L’homme nie l’présent
absolu
De deux choses lune l’autre c’est le soleil,
de deux choses l’autre c’est pas soi-même.
Nos âmes se sont touchées de trop près, ne laissant pas d’autre choix aux corps que de se mêler… comme pour conjurer le sort, se prouver qu’on pouvait se perdre en quelqu’un d’autre, et puis on réalise le bien qu’on a reçu et le mal qu’on fait. Depuis on se tait, on se terre, à l’abri dans son repère. On évite de sortir sous peine de se mettre en danger, on évite de se frôler, la gêne s’est installée…
Essayez de sortir de l’ordinaire, c’est l’air du nord qui vous rattrape, qui vous emporte, et vous égare ; essayez de tenir la route, la routine devient votre seule roue de secours, jusqu’à la crevaison, et vous laisse ratatiné, sur le bas-côté…plus besoin de garde-fous pour les âmes rangées à la maison, y a les armes, qu’on utilise, quand la raison est dérangée.
Mais bordel, c’est quoi ces gens qui pensent avoir une emprise sur nous, vers lesquels on se dirige, malgré nous. Ils se disent prêts à nous bâtir un empire, et passent leur temps à se mentir. Dès qu’ils ont créé la dépendance, la sentence est prononcée ; ils savent d’avance qu’ils peuvent s’en aller et nous laisser en errance, et avant même qu’on ait revendu la maison, ils nous attendront sur le perron, «ça coûte rien d’essayer » , ou encore « j’ai changé, rien ne sera plus comme avant » . Ca vous dit quelque chose ce refrain, qu’on pourrait reprendre tous en chœur et qui pourtant nous rattache à son cœur… un hymne infernal, à la gloire de l’insaisissable, le sablier n’en finit pas de se retourner, on n’a pas fini de dépérir sous le regard amusé d’une fée et d’un elfe qui se rient de nous abuser.
C’est bien joli la féerie, mais ça fait longtemps qu’on ne rit plus aussi franchement qu’avant... sûrement par peur de casser sous l’effet des vibrations nos organes devenus fragiles, y a plus qu’à marquer « haut » sur le front, et « bas » … euh, pas la peine de le marquer, on peut pas le voir d’ici. De toute façon quand on y sera, on pourra pas le manquer. On tourne en rond, encore et encore, pour passer devant cette belle vitrine, encore une fois, sans même voir que l’enseigne a changé, la pharmacie a fait faillite, détournement d’aspirine…
Le doute s’établit, je suis blasée des médecines accoutumées aux défilés costumés des ordonnances superflues ; trafic désordonné de stupéfiants méfaits, l’effet est immédiat, les forces s’atténuent. Les médias prônent la mise à nue, l’immédiat sans prompteur devient incongru..
On tourne jusqu’à user nos semelles, jusqu’à s’en brûler la cervelle. Chaque passage supplémentaire fait fondre un peu plus la moelle épinière, on en oublie les maux d’hier. On maudit l’air qui remplit encore nos poumons, arrêtez vos sermons, laissez-moi réciter la même prière, si ça m’plaît, permettez que j’oublie un instant ces hommes qui décident d’être volontaire pour des homicides légendaires, laissez-moi oublier qu’ici sur Terre je contribue à l’élection de miss « univers sale », occupez-vous de vos narines gênées par les odeurs pestilentielles des horreurs estivales, soignez vos côlons irrités de rester sans-papier. Les uns testent un moyen d’échapper au contrôle sanitaire, sous peine d’être évacués par le haut hémisphère, les autres s’évanouissent dans la nature, à l’affût de la moindre ouverture…
On tente de survivre à nos luttes intestines, on se construit sa Chapelle Sixtine, pour une existence divine on dresse un autel, pour un bonheur dit vain on fabrique soi-même ses ailes. Sempiternels regrets, tant pis pour elle, tant mieux pour lui…l’éphémère luit et s’étiole, l’éternel a fui, je m’envole…
Ce courant d’air après lequel on court s’empresse de souffler les bougies allumées pour illuminer l’allée centrale : s’il n’est pas là c’est notre oxygène qui s’fait bouffer par les flammes.
Y a longtemps que l’Eglise est désaffectée, mais on y a entreposé tout notre affect, tout ce qui nous reste. Si on tend bien l’oreille on entend encore quelques accords de guitare, ou l’archet dispersant quelques secondes le noir qui nous enveloppe, mais la lumière est trop vive, elle nous crame la peau, la douleur nous vampirise… nous renverse sur le dos. C’est bien chair payée pour si peu du visage adoré, à peine admiré qu’il se mire déjà dans d’autres eaux.
Remarquez, à rester ainsi, perdu dans d’infinies homélies, c’est dans notre lit de mort qu’on s’enfouit ; à s’enfuir ainsi de la vie, on revêt notre linceul. Si l’un souffre d’être seul, l’autre referme doucement le cercueil.
Seulement y a plus de bois, les forêts sont délestées de leurs feuilles par des magnats de la presse à l’affût du best-seller, partisan du contrat sans effort, ils prennent de la hauteur en laissant leurs auteurs se dévoiler dans un fatras de papier, avant de se recycler dans une vie éparpillée, pillés par leur folie des grandeurs…
Bouh que c’est lugubre tout ça, comme la chouette qui hulule un soir de pleine lune. Et hop ! encore un vieux cliché, encore une photo déchirée, sans la jeter au feu ; on la recolle, on n’sait jamais.
Non, terminées les séances diapo, j’ai peut-être pas fait Sciences-Po, à vrai dire ça n’m’a pas porté préjudice. J’ai pas forcément eu de peau, j’ramène peut-être ma science alors que je suis pas le meilleur exemple. Je suis pas exempte de revivre cet enfer, d’aller me perdre à nouveau dans un somptueux sanctuaire. Mais sachez qu’une fois qu’on y est, on ne sait plus qui on est, on en oublie même jusqu’à ce qu’on pleure. C’est un leurre, qui appâte notre âme, et la laisse dans son marécage… alors on s’essouffle, on se noie, on finit par mourir avant l’heure, comme il se doit.