Lettre à l'âge

nord--est

Dans la fleur fanée de l'âge.

Quelle drôle d'introduction je t'offre là…


J'étais cachée sous ma pile de cahiers, livres, feuilles volantes. J'étais en train d'écrire les paroles de mes professeurs, en pilote automatique, sous mon masque de bonne santé mentale. Ne trouvant pas le temps de prendre mon temps pour rigoler, pour fredonner des airs venant de musiques dont je n'ai jamais connu le nom, pour faire ce que j'aime sans être évaluée dessus, sans pression, en toute liberté d'esprit, pour t'écrire.


J'étais en train de n'avoir aucune notion du présent, aucune notion du temps, lorsque Jacques Brel est venu me murmurer à l'oreille. J'ai monté le son pour qu'il chante, pour qu'il vienne me saisir plus fort.


Il parlait des vieux.


Ces vieux que l'on méprise. Ces vieux que l'on trouve moches. Ces humains obsolètes. Ces individus qui ont déjà été banquiers, mannequins, avocats, ouvriers, pâtissiers.


Il n'y a pas si longtemps, j'ai croisé un vieillard. Il y a près de deux ans, je l'ai croisé. Je m'en souviens comme si c'était hier. Du côté passager de la voiture qui me transportait physiquement, je l'ai vu marcher dans son habit qu'il portait si bien. Un trois pièces. Il marchait avec une droiture dans son âme, dans ses valeurs, avec son dos voûté par ces guerres, par ces années à poursuivre des quêtes infinies.

Un pas à la fois.

La douleur dans ce regard que je n'oublierai jamais. Les lignes sur son visage me racontaient ses premières amourettes, son village qu'il a, un soir quitté, la fois où il a donné son dernier baiser sur la joue de sa mère, son trentième anniversaire, les photos de lui où il était jeune et beau.

J'ai pleuré.

En l'espace de quelques secondes, j'ai vu en lui tant de bonté et cette droiture… Celle que je recherche en la société actuelle. Une nouvelle quête infinie.

Je lui en voulais.

Il n'avait pas le droit de mourir un jour. Il n'avait pas le droit de défaire l'humanité de cette dignité qu'il transportait avec lui et qu'il transportera dans sa tombe lorsque ses paupières tomberont. Il n'avait pas le droit de me laisser seule ici, parmi ces jeunes qui n'ont jamais connu quelqu'un ayant fait la guerre, qui n'ont aucun sens de la patrie, qui n'auront jamais ces valeurs. Parmi ces individualistes. Diviser pour mieux régner. Qui règne en ce moment ?

 

Un autre jour, je ne me souviens plus quand, mais c'était un jour d'été, j'ai vu une jeune adolescente. Elle marchait sur ce trottoir avec des « amies » en regardant avec mépris cette dame portant un parfum qui était à la mode en 1960. Je me suis demandée si elle se regarderai comme ça, dans son miroir, lorsque son parfum sentira le vieux. Je n'ai pas osé lui demander. Mais je crois qu'elle comprendra un jour.


À trop bientôt,

Ta futile, 

Nord-Est

  • On juge une société à l'égard qu'elle porte au anciens. Ce n'est pas un scoop, mais il est bon de le rappeler Ils ont eu une vie et ils sont ceux que nous deviendrons.

    · Il y a plus de 2 ans ·
    Lwlavatar

    Christophe Hulé

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