lettre à l'absent

Valérie Pascual

Du fond de ma mémoire, je revois ton vélo jaune

Hâtivement jeté contre les étagères

Après tes escapades forestières de faune

Tu revenais en sueur vers ton grand-père.

Le cœur léger comme une plume

Tu saisissais au hasard un volume

Le regard fiévreux tu te laissais emporter

Vers des aventures, d’autres cieux, d’autres contrées

Tu plongeais dans ses livres

Pour savoir tout de lui

Les auteurs, les mots qui le rendaient ivre

Te rapprochaient de ce vieux au regard qui fuit.

Ta bicyclette pleine de poussière

Appuyée là depuis tant d’années

Parle de toi et de ta quête amère

D’un amour qu’il t’a refusé.

Mais pourquoi est-ce que j’écris en vers ? C’est idiot ! Il parait que je trousse de jolis poèmes, mais pour m’adresser à toi, mon disparu, et par lettre, ça n’a pas de sens.

Dix ans donc aujourd’hui. J’ai laissé passer les neufs précédents anniversaires en les ignorant, en vivant ma journée comme toutes les autres. Mais cette année, j’ai eu soudainement envie de faire revenir mes souvenirs à la surface.

Les tendres souvenirs, comme ton vélo contre les rayonnages de vieux livres dans l’atelier au fond du jardin, et les durs, comme ce jour ou tu n’es pas rentré. Je t’ai attendu mon petit, longtemps. Des jours et des jours, rôdant devant ta porte. Puis je suis enfin entrée dans ta chambre et j’ai découvert la photo, sur ton bureau. Je l’ai prise, je l’ai montrée à ton grand-père qui a haussé les épaules et je l’ai rangée dans mon portefeuille. Elle y est toujours. Je la regarde souvent.

Hier, toujours pour me rappeler, je l’ai ressortie.

Tu me l’avais dit à plusieurs reprises, je suis lente à comprendre, les gens et les choses. Quand ton père a commencé à parler de cette couturière plutôt accorte, je n’ai rien vu venir. Alors cette photo, sans message… Elle ne me parlait pas. Dix ans, c’est le temps qu’il m’a fallu pour comprendre, pour penser à lire les mots sur l’ardoise accrochée au mur.

Ce n’est pas la photo que tu as laissée derrière toi, ce sont ces mots. « aimez-vous l'un l'autre et vous serez heureux. C'est aussi simple et aussi difficile que ça »

Cette nuit d’autres mots, les miens, ont commencé à s’assembler dans ma tête, formant un début de poème et des phrases que je couche maintenant sur le papier.

Tu as manqué d’amour. Celui de ton père, donné plus volontiers à ses autres enfants. Celui de mon père, qui aurait pu prendre soin de toi. N’ayant élevé qu’une fille, il croyait que les garçons, ça se traite à la dure. Tu voulais des sourires, il t’a rudoyé. Il t’aimait, mais il ne l’a pas montré. Tu es parti.

J’espère que là où tu es, tu auras trouvé tout l’amour que tu cherchais. Il y a sans doute une bicyclette et des livres autour de toi.

Mais où ai-je la tête ? A quelle adresse t’envoyer cette lettre ? Peu importe, je la confierai au facteur avec ton nom sur l’enveloppe.

Je t’embrasse, mon fils absent.

Maman

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