Lettre à deux Amis Africains

jokari

discussion interculturelle à propos de religion.

Lettre à Adama et Mamadou.

 

 

Aujourd'hui, je ne sais pas pourquoi, j'ai soudain eu l'envie de vous raconter une histoire.

Une toute petite histoire, qui parle de vous, de votre amitié, et que je n'ai pas su achever.

 

Voilà :

Imaginez-vous deux amis marchant dans une rue de Dakar : ce pourrait être dans Lamine Gueye, ou Sandaga.

Un des deux amis est Africain, c'est peut-être toi Adama, ou peut-être Mamadou, je ne sais plus bien…

L'autre, c'est un Toubab que le contact avec la culture du pays ne cesse d'étonner chaque jour. Ce doit être moi, je pense…

Ils passent devant un mendiant, assis sur le trottoir qui leur tend la main.

Tous deux sortent une pièce de leur poche et la donnent au mendiant.

 

-         « Alhamdoulilay ! »

 

Après avoir repris leur chemin, ils restent silencieux et se laissent porter par la symphonie des sons de la rue qui les enveloppe de ses accords harmonieux et dissonants à la fois. Leur mutisme se prolonge un peu, les deux amis hésitent ; lequel va parler le premier…?

Là déjà, quelque chose ne va pas : je devrais sûrement le savoir, mais ça ne me vient pas… le lien entre le Toubab que j'étais et ce pays que j'ai pourtant aimé s'est de toute évidence un peu distendu...

 

Bon, on va dire que c'est mon ami Africain, avec la gentillesse un peu moqueuse que j'imagine :

 

-         «Alors, tu es content ? tu as bonne conscience : tu as donné… »

 

Le Toubab narrateur est un peu vexé : 

 

-         « Mais non, pas du tout ; d'abord je ne sais pas ce que c'est la bonne conscience : j'ai donné pour lui faire plaisir »

 

C'est vrai que la conscience pour un occidental n'est pas agréable à assumer, quand elle est précédée d'un adjectif : bonne ou mauvaise, elle sonne comme un reproche. Pourtant, l'essentiel est bien sûr d'en avoir une.

 

L'Africain s'étonne :

 

-         « Lui faire plaisir, à lui ? mais tu ne lui as même pas parlé, c'est tout juste si tu l'as regardé ! »

Là, c'est un cliché, je sais, car tout le temps que j'ai passé au Sénégal, je ne me lassais pas, du moins quand j'étais seul, du spectacle de la rue, des gens, et je consacrais du temps à parler aux mendiants, dont certains même, m'appelaient par mon prénom.

 

Le Toubab répond quand même de mauvaise grâce :

-         « Si, je l'ai regardé, mais on n'avait pas le temps de lui parler. »

-         « Pas le temps… chez toi, on n'a jamais le temps. »

 

Je sais qu'il a raison : une de mes grandes découvertes à cette époque était l'élasticité du temps. Je me suis parfois demandé si Einstein n'avait pas eu l'intuition de sa relativité au contact de Mère Afrique.

Mais n'interrompons pas notre Toubab :

-         « En fait, je lui ai donné pour l'aider parce que c'est mon prochain. »

-         « Ton prochain ? moi aussi je pourrais te dire : je ne comprends pas ce que c'est, le prochain. »

 

Je me demande si cette notion de « prochain » a germé en dehors des sillons chrétiens : je ne suis jamais parvenu à la faire comprendre à un Laïc hexagonal, alors… à plus forte raison à un Musulman d'outre-Méditerranée…
Essayons tout de même se dit le Toubab :

-         « Mais le prochain, ce sont les autres, on doit aimer son prochain, on doit l'aider, ce sont les valeurs que mes parents m'ont transmises, c'est ma culture »

-         « Ta culture ? ta religion, alors. »

-          « Enfin…oui, si tu veux, la religion relie les hommes, c'est elle qui leur permet de vivre ensemble. L'église nous demande de nous aimer les uns les autres. »

 

-          « Ah bon ? tu y vas, toi à l'église ? bien que tu sois seul ici ?»

 

-         « Mais oui : ça m'arrive d'aller le dimanche au Sacré Cœur. »

-          « tu dois vraiment t'ennuyer alors »

 

Le tout bien sûr accompagné d'un sourire malicieux…

 

-          « Pas tant que ça, mais si tu veux…. »

 

Un peu piqué au vif le Toubab, quand on met en cause la sincérité de sa pratique religieuse : Après tout, où est la force de l'habitude ? Que reste-t-il de la Foi sincère (si tant est qu'elle ait jamais existé …).
En tout cas, chez autrui, il y a sûrement un peu d'hypocrisie, non ? :

 

-          " Mais toi, par exemple, je sais bien que c'est ta religion qui t'impose de donner, ce n'est pas par amour du prochain… euh, je veux dire, par amour de tes semblables. »

-         « Bien sûr, il faut aider ceux qui sont pauvres, quand toi tu as de l'argent. »

-         « Euh … oui , c'est écrit dans le Livre, tu n'as pas le choix, en fait… »

-          « … »

Et là, je me suis arrêté dans mon histoire, parce que je ne savais plus ce que l'Africain aurait répondu.

En fait, j'avais oublié d'où venait cette générosité que j'avais tant aimée chez vous autrefois.

Ai-je même été conscient de ce que vous m'appreniez ?

Et les larmes me sont alors montées aux yeux, parce que je venais de réaliser à quel point vous me manquiez….

 

  • Ah, L'Afrique... On a du mal à s'en séparer une fois qu'on y a gouté.

    · Il y a plus de 7 ans ·
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    Marcus Volk

    • oui, c'est d'autant plus fort que le désir d'intégration était grand...

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Wings

      jokari

    • Trop de toubab en vous pour réussir.

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Img 1660

      Marcus Volk

    • oui, je l'ai compris depuis.

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Wings

      jokari

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