L'Homme courbé

  Comme la bête qui ploie sous trop de poids, l'Homme courbé avance péniblement. Ses mains l'aident à ramper et à gravir la plaine comme on grimpe un sommet.

  Mais qu'est-ce qui impose tel martyr à son dos ? Pourquoi ne jette-il pas à bas la charge qui fait craquer ses vertèbres de misère ?
  Le maléfice de l'Homme courbé c'est qu'il ne peut se retourner (ses vertèbres sont écrasées) et il ne peut ainsi voir ce géant centipède qui lui marche sur l'échine.
  Etant pareil à l'Homme assis, ses yeux sont tyrans ; comme il ne regarde que de l'air, il croit que cet air est très lourd et lui brise le dos, faisant chanceler ses jambes osseuses.

  Mais pourquoi ne cherche-t-il pas à courir ? Dans sa fuite, il verrait cet immonde cyclope, lui sauterait à la gorge et les bains de sang ainsi produit rempliraient les veines de cet être courbé pour lui donner la force de rire (et peut-être après aller se précipiter dans un gouffre). 
  Mais non, l'Homme plié croit que son supplice vient de l'air qu'il respire. Qui serait assez fou pour échapper à l'air ?...

...celui qui veut échapper à l'air suffoque et crache ses poumons noircis par le vide.