Lettre d'amour à la lecture
Bernadette Dubus
Lettre d'amour à la lecture
Je venais d'avoir dix ans. Il pleuvait sur ma vie comme sur la mer lorsque le vent de sud-est souffle en rafales. J'avais jeté mon vélo sur les dunes et j'errais sur la plage à la recherche d'un impossible secours. Les vagues venaient se fracasser à mes pieds et mes yeux, brûlés par les larmes et l'eau salée, contemplaient le sable à perte de vue. Alors je t'ai vu, là-bas au loin, abandonné de tous. J'ai couru vers toi. Le vent soulevait tes pages comme les jupes des dames, indécent, outrageant, irrespectueux. J'ai posé mon chagrin près de toi. Je me suis agenouillée dans le sable froid et je t'ai pris dans mes mains. Tu avais l'air d'un oiseau blessé, tes ailes s'effaçaient entre mes doigts. Des mots restaient accrochés à tes pages, petits bouts d'un cœur à l'agonie. Et je t'ai lu, assise seule sur le rivage. Oh ! Tu n'étais pas un bien grand livre, juste un roman pour enfant, et j'ai oublié ton nom. Mais depuis ce jour je te cherche, dans toutes mes lectures, plus boulimique de toi qu'une adolescente, chaque jour plus amoureuse de tous les mots, de toutes les phrases où je crois te trouver. Je te cherche tous les soirs, à la lumière de ma lampe de chevet ; tous les jours de congés, sous les arbres, sur la plage, sur la terrasse de la maison, dans la salle à manger, à la lumière du soleil ou des néons. Sans répit je te cherche.
Aujourd'hui c'est l'automne. Le vent de sud-est me ramène ton parfum, des effluves de grand large, un immense bol d'air de liberté. Nourrie de lecture, jamais rassasiée, toujours en quête de toi, jusqu'au dernier jour, à la dernière heure, au dernier instant de mes yeux ouverts, je t'aimerai. Tu es mon évasion, ma passion, ma délivrance. Tu es mon unique recours pour les jours obscurs, le seul remède à mes manques, ma seule drogue, le seul océan dans lequel je me noie.
Et quand viendra l'hiver je t'aimerai quand même, au coin du feu, dans mes mains tremblantes, sur un lit de misère. Je te chercherai encore à travers les phrases vacillantes, les pages perdues, les mots oubliés, au creux ma mémoire à jamais enfuie. Sans cesse je t'aimerai.
Les vagues de la mer viennent mourir sur le sable où jadis un livre ouvert illumina ma vie. Les pages du vieux livre s'envolent, mais les mots magiques demeurent. Éternellement.
merci, ça me va droit au coeur
· Il y a plus de 8 ans ·Bernadette Dubus
Rhooo... Que c'est beau !
· Il y a plus de 8 ans ·Bravo.
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