Lettres de mots-dits

sadnezz

d'Ansoald à Faust Nicolas

Lettres de Maudits. Maudit secret. Maudit fuyard. Maudite rencontre. Dont rien ne saurait aller à l'encontre.

Après le départ d'Ansoald pour le limousin et ses rêves d'aventures, l'écuyer avait fuit l'écrasante solitude de Tournai, fugué au premier froissement de jupon comtal. Une semaine interdite, sans prévenir la Médicis, griffonnant une piètre et brève lettre au Prince pour toute explication. A son retour, de nuit, discret, peureux de l'accueil qui lui serait réservé; une lettre posée sur sa couche à l'hôtel du Prince Taliesyn...


De Ansoald à Faust Nicolas
-Eraflures-

Cher blondin,

M'as-tu donné ton nom, ou bien un synonyme? Je ne sais plus. Depuis que je suis parti de Tournai, j'articule ton nom au gré de mes fantaisies syllabiques et je scande des refrains sans chansons sur un rythme obsédant. Le saurai-je un jour, ton nom? Pourrais-je seulement l'apprendre? Je l'imagine très long et fort complexe, le genre de nom qui circule sur mes lèvres sur l'immense distance d'un croissant de lune, et te voilà, très proche et très loin de moi, quand je trouble la surface d'un étang de mon doigt tâché de ces filaments blancs qui écrivent ton nom, inlassablement.

Quel souffle peut l'étreindre, et quel museau le mordre sur tes lèvres, quand tu l'écluses d'une seule rasade, et qu'il sublime ton coeur sur la voûte du ciel en des buées nimbées de soleil. Est-ce qu'on le gronde sur les champs de bataille? Est-ce qu'il s'allonge entre les seins des femmes? Est-ce qu'on le pince, est-ce qu'on l'attrape, est-ce qu'on le jalouse et l'admire, ou bien, suprême honneur, est-il craché par ces bouches veules dont il blanchit la lippe?

Oserais-tu seulement l'écrire sans te brûler les doigts? Quelle écorce est digne de le recevoir? Quels guillemets d'acier pour le clore dans une phrase muette? Donne-moi un O pour y plonger, un I pour me couvrir la tête, un A pour me tenir bien droit, un E pour dormir avec toi et te mordre l'oreille. J'ai besoin de savoir et il est nécessaire que tu m'ignores. Boccace est cent fois mieux que moi.

Excuse-moi d'être parti, de tracer mon chemin d'un pas si léger que je ne laisse aucune empreinte derrière moi, en traversant les forêts comme un incendie. Je ne connais pas ton nom, je connais à peine le mien. Est-ce que tu le prononces, quelques fois? Te l'ai-je donné, au moins? Il se terre en fond de lettre, comme s'il avait peur que tes lèvres le rejettent. Laisse-le t'embrasser, tu verras, il est doux, il ne te mordra pas la langue, il ne t'agacera pas les dents, mais se réfugiera au sein de ton palais pour altérer le goût de ta nourriture, de ta boisson, de ton air, chaque fois que tu penseras à moi, chaque fois que ta conscience naïve épellera mon nom, lettres noires sur fond blanc.

Je te laisse là, ma plume commence à écraser les mots, à les réduire en cendres, et l'horrible odeur de cette fumée froide me suffoque. Pour toute adresse, j'envoie cette lettre à ton seigneur, Taliesyn de Monfort, en espérant qu'il te fera transmettre, sans l'ouvrir, cette missive.

Ansoald.

Sang ne fit qu'un tour, là où le coeur en fit mille. La missive était-elle passée entre les mains du Prince? Devait-il craindre que celui qu'il servait fidèlement le fasse pendre pour avoir appris ce qui l'habitait? Assis sur sa paillasse, les yeux bleus relurent les mots, terribles mots qui le ramenaient à ce qu'il avait fuit, ou cru fuir... Ansoald finirait par le mener sa perte, d'imprudences en audaces. L'Aconit enfouit le vélin sous son édredon d'une main fébrile, redoutant déjà l'aube et le regard de Taliesyn qui avait assurément dû ouvrir le pli... Le noeud au ventre, il maudit le voleur pour ces mots renversants, le dépeçant superbement de sa carapace adolescente...

Comme s'il était habituel qu'un écuyer reçoive courrier.

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