Lézarde le train du Livradois

Jean Claude Blanc

une succulente journée à visiter le Livradois en autorail, modèle ancien, le temps suspendu à admirer le paysage...

                      Lézarde le train du Livradois

Comme autrefois, j'ai repris la voie

Du petit train du Livradois

Pour qu'une balade, cette fois

A sillonner plaines et bois

Fidèle, fier auvergnat

 

En ce mois de juillet tellement propice

Aux retraités et aux touristes

Qui se régalent de ces lieux

Un tortillard ne trace la piste

Plus qu'entre Ambert à la Chaise Dieu

 

Vestiges d'un passé révolu

Pour fétichistes convaincus

Car d'habitants, n'y en a plus guère

Les jeunes qui restent, roulent en scooter

 

S'en mordent les doigts, les paysans

Tellement pratique, chemin faisant

S'outiller à Clermont Ferrand

Même s'il fallait prendre son temps

 

Pour s'éviter marcher à pattes

A cette époque, pas de miracle

Y'avait que le chemin de fer

Qui s'arrêtait à chaque étape

D'horloge parlante, que le garde barrière

 

Grand manitou, le chef de gare

S'agissait pas d'être en retard

Un coup de sifflet, déjà le départ

De la micheline genre lézard

A ne pas rater, qu'une fois par jour

Pour faire l'aller et le retour

40 kilomètres à l'heure

Pour ce cheval à vapeur

Un tape cul, grinçant de douleur

S'y entassaient, hommes et bêtes

Les marchandises, les bicyclettes

 

Interdiction de faire le pitre

Et de se pencher à la vitre

La rame devait se faufiler

Entre les falaises et les forêts

Juste la place pour circuler

Fallait emporter son manger

Pour cette longue traversée

Pas trop quand même, c'était risqué

D'avoir le vertige à gerber

N'y avait pas de cabinet…

Bonne occasion pour papoter

S'en raconter sur la région

Sachant que l'on n'était pas près

D'arriver à destination

 

Pour se parer de la fumée

De la machine, seule solution

(Locomotive à charbon)

Juste un mouchoir sur le nez

Abrégeant la conversation

Entièrement couvert de suie

Qui s'imprégnait dans les habits

 

A croire qu'on demeure foutus ringards

Tant nous tenaille la mémoire

Car au-delà de cette histoire

On s'en enchante pour le décor

Si agréable, longer la Dore

 

Devenus pièces de musée

Ces trépidants vieux wagonnets

Pas conseillé, s'y abonner

Lorsque l'on doit, aller bosser

 

Je réitère mes regrets

En fustigeant ce putain de progrès

Plus desservis, nos bleds pommés

Que par des cars climatisés

Ça gâche l'ambiance, ces express

Ces TGV, chronométrés

D'un point à l'autre, sans s'arrêter

Même pas le temps, de roupiller

Fleurons de la SNCF…

 

Plus de diesels puant le gazoil

Que des rapides à caténaires

Pour le citadin, ça tombe au poil

Tellement ça urge, ventre à terre

Pour le bronzage, en bord de mer

Sans lambiner mettre les voiles

 

Les chantres de la modernité

Les considèrent comme arriérés

Ces pauvres naïfs de vacanciers

Bouffer ainsi, journée de congés

A se faire secouer le cocotier

Dans ce tracassin, usé, rouillé

Tandis que nous autres du pays

Bien que bons hôtes, ça nous suffit

Vendre des tickets (c'est pas gratuit)

Pour un voyage en nostalgie

C'est préférable rester à quai

A regarder le temps qui fuit

Que vont-ils pas nous inventer…

Nos infinis petits génies

 

Plutôt que nous joindre à ces badauds

Bob sur la tête, pris en photo

Encore saisis par ces engins

Qui marchent encore grâce aux anciens

Anticipant sur l'avenir

Je me contente de réfléchir

Ces tas de ferrailles en péril

Que vont-ils donc devenir

Rafistolés ou bien fossiles

 

En tant que fan, de vides grenier

Conserve tout ce qui peut servir

Rituellement, fait mon marché

Ne risquant pas de m'enrichir

Aussi ne faut pas s'étonner

Que je collectionne, tas d'autorails

En miniature pour ma marmaille

 

J'entends d'ici les commentaires

Des politiques avares de leurs sous

« C'est pas rentable, ça coûte trop cher

De restaurer faudrait être fou »

Plus fonctionnelles les lignes droite

Sans un tunnel, ni de montagnes

Sièges rembourrés, de cuir, d'ouate

Mais aux dépens de nos campagnes

 

Que ferait-on pas pour notre standing

Détruire les terres, raser les vignes

Nous qui parlons d'écosystème

Pour sauver cette planète qu'on aime

La dépouiller, aucun problème

 

Parfois confus, béats marris

On rend hommage à ces débris

Mis au rancart, on les ressort

Mais comme moyen de transport

Pour estivants, si éblouis

De ces symboles de jadis

Qui à l'abri ne sont pas morts

Les bénévoles veillent sur l'ouvrage

Merci à eux pour leur courage

Vont le céder, remis en forme

A nos respectueux sages mômes

Pourvu que jamais ne s'en tamponnent

Serait un crime, s'ils l'abandonnent     JC Blanc juillet 207 (balade en Livradois, à l'ancienne)

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