L'hiver est là

uris

Les yeux perdus dans son vide, les épaules rentrées dans l'abysse de son corps éteint, Sylvie attend son bus comme elle attendrait la vie. Des poches de fatigue entourent ses yeux. Des yeux qui ne savent plus voir, qui se contentent de regarder. Perdus dans un corps qui ne marche plus, mais continue tout de même d'avancer. Au bout du tunnel, la douce lumière blanche se fait de plus en plus violente. Tout dans sa vie n'a été que supplice. Elle s'est rêvée être une autre, avoir un autre mari, une autre maison. La télévision est devenue le miroir arrangé d'une réalité trop lisse, trop vide. A passer son temps devant, elle a fini par se croire dedans. Lorsqu'elle se regarde dans la glace, elle ne voit qu'une femme laide et triste. Son jean est trop ample, tout comme ses hanches sont trop larges. Les couleurs de ses habits ne sont pas accordées. Le violet sur ce manteau est immonde, mais il était vendu à un prix raisonnable au marché. Ses baskets ont vieilli, le gris a vieilli, tout a vieilli. Un tue-l'amour, voilà ce qu'elle est. Vingt années ont passées depuis la dernière fois où Sylvie s'est trouvée désirable. Du moins, selon elle. En vérité, elle ne s'est jamais aimée. Les autres femmes ont de bien plus jolies jambes, dans de bien plus jolies robes, surplombées de cheveux bien plus soyeux. Elles ont les moyens de se mettre en valeur, les autres.
Sylvie, elle, a tout donné à ses enfants. Elle ne peut les abandonner. Du suicide, ils l'ont sauvée. Elle avancera pour eux. Elle échouera pour eux, et se relèvera pour eux.
Un autre réveil, pour une autre journée de travail. Une autre douche pour un autre supplice visuel. Un autre regard vide à son mari, pour d'autres sévices corporels. Les projets ont depuis longtemps laissé place aux rejets. Sylvie ne sait plus aimer, rire, ni pleurer. Sylvie ne sait plus vivre. Mais il lui reste pourtant trente années à tirer. Bien sûr, ça, Sylvie ne le sait pas. Nous le savons. Alors que faire ? La faire vivre encore, ou la laisser enfin mourir ?
Pensez à ses enfants, à son mari.
Surtout, pensez à Sylvie.
Faites votre choix.
Ne reculez pas.
Vous connaissez tous Sylvie, alors aidez-là.

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