L'homme qui plonge
mailys
L’homme qui plonge.
Les muscles sont tendus. Ca emmerde tout le monde lorsque le corps aussi raide cherche l’extrême…
Les gens baillent et pensent à la bouffe de leur chat. Le mec sur scène ne bouge pas pendant 10 bonnes minutes. La vieille d’à côté ronfle déjà. Insupportable. Et puis il se met à pousser sur ses jambes et très lentement il vient déposer sa main sur le plancher. Ses bras dessinent la résistance au contact du sol. Il garde la tête haute, revient en arrière assis sur sa chaise, et puis recommence le mouvement. Toujours aussi lent. Passionnant. Il bouge à peine et pourtant des petites gouttes coulent sur son nez. Il va chercher la mise à nue du geste, l’épuisement dans le presque rien. Il recommence. Les hommes s’impatientent et les adolescents ricanent entre eux. Le danseur continue d’évoluer. Dans la répétition les choses s’installent et se défont de la première sensation. Le mec sur scène se fait des bleus sur les phalanges et la musique devient plus forte encore que le bruit de ses mains qui claquent sur le sol. Il nous oblige à regarder. On tourne en rond avec lui pour trouver le vertige. Il ne s’arrête pas, nous non plus, le regard scotché sur son corps faiblissant. Et les jeunes qui ricanent. A croire qu’ils font partie du spectacle. Embauchés pour l’exemple. Le danseur s’interrompt. Un cheveu sur la soupe. Il s’est redressé, sur ses deux pieds, un genou lâché, comme s’il attendait le bus, et il nous regarde. Toutes les tensions ont disparu, peut-être même que les violons ont cessé leur musique infernale. La salle aurait pu se rallumer, rien n’aurait choqué. Et les jeunes qui se sentent concernés. Il nous regarde depuis son carré fortement éclairé, provocateur. L’air de dire, « Ah c’est comme ça que vous le prenez ! ». Et puis là on ne comprend plus rien. Il se met à enchainer des mouvements, il spirale, ondule, ça en devient presque drôle, absurde. Les jeunes montrent des signes d’attention. Le danseur s’arrête régulièrement pour nous fixer et puis repart dans son délire. Un délire qui plait. Loin de la concentration de départ. C’est du show. Comme à la télé. Provocateur.