par l'un ou l'autre. Un secret, au même titre que leurs rencontres... Ou de l'existence de l'autre.

Avant que les débris ne retombent au sol, Jude avait crié, presque hurlé : « Je te jure que je te retrouverai ! » Il avait vu ce que personne d'autre que lui n'avait pu distinguer : une jeune fille, juste là, dans le reflet du verre sans tain. L'avait-elle entendue ? Cette jeune fille d'à peine dix ans, un archet à la main, son doux visage tout entier envahi par un sentiment ? Son chagrin de devoir perdre quelqu'un qui représentait tout pour elle s'y lisait si aisément...

Six ans après leur rencontre, le monde chavira... Sans le miroir, tout changea. Tout...

C'est à cette époque que Jude commença à écrire, des lettres destinées à celle qui avait été son amie, sa sœur d'âme, sa confidente... Une personne à nulle autre pareille et dont l'absence le glaçait chaque jour un peu plus. Des lettres destinées à Nulle-part, des lettres-chimères pour combler le vide mais qui finalement remplirent des boîtes et des boîtes, à défaut de pouvoir arriver à destination.


Un nouveau départ ?

Quelques années plus tard, en un mardi entré dans les mémoires de tous, un dernier incident marqua Jude à jamais. Il était quatorze heure, et comme tout après-midi ou presque, l'adolescent se morfondait dans sa chambre... L'impression de tout à coup tomber dans un puits sans fond s'empara de lui. Les ténèbres l'engloutirent sans même lui permettre d'émettre ne serait-ce que la plus infime protestation, avant de laisser peu à peu place à une multitude d'images, comme des souvenirs qui ne seraient pas siens et qui défilaient là, juste devant ses yeux. Un visage, surtout, revenait. Un visage inconnu... Comme tout événement étant délimité dans le temps, cette rétrospective finit par se terminer. Alors qu'il sortait avec difficultés de cet étrange rêve éveillé, une certaine conscience commença à émerger dans son esprit... A qui appartenait ce visage inconnu ? Quel était ce monde étonnant, si différent du sien ou de celui où Katherine vivait ?

La tête bourdonnant de pensées enchevêtrées les unes avec les autres, il descendit l'escalier qui menait au salon, sans prêter attention à la voix de speaker ému qui en montait. Une fois arrivé, incapable de prononcer un mot, il observa les images qui défilaient sur le poste de télévision que fixaient, à s'en user les yeux, sa mère et son grand-père. Une catastrophe était arrivée, et avait indéniablement un lien avec le maelström qui avait élu domicile dans sa tête... La coïncidence était impossible, le lien entre les deux, indéniable.

Jude avait maintenant une mission qu'il entendait mener à bien. 

Peu lui importait son père et ses incessantes irruptions, peu lui importait son enfance. Il avait grandi et, en à peine quelques heures, il était devenu quelqu'un d'autre. Oh, il était toujours le même, à cela près qu'il perdit ses mauvaises habitudes ; il recommença doucement à s'ouvrir aux autres, et surtout, ne restait plus cloîtré dans sa chambre. Il passa un nombre considérable d'heures à effectuer des recherches dans des centres spécialisés, à collecter indices et éléments. Tous le ramenaient indéniablement à quitter Dublin...

Aujourd'hui, Jude vit entre Bâton Rouge, capitale de la Louisiane, où ses grands-parents se sont établis pour un temps, et diverses villes où il se rend avec des amis artistes pour donner des concerts, parmi lesquelles New-York, Paris ou encore d'autres villes européennes. S'il continue à penser à la fillette des temps heureux, il recherche activement la personne dont le visage le hante depuis la catastrophe de septembre 2001... Ses innombrables voyages ne seraient-ils au final qu'un moyen de retrouver cette dernière ? 

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