Lettre à un roi

lise-rose

Votre majesté,

Si vous lisez cette missive, c’est qu’il était l’heure pour moi de redevenir poussière d’étoile. Mes cendres ont sans doute déjà été dispersées sur la pelouse du crématorium. Mes proches ont dû trouver dans mes effets personnels mes dernières volontés, dont celle-ci.

Vous ne me connaissez pas. Pour cause, nous ne sommes pas issus du même milieu. Je ne possède rien de précieux. J’habite un petit appartement au quatrième étage sans ascenseur. Je fais mes courses dans les enseignes discount. Je ne mange pas avec des couverts en argent. Je ne suis jamais apparu ne fût-ce que comme figurant à la télévision. La vie de château, je ne la connais pas.

Je n’en n’ai pas pour autant eu une vie malheureuse. Loin de là. J’ai eu la chance de connaître le bonheur, une sorte de bien-être qui s’installe au creux de la chair et qui ne vous quitte pas. J’ai fondé une famille équilibrée. J’ai quatre enfants. Quant aux petits enfants, je ne les compte plus. Mais comme certaines choses sont compliquées à diviser équitablement dans un héritage, j’ai décidé il y a quelques temps de me tourner vers vous.

J’ai un secret. Une petite boîte ovale qui tient dans la paume de la main. Ma petite boîte ne pèse que quelques grammes. Elle est en métal galvanisé. Je ne saurais lui donner un âge. Je ne sais pas non plus d’où elle vient. Aucune inscription ne pourrait me guider. Ma boîte, je l’ai reçue de ma tante. Elle l’avait couchée sur son testament comme je vous la lègue aujourd’hui. Les mauvaises langues diraient qu’elle ne vaut pas un euro et qu’en plus, elle ne contient rien. Ce n’est qu’à demi-vrai. Elle est vide de matière mais pleine de symboles.

N’ayez crainte. Ce n’est pas une boîte de Pandore. Aucun esprit malin ne vous sautera au cou. Les êtres maléfiques n’existent que dans l’au-delà. N’essayez pas de caresser le métal rugueux, aucun bon génie n’en sortira. Ma petite boîte n’apporte qu’une seule chose : l’immunité contre la cruauté des hommes. Cette agressivité incompréhensible qui émane de certains individus. Cette méchanceté, la force que les faibles utilisent pour nuire aux peuples. Cette gangrène qui infecte les cœurs. Mon immunité, je vous la lègue en espérant que vous saurez la canaliser et la diffuser. En tant que souverain de notre pays, je suis certain que vous trouverez le moyen de la démultiplier pour la répandre partout où vous vous rendrez. Vos fonctions vous permettent de parcourir le monde alors que mes déplacements ne m’ont jamais permis de dépasser plus d’une frontière.

Vous ne croyez pas au pouvoir de mon don ? Je peux le comprendre. Mais la sagesse est aussi d’accepter de mettre en doute certaines certitudes. J’ai atteint un âge raisonnable. Pendant toutes les années durant lesquelles j’ai possédé ma boîte, je n’ai jamais entendu de vulgarité. Les batailles se faisaient loin de moi. Les coups bas ne me touchaient pas. Quand je sentais l’esprit malin s’approcher, je n’avais qu’à effleurer ma boîte et le côté clair apparaissait. Les visages se détendaient et les lèvres des êtres les plus cruels arboraient un sourire.

Je ne me fais pas d’illusion. Vous ne parviendrez pas à arrêter les tsunamis et les ouragans. Ma boîte se fait emporter par le vent comme n’importe quel autre objet. Vous n’arriverez pas non plus à éteindre les feux de forêts ou à retenir les effondrements. Par contre, les luttes armées, l’esclavagisme, les bagarres de rue et tous les maux que les être humains peuvent perpétrer par pure méchanceté pourraient bien diminuer. Nous éviterions des larmes inutiles. Alors ne vaut-il pas la peine d’essayer d’y croire ?

Je vous lègue ma boîte parce que je ne peux me résoudre à ne désigner qu’une personne parmi ma descendance. Je sais qu’elle sera en sécurité dans votre poche.

J’espère que vous parviendrez à en obtenir plus que moi, bien que je n’ai pas à me plaindre. Faites-en bon usage. Surtout, n’essayez pas de la monnayer. Le bonheur ne se marchande pas, mais vous le savez probablement mieux que moi.

Daignez, Votre Majesté, agréer l'hommage de mon plus profond respect,

Jean Marchand

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