L'HEURE

hector-ludo

L’HEURE

_ Et si vous nous parliez d’autre chose que de la mort, des chiens ou des chiens morts !

Par exemple, de la vie, des gens, des gens vivants !

_ Dites-moi, je ne vous ai jamais vu dans ce service de l’hôpital et pourtant j’ai l’impression de vous connaître !

_ Si vous m’avez déjà vu, cela va vous revenir. Nous parlions des gens vivants. _ Les gens vivants ! Mais cela n’a aucun intérêt. La vie, nous la connaissons puisque nous en faisons partie. Les gens, nous les côtoyons sans cesse et nous avons appris à les connaître depuis le temps. Il n’y a guère de défauts ou de qualités que nous n’ayons rencontrées ; tandis que, la mort, c’est une autre paire de manches. Tous les vivants en parlent à tort et à travers sans avoir la moindre idée de ce que cela signifie ou ce que cela peut être.

_ Vous pensez donc en savoir plus sur la mort que le commun des mortels ?

_ Pour sûr ! Et cela, pour deux raisons. Premièrement, j’ai fréquenté la mort toute ma vie. Depuis l’âge de dix-neuf ans, j’en ai quatre-vingt-un maintenant, au cours de la Deuxième Guerre mondiale, puis en Indochine et pour finir en Algérie. J’ai eu plus que mon compte de camarades et de subalternes tués au combat. J’ai reçu des coups aussi, mais, rien de grave, sauf une fois et c’est ce qui m’amène à mon deuxièmement. Je me trouvais dans les Ardennes pendant la contre-offensive allemande. Un éclat de mortier m’a cueilli. Comme nous étions en progression rapide et que je couvrais un des flancs de la compagnie, personne ne s’aperçut, sur le moment, de mon absence. J’étais seul, couché dans la neige rouge de mon sang. Je ne souffrais pas, j’étais choqué, mais lucide et étrangement calme. Une foule de pensées me traversait l’esprit. Ton tour est arrivé, je ne reverrai plus mes parents, la chance avait tourné, le ciel était suffisamment gris aujourd’hui pour mourir, etc.… Soudain, un chien est arrivé, coupant court mes réflexions. Il s’est couché contre moi la truffe à quelques centimètres de mon visage. Allongé sur le dos je ne pouvais pas voir de quelle race il était. Alors, ce chien, venu de nulle part, m’a parlé !

Oui, parlé ! Enfin, j’ai interprété cela comme tel, mais cela ressemblait plutôt à un échange de pensées. La chose doit vous paraître extrêmement étrange, mais cela n’est rien en comparaison de l’étonnant message de cet animal. Il ne m’a pas demandé si j’allais mourir. Pas plus si j’avais mal. Non, ce chien m’a fait une requête. Il m’a supplié de donner un message à son maître lorsque je serais mort. Il fallait que je lui dise, que, lui, le chien s’ennuyait ferme depuis qu’il avait disparu et qu’il était très malheureux de ne plus pouvoir lui donner son amour. À peine avait-il fini de passer son message, que j’entendis un piétinement, la bête s’enfuit, un homme se pencha sur moi sans prononcer un mot. Le type disparut et, quelques secondes plus tard, les ambulanciers de mon régiment arrivaient et me sauvaient. Dans mon semi coma, je repensais à ce chien, à son maître évidemment mort. Au message que je ne pourrais pas transmettre. Je compris qu’un heureux concours de circonstances m’avait permis de saisir un incroyable secret. Les chiens et certainement d’autres animaux savent que la mort n’est qu’un changement de lieu. Lors de la disparition de leur maître, ils ne sont pas tristes de la mort, mais de leur solitude et surtout de leur attente avant de le rejoindre.

_ C’est une histoire extraordinaire que vous m’avez contée là.

_ Allons donc je suis sûr que mon histoire ne vous étonne pas vraiment.

_ Ah bon ! Pourquoi cela ?

_ Parce que je viens de me rappeler où je vous avais vu. Vous êtes l’homme qui s’est penché sur moi là-bas dans les Ardennes. Je suis sur que vous deviez me parler déjà à ce moment. Mais les autres sont arrivés et vous avez disparu puisque j’allais être sauvé.

_ Oui, c’est vrai. C’était à deux doigts.

_ Mais, aujourd’hui, vous ne vous enfuyiez pas.

_ Non, mais vous, vous savez pourquoi. Au contraire de tous les autres à qui je dois expliquer la suite.

_ Je n’ai donc pas rêvé mon aventure avec ce chien ?

_ Non, vous n’avez pas rêvé.

_ Alors, c’est l’heure ?

_ Oui, C’est votre heure.

_ Bien, allons-y, j’ai tant de gens à revoir.

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