L'heure de la rentrée a sonné pour Blankass
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Après des années passées loin des studios, Blankass revient avec un nouvel album étrangement baptisé Les chevals. Toujours emmené par la fratrie Ledoux, le groupe a changé de visage. La fougue, elle, est restée intacte. De là à dire que les Berrichons repartent au galop, il n’y a qu’une entorse au bon goût qu’on ne fera pas
Sept ans que la cloche n’avait pas retenti. Trois si l’on tient compte du live sorti courant 2008. C’est dire si l’attente a été longue.
On avait quitté Blankass sur fond d’envolées célestes venant apporter un peu de finesse au magistral La faille, ultime plage d’Elliott, l’excellent dernier exercice en date du groupe. Le combo berrichon était ensuite parti sillonner les routes du pays afin de distiller ça et là ses bonnes paroles.Le périple achevé, tout ce beau monde avait fini par s’éparpiller. L’heure était à l’émancipation. Quoi de plus normal pour un groupe formé en 1990 et qui affichait ainsi une fraîche majorité ?
Pour la première fois, les frères Ledoux, têtes pensantes du collectif, faisaient studio à part. Guillaume, auteur et chanteur, se lançait dans une tournée pour présenter, EP six titres à l’appui, un répertoire des plus intimistes tandis que Johan, compositeur et guitariste, confirmait, sous le pseudo de Georges, qu’il était bien la caution rock de Blankass.
Et puis est venu le temps des retrouvailles. Le désir d’échanger un plan ou deux… « On n’avait pas vraiment prévu de mettre un album de Blankass en route », confie Johan. « Mais l’envie est venue et ça a pris le dessus sur les projets en cours. On avait mis la carrière du groupe en stand by et c’est redevenu une priorité. » Guillaume acquiesce : « On était en train d’enregistrer les deux albums solo quand Johan m’a dit qu’il avait quelques idées pour le futur de Blankass. On les a écoutées. On a travaillé un peu dessus, on a enregistré. A ce moment-là, on s’est rendu à l’évidence. Nous étions en train de faire l’album de Blankass avant les albums solo ».
C’est à ce revirement pour le moins bienvenu que l’on doit donc notre entrevue avec les frangins. Le rendez-vous est fixé à Paris, à deux pas de l’Opéra Bastille, dans une brasserie suffisamment guindée pour que Guillaume tique. « C’est toi qui a choisi le lieu ? ». Négatif, mon capitaine. Faut reconnaître que l’endroit est plutôt cossu. On est plus près des crevettes à vingt sacs et des tomates en sorbets que des sandwichs à dix balles évoqués dans Au Costes à côté. Mais peu importe, les Blankass sont de retour et la nouvelle vaut bien un verre de houblon au tarif de crise.
Cédric Milard, claviériste marseillais présent dans le groupe depuis 2005, est de la partie (« On fait du social », plaisante Johan). A ses côtés, un nouveau visage, celui Pierre Simon, jeune guitariste transfuge des Surgeries, tout comme la bassiste Sabine Quinet.
« L’accordéon n’a jamais eu une place sacrée »
Exit Bruno Marande (basse) et Philippe Ribaudeau (instruments à vent), les membres historiques. Chez Blankass aussi : le changement, c’est maintenant. « Bruno est parti sur son projet de musique pour enfants qui s’appelle Capitaine des mots et ça marche très bien. Philippe, lui, vient d’être papa. Il pouponne », raconte Guillaume. « Pierre et Sabine nous ont rejoints. On s’est connu par le biais de Johan qui les a appelés pour jouer avec Georges et du coup, les voilà dans Blankass. Ça fait beaucoup de bien de les voir arriver avec leur son, leurs idées, leur jeunesse. Et puis, un peu de féminité ne fait pas de mal au groupe. J’dis ça pour Pierre, pas pour Sabine » (rires).
Revigoré, le groupe sort aujourd’hui, Les chevals, un cinquième effort studio plutôt déstabilisant aux premières écoutes, à l’image de son titre : « Ça n’a aucun rapport avec l’un des morceaux de l’album », explique Guillaume. « Ce qui m’a plu dans cette proposition de Johan, c’est qu’on n’avait pas prévu de faire cet album. Il y avait une espèce de folie douce, on a testé des sons qu’on n’avait jamais testés pour Blankass. Finalement, on a fait l’album comme ça. Et le jour où il a fallu trouver un titre, on avait envie d’une idée qui porterait cette image d’imprévu et de folie. Quand Johan a proposé Les chevals, on a hurlé mais on s’est dit : "C’est super" ».
Premier constat : l’accordéon, déjà discret sur le disque précédent, est, cette fois, resté dans son étui. Guillaume en profite pour mettre un terme à une fausse croyance : « L’accordéon n’a jamais eu une place sacrée. Il y en aura peut-être sur le prochain album, mais là, non. Les gens croient à tort que c’est une marque de fabrique. Ce n’est ni plus ni moins qu’un instrument de plus dans le groupe ». Délaissant quelque peu ses bases acoustiques, le groupe a donc préféré explorer un peu plus sa facette électrique. On se retrouve ainsi à écouter un disque dans lequel Summertime envoie suffisamment de bois pour faire concurrence à la forêt de Montmorency. Killer Inside flirte avec le blues. Et le riff du surprenant King of the World vous reste en tête au moins aussi longtemps que les refrains du premier single, Rendez-vous.
Dans la foulée, Blankass se paye même le luxe de présenter avec J’attends depuis si longtemps son We Will Rock You : « A la base, l’idée, c’était d’écrire une espèce d’hymne à partir d’un blues urbain, une guitare slide. Un truc très White Stripes, très Queen dans le côté fédérateur. Je me suis réveillé un matin avec cette mélodie (il chantonne) et l’idée de faire répéter le tout. Le morceau est né comme ça », analyse Johan.
Les modèles sont bien présents, mais si le groupe a l’intelligence et assez de métier pour les utiliser à bon escient : « On s’est plus servi de nos influences que d’habitude », admet Guillaume. On ne sait pas si Rufus Wainwright est l’une d’entre elles mais Je me souviens de tout possède un petit côté The One You Love pas désagréable.
Si la ligne de chant de L’exil n’est pas sans rappeler celle de Mon drapeau, son ambiance feutrée permet au disque de respirer. A l’image de L’empreinte (seul morceau issu des projets solo, celui de Georges en l’occurrence) et de son final délicat, ces passages quasi aériens montrent combien le disque a été finement structuré.
Pour autant, la plus belle réussite du disque reste sans doute Toi, tu marches, sublime ballade gainsbourienne dédiée au Québécois Jean Béliveau (1) : « J’avais en tête la ligne de cordes, ce thème à la Morricone, un peu western spaghetti », se souvient Johan. « Et d’un autre côté, j’avais la grille d’accord avec l’arpège de piano très Gainsbourg, très Je suis venu te dire que je m’en vais. On voulait donner cette couleur sonore très sixties, très cinématographique. » Guillaume l’admet : « C’est vraiment le type de morceau que j’avais envie de faire un jour sur un album ». On le croit sur parole.
Evidemment, les écoutes successives de cette cinquième galette renvoient, l’une après l’autre, un peu plus les Léon, Maria et autres Garagiste du premier album aux côtés de Lucy, la dulcinée australopithèque d’Yves Coppens.
La maturité, l’expérience, l’évolution des goûts… Mais Blankass ne trahit rien ni personne. Le temps a passé. De la période Zéro de conduite, le groupe qu’ils avaient fondé alors qu’ils n’étaient âgés que d’une dizaine d’années, Guillaume et Johan Ledoux ont gardé assez de niaque, de recul et de sens de la dérision pour faire, aujourd’hui encore, de la musique avec un plaisir intact, pour ne pas dire sain. Parce que, sérieusement… Les chevals… Vous imaginez Damien Saez sortir un disque avec un titre pareil ?