L'exode

Angata

Fin du premier épisode

Chapitre 2


Les rues quadrillaient la ville tel un interminable filet, ne laissant aucune âmes à découvert. Sans compter les drones affectés à chaque croisement, permettant d'identifier le moindre mouvement. Avec l'avènement de ce nouvel Ordre non plus sociale mais morale, la plus part des gens vivaient dans la crainte de devenir un potentiel criminel, tant les critères qui le définissaient, étaient flous. Le couple prenait part au show télévisuel, complice au bras l'un de l'autre, en aguichant l'œil de la caméra d'un air mauvais. Jusqu'à arriver à la frontière de deux secteurs, une étendue aux allures de terrain vague, autre fois un parking.
Elle avait prit l'initiative de l'emmener dans le taudis qui lui servait de squatt quand la pression parentale devenait ingérable. On imagine que trop bien la dégradation des conditions sociales après de tels drames, le refuge dans l'ivresse et de la violence qu'elle entraîne quand on se met à regretter les responsabilités d'avoir à faire passer sa propre survie après celle du môme et de la femme qu'on a aimé. Mais la piaule avait son charme, située dans le sous sol d'un ancien supermarché qui avait cessé d'être alimenté par les industries Bio.
Quelques décorations ornées les murs, surtout des bouts de toile et des bricoles que Ludmila avait rassemblé pour faire de l'endroit un musée des bizarreries mais ajouté à cet esthétique underground quelques LED colorées, un brin de coquetterie, en faisait un repaire chaleureux.

« C'est sympa chez toi.»

« Te fais pas d'idée, on est pas venu ici pour la déco.»

Elle glissa les bras autour de sa nuque, l'entraînant vers le lit à l'angle de la pièce, le regard et le balancement des hanches collées à son partenaire sans la moindre timidité. Il l'avait devancé en saisissant à pleine paume la croupe de la rouquine, tandis que sa respiration s'emballait à chaque assaut des désirs. Ils tombèrent en une fraction de seconde sur le matelas, avides de caresses et de baisers qui chassaient peu à peu leurs habits. Il ne s'agissait plus de délicatesse ou de romantisme.
Ils s'épuisèrent dans l'expression cosmique de leurs tentions, de longues minutes qui s'éternisaient en heure. A chaque répit imposé par leurs dévorantes ardeurs, ils le passaient à s'observer préférant deviner l'autre au delà de simple mot.
Puis de nouveau attiré entre ses cuisses, il cherchait à s'y perdre dans de puissants coups de rein qui subjuguait la jeune femme, dont la bouche déployée ne s'exprimait que par de profonds gémissements.

Par la fenêtre du sous sol, on pouvait voir que la nuit était tombée depuis un moment, la Lune qu'on devinait sous les nuages, baignait l'obscurité d'un voile lumineux. Ils avaient fini par s'endormir, leurs corps étoilés de sueur et entrelacés l'un à l'autre.
Le réveil fut imposé par les rafales d'un calibre de bonne facture. Cela ne les troubla pas assez pour que leurs lèvres se chevauchent à nouveau.


« On doit se tirer, ça doit patrouiller pas loin.»


« Viens, je voudrais t'offrir un café dans un bar. L'endroit me fait penser à chez toi.»

Rhabillés de la veille, ils partaient rejoindre le secteur le plus paumé de la ville, loin du centre et distancié par un fleuve, dont l'eau verdâtre dégageait des volutes de fumée possiblement toxiques.

« C'est le première fois que je passe par ici et toi, comment tu connais ?»


« J'y passe une à deux fois par semaine, le bar organise des concerts. L'ambiance est parfois glauque, donne l'impression que les gens qui y traînent sont perchés mais super accueillant, tu verras !»

A la sortie du pont, la vitrine du Clash était imparable. La façade en pierre se tenait péniblement grâce à l'armature en métal qui façonnait l'encastrement des fenêtres. La lumière du jour pouvait entrer de toutes parts, mais d'épais rideaux rouges et des stickers protégeaient l'accès, tout comme celui des regards.
Max avait l'air impatient, un sourire aux lèvres ne l'avait pas quitter depuis la soirée. Une fois la route traversée, on arrivait sur la terrasse du bar, vide mais triomphalement installée.

« Tu es sûr que c'est ouvert, il est à peine dix heure.»


« Crois moi, ce bar fait du 24/24, une vrai usine de débit de boisson.»

Les éclats de rires qu'ils transportèrent avec eux en passant le seuil de la porte se mêlèrent rapidement au brouhaha qui animait le bar miteux.
Ludmila ne savait pas où donner de la tête, partout sur les murs des tableaux pittoresques, des posters formés par de grossier collage, des tâches de café qui formaient à s'y méprendre une iconographie religieuse, des poupées barbies crucifiées à l'envers, de l'art contemporain dans l'élan créatif de sa décadence sacrée. Max ne s'était pas trompé, elle se sentait déjà comme chez elle.
Il n'y avait que cinq clients dans le rade, mais niveau agitation ils en comptaient le triple.
La serveuse de l'autre coté du zinc, n'était pas en reste.

« Ma femme m'a quitté parce qu'un soir elle m'a surprit avec une mignonne !»


« Roger on l'a connaît l'histoire, elle t'a surprit en train de faire ta folle devant son miroir, le cul dans la jarretière. Le plus drôle dans l'affaire c'est que ses robes t'allaient mieux qu'à elle. C'est ce que Sylvie raconte.»


« Oh bonjour les amoureux, écoutez pas ces vieux ivrognes, c'est le jeudi de la nostalgie. Bon tournée générale !»


La serveuse était du même âge que Max et détonnait donc du lot par sa fraîcheur.


« Vous venez pour la récupe de pain ? C'est gratos elle date des poubelles d'hier soir.»


« Salut Charlie, on va te prendre deux cafés, il y a des viennoiseries tu crois ?»


Il plongea une main gourmande dans le sac posé à même le sol et qui renfermait les trésors de la veille. La serveuse lui fit un clin d'œil qui désignait discrètement la rousse à ses côtés, qui prenait appui sur le zinc, venant s'asseoir sur un tabouret. Charlie envoyait la préparation cafeinée qui avait gardé le nom sans la substance, il en était de même pour tout ce qui pouvait s'avaler, en nostalgie du vieux temps.
Des messages à caractère politique étaient semés un peu partout sur la plastique du bar : Ne travaillez jamais, On passe plus de temps à perdre  sa vie qu'à la gagner, Anarchie is not dead...
Cela faisait sourire Ludmila, perdue dans ses pensées jusqu'à ressentir l'odeur agréable du café qui se posait sous son regard.


« C'est dingue c'est la même odeur que dans mon enfance.»


« Héhé, il est spéciale ce café même les bourgeois viennent se perdre ici pour prendre leur dose.»


Max revint à ses cotés pour s'installer à son tour, déposant à la volé un  baiser au coin de ses lèvres. Quand aux autres clients ils continuaient l'énumération de leurs faits d'arme en pleine partie de tarot. C'était comme si le contexte s'était figé avant la catastrophe. D'autres personnes arrivaient, aussi différentes les unes des autres, mais tout aussi familières des habitudes et de l'ambiance. Une autre femme passa de l'autre coté du bar et après avoir salué la serveuse, lança une musique depuis l'ordinateur, un vieux John Coltrane.
Une seconde ensuite, une dame ensevelie sous un faux manteau de fourrure décrépie et aux dents manquantes, se mit à accompagner le musicien en stéréo par d'interminable prouesses vocales qui laissaient présager une carrière ratée dans l'opéra. Elle avait des yeux de chats, peinturlurés au crayon noir jusqu'à en baver sur ses pommettes. Ludmila la regardait avec admiration, car derrière ses allures déshéritées elle discernait une femme à l'Aura exceptionnelle, qui avaient sans en douter un talent certain pour la mise en scène.
Leur présence s'éternisa jusqu'en début d'après midi quand soudain un autre couple arriva, hébété par leur course.

« Charlie, les poulets vont débarquer, la manif a été interdite...Pedro s'est même fait chopper.»


Tout d'un coup, la tension changea, personne n'avait l'air inquiet mais plutôt enragé à l'idée que l'un des leurs eu été capturé.


« Allez dans la cave, ya une sortie qui donne dans la rue de dernière. Quand aux autres vous savez comment vous tenir, autant leur faire sentir qu'ils sont pas les bienvenues ici.»

Max semblait habitué à ce genre d'événement et lança un regard à Ludmila, cette dernière loin d'être effarouchée avait l'air plutôt d'avoir saisi la situation. Le calme retomba, tout comme le silence qui en disait long sur l'amertume de chacun, la partie de tarot allait reprendre.
La police, solennelle dans son devoir, entra. Cinq flics bien équipés alors que les enceintes crépitaient au son de Joy division...The wind is my spirit.

Contrôle de police nous recherchons deux individus, vous feriez bien de coopérer.

Le couple discret au comptoir, se soutenait du regard tout en finissant leur café. Personne n'avait l'air de réagir.
Alors ce qui semblait être le chef de brigade, agrippa par le bras Ludmila, sa tasse s'éclata sur le sol. Le geste amplifia la tension, celle de Max en premier qui par réflexe repoussa la main inquisitrice.

« Vous êtes certain de vouloir le prendre ainsi ? Vos papiers dernier avertissement.»

Bien sur c'était une injonction à cesser tout acte de résistance. La serveuse qui tentait que cacher discrètement le portable qui lui avait servit à passer l'info de la descente, s'approcha du policier, et sans se démonter prit par à l'altercation.

« On va pas se plier à vos règles de fasciste, mais si vous voulez vous posez par ici, au tant vous dire que le quartier est prévenu. Votre uniforme est encore propre, il serait dommage...»
D'un revers de main il l'a fit taire mais déjà au loin le grondement de la rue s'annonçait.

« Chef, ya du monde qui s'agite dehors.»


La dame aux yeux de chats, reprit la chansonnade par: A mourir pour mourir je choisis l'age tendre...
Un coup de feu éclata et annonça le chaos, dehors l'émeute.


Tout s'accéléra très vite, l'agitation des corps créait un tourbillon auquel il était difficile de se soustraire.
Ludmilla et Max s'étaient échappés ensemble laissant derrière eux des empreintes de pas ensanglantés qui se dirigeaient, vers la foule amassée en barricade qui s'en prenait déjà aux voitures des forces de l'ordre et leurs renforts. Ils restèrent solidaires, enfiévrés par une vitalité dévastatrice.

Un individu au visage dissimulé sous un masque de carnaval païen tendait un tract à Ludmilla qui le prit machinalement au fond de sa poche.
Au bout d'une heure, entre les lacrymogènes et les détonations des tires tendus , les blessés étaient de plus en plus nombreux et leur rage un fardeau à soutenir.
Une replie était nécessaire, même à contre cœur. Ils suivirent un groupe vers les limites de la cité bien plus proches qu'ils n'auraient pu le croire. Au delà de l'architecture moderne, c'était la jungle.
Une immensité encore partiellement verdoyante et sauvage qui faisait office de frontière naturelle entre l'homme civilisé et la vie primitive.

L'émeute est encore restée dans nos mémoires, elle n'était ni la première, ni la dernière mais elle provoqua un nouvel exode, dans une course effrénée vers la  liberté.

Fin du Chapitre


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