L’Homo-Coniuncta

mc-la-mane

Voici ma toute première nouvelle. Une histoire de science-fiction avec une réflexion sur les nouvelles technologies. Elle n'est pas parfaite et je vous invite d'ailleurs à partager vos conseils.

L'Homo-Coniuncta

Poste Blog [13/10/2060]

Si vous lisez ce poste c'est que je ne suis probablement plus de ce monde.


Début de la retranscription.


“Hélas Monsieur Orcha, cela ne fait pas partie du contrat et j'ai bien peur que de toute façon, nous ne puissions plus revenir en arrière sans entraîner de graves dommages…”


Cette phrase de mon e-docteur, le professeur Guzman, résonna dans ma tête comme un écho, “revenir en arrière”, “en arrière”... A travers ces mots, je réalisai que nous étions dans le futur. Ce n'était pas vraiment le futur que je m'étais imaginé dans ma jeunesse, mais bien le futur de l'Homme, la première transition depuis l'hégémonie d'Homo Sapiens face à l'Homme de Néandertal. Nous étions entrés dans l'ère de l'Homo Coniuncta ; cela vient du latin qui veut dire “connecté.”


Qui parle encore latin en 2060, me direz-vous ? Eh bien moi. Enfin, je ne l'ai jamais appris non, pas plus que la majorité des langues et dialectes répertoriés sur le world wide web et pourtant, je suis le premier humain à les comprendre tous, à les parler tous. Je ne suis ni un autiste, ni un linguiste et encore moins un génie, je suis juste le premier Beta Testeur de l'E-brainX de la société Sampple.


L'E-brainX a été lancé comme une réelle révolution : pour la première fois, l'homme n'allait pas être connecté via un appareil, ni via une montre, ni via des lunettes, ni via un smartphone, mais via son cerveau. Moyennant une intervention chirurgicale, Sampple peut connecter le cerveau de l'Homme à l'Internet. Une promesse incroyable : à tout moment, je peux savoir tout ce que je désire : la recette de la blanquette de veau, la théorie des bosons de Higgs, la bibliographie de Hugo en passant par le nom des candidats de la plus sombre émission de télé-réalité américaine des années 2000, TOUT !


Je peux télécharger un film et le regarder rien qu'en fermant les yeux. Je parle de téléchargement légal bien sûr, puisque mon compte bancaire est lui aussi connecté à mon cerveau. Ce qui est d'ailleurs pratique pour les courses, je n'ai qu'à penser à ma liste et confirmer l'achat sans lever le petit doigt.

Une autre promesse alléchante, rallonger votre espérance de vie ! L'E-brainX est à l'écoute de votre corps. Avant même d'être malade, votre cerveau sait s'il y a un problème, il peut donc vous avertir avant de ressentir les premiers symptômes. Chaque mois, vous recevez votre body-newsletter ; votre corps vous envoie littéralement un e-mail pour vous résumer votre état de santé physique. C'est aussi la fin d'Alzheimer, ou tout du moins en partie. Pensez-y, tout ce que je vois, tout ce que je vis, est enregistré et classé dans mon disque dur interne. Finis les trous de mémoire, je peux consulter mes souvenirs comme des vieux dossiers et même les envoyer par e-mail à tous mes amis si cela me chante ! Je dis en partie bien sûr parce-que l'E-brainX n'a accès qu'à certaines fonctions cognitives : la perception, le langage, l'audition. L'E-brainX ne peut donc pas, en théorie, fouiller dans la mémoire précédant mon implantation. Donc si je devais contracter Alzheimer, il se peut que j'oublie une partie de mon passé, mais pas mes dernières années.


Plus onirique, vous pouvez re-visionner vos rêves si vous le souhaitez ! Sans vouloir faire de jeu de mot, qui n'en a jamais rêvé ? Bon cela dit, on s'en lasse assez vite, ça reste très compliqué à suivre un rêve, les personnages changent sans arrêt et les unités de lieu aussi. C'est marrant au début et puis ensuite on retourne au cinéma.


Les rêves devraient peut-être rester dans l'inconscient, c'est ce que m'a appris l'histoire que je vous raconte.


Oui, c'était donc ça le futur ! Cette réflexion me replongea soudainement dans ma mémoire, pas ma mémoire artificielle, les quelques 800 Tera octets de données stockées dans mon E-brainX, non, des souvenirs réels, ceux de mon enfance.


Je suis né au début du siècle, en 2024, j'ai grandi dans une petite ville. Je me souviens que mon père me parlait de son époque ou les télés étaient lourdes et encombrantes, elles ne faisaient pas partie des murs comme aujourd'hui. Il a vu la naissance de l'Internet, l'ascension des jeux vidéos, il regardait des films enregistrés sur des grosses boites en plastique noir, puis sur des disques. Il a vu mourir les journaux imprimés, les programmes de télévisons statiques, ah ! Allez expliquer à un jeune d'aujourd'hui que les émissions de télé de l'époque étaient imposées par les chaînes sur un créneau horaire précis...


Je me souviens, quand j'étais petit, j'adorais fouiller dans les vieilles affaires de mes grands-parents. Ils avaient par exemple un vieux téléphone de maison avec des fils et même un drôle de cadran qui tournait. Dans les années 2010, les adultes arboraient fièrement leurs smartphones, contents de pouvoir prendre des photos, en particulier des photos d'eux-mêmes; des “selfies” comme ils disaient. Ils envoyaient des emails, se connectaient partout sur leurs réseaux sociaux, stockaient de la musique… Eux aussi, ils se croyaient dans le futur parce qu'ils avaient connu le passé. Après tout, on est toujours le futur d'une époque, et le passé d'une autre… Je crois que mon E-brainX commence à chauffer.


Aujourd'hui nous sommes le 13 Octobre 2060, j'ai 36 ans et je suis dans le cabinet du professeur Guzman du siège de Recherche et Développement de Samplle en Californie. Les murs sont blancs, tout est propre, rangé, les stylos sont parallèles, les livres classés dans l'ordre alphabétique. Tout respire le design, le pur, le lisse. Même l'odeur semble aseptisée. Mon e-docteur vient donc de m'annoncer qu'il n'était pas possible de me faire retirer le E-brainX que j'ai depuis maintenant deux ans. Ceci évidemment, je le savais, mais l'entendre m'a fait prendre conscience sur ce point de non retour dans l'histoire de l'humanité. C'est aussi un point de non retour dans mon histoire. Comment avais-je pu en arriver là ? Pour bien comprendre cette fin, laissez-moi vous en conter le début.


J'ai toujours été un fanatique de technologie. Comme je le disais, je m'intéressais aux vieilleries de mes grands-parents avec beaucoup de curiosité, tout comme aux nouvelles technologies. A cinq ans, j'ai eu ma première paire de google glass. Bien sûr, elle n'était pas aussi performante que le modèle chinois, les Baidu Glass, mais ça m'a permis d'être connecté dès mon plus jeune âge. Je n'avais rien d'exceptionnel pour un jeune de ma génération, même si je n'avais pas à me plaindre étant donné le niveau social de mes parents. Tout le monde possédait au moins un appareil connecté mais j'en voulais toujours plus. Adolescent, je désirais toutes les nouveautés, je ne réfléchissais même pas à leur intérêt, je les voulais juste parce que c'était nouveau. Je ne voulais pas attendre pour suivre les autres, c'était les autres devaient me suivre. A vingt ans, j'avais deux smartphones, une smartwatch, un stylet connecté de Wacom et une paire de Baidu Glass 8. Sans parler de ma chambre étudiante toute aussi connectée.

J'étudiais en Science des Réseaux Bio Mécaniques ; c'est-à-dire l'étude des sciences qui connectent l'Homme aux robots. C'était encore expérimental sur de nombreux points, le sujet me passionnait même si je n'étais pas aussi fort que je voulais bien le croire.


Malheureusement, à vingt-cinq ans, alors que je préparais ma thèse, je fus arrêté pour avoir piraté des sites de paris en ligne. Ma coquetterie pour les petits bijoux high-tech s'avérant onéreuse, j'étais devenu un cybercriminel en parallèle de mes études. Évidemment, aucun job étudiant ne m'aurait permis d'accumuler autant de gadgets et je me croyais invincible, plus intelligent que tout le monde, l'orgueil de la jeunesse ! J'étais pourtant resté très prudent, mais je pense que j'ai été dénoncé, mon comportement ostentatoire vis-à-vis de mes jouets avait dû en irriter plus d'un. Avec le recul, je comprends. J'ai évité de justesse la prison, mais j'ai quand même écopé de cinq ans de “contrainte numérique”. C'est-à-dire qu'ils m'ont fait porter un bracelet qui déconnectait tous les appareils électroniques dans un rayon de cinq mètres. J'aurais préféré la taule ! Quand vous savez qu'à partir de 2025, le moindre micro-onde ou la moindre voiture était devenu incapable de marcher sans une connexion Internet, autant vous dire que les temps ont été difficiles. Ce fût d'ailleurs impossible de finir ma thèse, de toute façon la faculté ne voulait plus de moi. Je suis allé vivre chez mes grands-parents ; technophobes, ils avaient encore des appareils qui me permettaient de cuisiner ou de me divertir sans connexion. Je me souviens que mon papi m'avait fait découvrir sa vieille console : ça s'appelait “Nintendo 64”. Au début ça me faisait vraiment mal aux yeux, je ne comprenais pas comment on pouvait jouer à un truc pareil, mais j'ai réussi à m'y faire. Cependant, je n'étais pas guéri de cette passion pour les nouveautés électroniques, je continuais à suivre assidûment les actualités. Le jour où l'on me retira mon bracelet, la première chose que je fis, fût de m'acheter une nouvelle smartwatch. Je n'en n'avais pas les moyens mais je m'en foutais.


De toute façon, j'étais résolu à trouver un travail, honnête cette fois, en tant qu'ingénieur réseau. Hélas mes bonnes résolutions n'intéressaient pas vraiment les employeurs qui restaient focalisés sur mon passé de cybercriminel. Ce fût le début d'une longue période de galère, j'enchaînais les petits boulots, je créais des sites mobiles et des applications. Cela me permettait de gagner ma vie, mais je m'ennuyais horriblement.

Jusqu'à ce jour d'août 2057, il y a trois ans. Je tournais en rond au travail lorsque je suis tombé sur un article d'une communauté de fans de Sampple. Le bureau de développement américain cherchait à béta-tester un processus révolutionnaire : un projet ultra-secret nommé E-B-X. J'avais vaguement entendu parler d'une rumeur de cerveau connecté, quand j'étais étudiant en Science des Réseaux Bio Mécaniques, mais à l'époque c'était encore de la science-fiction. J'étais très excité par la nouvelle, je me suis inscrit et pour me donner toutes mes chances, j'ai mis de côté mes nouveaux principes pour retrouver l'un de mes vieux vices : le piratage. En prenant toutes mes précautions, j'ai fait moi-même le tri dans les candidatures, ce qui m'a permis de passer directement à l'étape des entretiens. Là, plus de triche possible, si ce n'est un petit micmac dans les agendas ou les billets d'avions de certains de mes concurrents, mais rien de plus. En janvier 2058, après une batterie de tests, j'obtiens une réponse positive pour devenir le premier Béta-Tester du projet E-B-X. Je suis fou de joie ! J'allais marquer mon nom dans l'histoire !


Tout alla très vite ensuite, on me fît signer un nombre astronomique de contrats que je lus à peine et même si je les avais lu, j'étais tellement excité que je donnais toute ma confiance à Sampple. J'avais d'ailleurs rencontré Norman Branwick, le PDG de la marque, un homme très sympathique aux allures de hippie. Pour un homme à la tête d'une méga-multi-nationale, il ne semblait même pas porter un smartphone dans ses larges poches.

En février 2058, je passe sur le billard du premier e-docteur, le Professeur Guzman. Après six heures d'intervention sous anesthésie générale et vingt-quatre heures de coma artificiel, je suis un homme nouveau. Les premières semaines sont compliquées, j'ai du mal à gérer le flux d'informations, j'ai de graves maux de tête, mais je suis heureux. Je suis connecté mentalement au World Wide Web ! En l'espace de trois mois, je maîtrise 80% des capacités de l'E-brainX. Je m'installe à San Fransisco, non loin du siège de R&D où je me rends une fois par semaine pour faire un compte-rendu, diverses analyses et autres updates. Au bout d'un an, je maîtrise presque 100% de mes capacités. C'est alors que le projet E-B-X devient officiel et est annoncé au monde entier. Je deviens le fer de lance de cette campagne de lancement. Je suis invité sur les plateaux télévisés de la Terre entière, je participe à des tournages de publicités, des gens créent des t-shirts à mon effigie. C'est de la folie et j'aime ça.


L'E-brainX est annoncé pour le 9 mai 2059 pour deux-mille-cinq-cents dollars; un prix qui ne rebutera personne puisqu'en vingt-quatre heures, plus d'un million de commandes sont enregistrées. En l'espace d'un mois, la liste d'attente était déjà de deux ans !


Tout allait pour le mieux jusqu'au jour où les évènements prirent une tournure surprenante... Nous étions la veille de la sortie du nouveau produit phare de Sampple, lorsque je fus surpris par un bug. Alors que je consultais mes rêves, ce que je faisais rarement, je me rendis compte que sur chaque nuit depuis plus de six mois, deux minutes manquaient. Systématiquement. Évidement quand on dort, on ne rêve pas 100% du temps, j'étais bien au courant et croyez moi que je vérifiai plusieurs fois. Mais là, je constatai ces “trous” dans mes nuits en plein milieu de mes rêves toujours au bout de la cinquième heure de sommeil. J'en avertis le professeur Guzman. Il sembla très troublé par ma remarque et me bredouilla qu'il y jetterait un oeil tout en me demandant d'ignorer, ce “petit dysfonctionnement” en invoquant des histoires un peu obscures sur les cycles de sommeil... Pour la première fois, j'eus l'impression que Guzman me mentait, je feignis de ne rien remarquer mais mes suspicions devinrent plus fortes dans les semaines qui suivirent. Mes deux minutes de rêves perdues, réapparurent de façon magique. Pendant trois mois, je refaisais des rêves complets, j'en fis un rapport à mon e-doc qui me répondit : “Vous voyez, je vous avais dit qu'il ne fallait pas vous en faire. C'était peut-être dû au stress, j'ai remarqué des fluctuations de votre pression artérielle ces derniers temps, détendez-vous et ne vous inquiétez pas si ça revient.”


Vous parlez que j'étais stressé ! Je me rendais compte que j'étais surveillé et qu'on était surtout en train d'essayer de m'embrouiller. Mais justement, si c'était le cas, il fallait que je garde mon calme, que je me détende. Je n'étais même pas sûr s'ils étaient capables de lire mes pensées. Je me suis mis à la méditation pour faire le clair dans mon esprit et chasser toutes ces idées pour ne pas éveiller les soupçons. En parallèle, la commercialisation de l'E-BrainX avait commencé, les files d'attentes augmentaient, je n'étais plus unique, presque même obsolète. On ne m'invitait plus sur les plateaux de télévision et d'autres m'avaient remplacé sur les couvertures de magazines.

Et puis un jour, ces mystérieuses disparitions de rêves reprirent, mais de façon plus courtes et plus disparates. Entre trente secondes et une minute disparaissaient de mes nuits tous les deux à cinq jours. Cette fois-ci, je n'en parlai pas à Guzman, j'avais un plan.


Peu de temps après ma première discussion avec mon e-doc sur ce problème, je flairais que la société Sampple espionnait mes moindres faits et gestes, dans la vie comme sur le web, jusque dans mes pensées. J'ai donc mis au point, lors de mes séances de méditation, une technique de micro-réflexion. Cette technique, qui consistait à d'intenses réflexions sur des périodes de dix secondes à divers moments de la journée, me permit de pouvoir échafauder un plan pour percer à jour ce mystère, le tout sans éveiller les soupçons. Mon idée était donc d'utiliser ce bon vieux bracelet de “contrainte numérique” ; ce qui avait été mon pire cauchemar il y a quelques années, allait devenir mon allié. En utilisant diverses ruses et couvertures, j'ai fait commander par ma grand-mère un de ces précieux bracelets que j'ai fait livrer chez eux. Guzman savait que mes grands-parents n'étaient pas des adeptes de technologies, il m'était arrivé de lui en parler ces deux dernières années. Il ne fût donc pas surpris lorsque je lui annonçai que mes grands parents s'étaient fourni une technologie anti réseau et qu'il était donc possible que mon E-brainX soit perturbé lors de mes visites chez mon papi. J'allais profiter de ma coupure de réseau pour pirater mon cerveau ! Le bracelet m'empêchant d'utiliser Internet, j'avais besoin d'un ami capable de faire quelques manipulations sur Internet, sous ma direction, à une distance de cinq mètres. Je fis donc appel à Vlad, un ami d'enfance avec qui j'avais appris à coder. Je ne l'avais pas vu depuis dix ans ce qui me rassurait, si Sampple me surveillait ces deux dernières années, ils ne connaissaient pas l'existence de Vlad, n'ayant pas accès à ma “vraie mémoire”.


Mon premier contact avec le bracelet fût une réelle libération. Pour la première fois depuis deux ans, mon cerveau était déconnecté. Je ressentais le calme, le silence, un silence si précieux. Ce fût troublant bien sûr, puisque d'un coup j'étais limité, j'étais humain tout simplement et non plus une machine. Mais je ne pouvais pas me permettre de me laisser voguer sur ce petit nuage de quiétude, j'avais une mission, pirater mon E-brain-X ! Je voulais savoir ce qui disparaissait de mes rêves, ces quelques secondes volées ici et là. J'ai donc guidé Vlad au bout de la pièce pour les manipulations à faire. Je devais créer un drive sur un serveur externe, via un compte anonyme pour enregistrer discrètement des back-ups de mes rêves. Je pourrais donc vérifier si ces “trous de mémoire” étaient naturels. En mois d'une heure étalées sur plusieurs séances, nous avions réussi à mettre en place notre stratagème.

J'avais d'ailleurs confié à Vlad la mission d'analyser mes rêves. Ce qui est tout de même une belle preuve d'amitié, parce que laisser une personne regarder le plus profond de votre inconscient peut révéler des choses qui n'ont pas leur place ailleurs que votre inconscient !

De mon côté, je dûs faire le vide dans ma tête pour ne surtout pas penser à ce que nous avions

fait. J'écoutais beaucoup de musique et je lisais des livres, ça m'aidait.

Environ dix jours plus tard, un matin, alors que je prenais mon petit-déjeuner, Vlad débarqua chez moi sans prévenir. En plus du bracelet de “contrainte numérique”, il portait un masque pour être sur que Sampple ne découvre pas son visage à travers mon E-brainX.

“Quoi ...? Je me suis tapé ta soeur dans un rêve érotique ? lui dis-je pour tenter de détendre l'atmosphère. Il me répondit par un silence.

Non ! Ta maman ?! Ton chat ?

Joseph…”

Je n'avais pas l'habitude que l'on m'appelle par mon prénom. Dès qu'il était arrivé chez moi, dès que j'avais vu qu'il portait le bracelet et un masque, je savais qu'il allait m'annoncer une mauvaise nouvelle. Si j'essayais de plaisanter, c'était parce que j'avais peur.

“Désolé Vlad, je ne suis plus sûr de vraiment vouloir savoir…

Jo, t'es mon pote et maintenant que je sais ce qu'il se passe, je peux pas te laisser ignorant, tu dois le savoir. Tu dois comprendre ce qu'ils t'ont foutu dans la tête.”

Il se tenait face à moi de l'autre côté de ma table haute sur laquelle je déjeunais. Il sortit de son sac une tablette et me l'a tendit. Je la déverrouillai, il y avait un signe “play”. Après quelques secondes d'hésitation j'appuyai, la lecture commença. Un code temporel indiquait le jour et l'heure : 02/10/2060 - 3h23.


A l'image on voit une ville de nuit, je suis dans une rue entourée de buildings, un homme avec un visage de chat me parle mais on ne comprend pas ce qu'il dit. Je tourne la tête et je passe une porte qui était au milieu du trottoir. L'homme chat, maintenant devenu un cousin que je n'ai pas vu depuis des années d'ailleurs, m'invite à jouer au basket et là : noir…


Je relevai la tête et regardai Vlad sans comprendre, il me fît signe de regarder à nouveau l'écran.

C'est alors que sur un fond de ciel bleu apparaît un paquet de céréale, sous la boîte on lit une accroche dans une typographie ronde et colorée : “Choco Crocs, Le Croqueur de Choc qui sommeille en toi !”... L'image reste statique, puis le noir revient, je rêve alors que j'ouvre les yeux et un nouveau rêve commence...


J'étais sans voix, la bouche ouverte, mon monde s'effondrait. Posé sur la table, entre Vlad et moi, il y avait un paquet de Choco Crocs…


Je…


Je ne savais même pas quoi dire. Vlad tourna la tête en observant mon appartement. Il se dirigea vers le réfrigérateur et l'ouvrit. Il commença à prendre des produits et à les jeter parterre. “Soda.. Yaourt… Gruyère… Moutarde, il se retourna vers moi, ton parfum, tes t-shirts… que sais-je encore parmi toutes tes affaires ! Mec, ils t'ont lavé le cerveau ! Ils t'ont promis le savoir, la santé, la mémoire, mais c'était juste pour te vendre leurs merdes ! Ils ont littéralement fait de ton cerveau un espace publicitaire ! Ils se cassent même pas le cul à enrober le truc dans un simili rêve où une gonzesse te ferait manger des Choco trucs sur ses nibs' ! Ils en sont peut-être incapables qui sait. Non, ils te mettent juste un packaging et un slogan à chier à chaque fois !”


Je n'arrivas pas y croire. Toute ma vie, j'avais cru en la technologie, aux sciences, au progrès, l'avancée de l'humanité grâce à ces technologies… Naïf ! Je comprenais enfin que la philanthropie était le dernier des soucis des Multinationales de hautes technologiques. Il n'en n'ont rien à foutre de notre santé ou du progrès. Tout ce qu'ils veulent c'est nous vendre leur came pour mieux nous en refourguer d'autres… Je comprends et parle toutes les langues, je connais la théorie de la relativité d'Einstein et l'histoire de France dans ses moindres détails et pourtant, à cet instant, je me suis senti l'homme le plus stupide de la planète.

J'avais le regard dans le vide face à Vlad.

“Il faut qu'on te face retirer ce truc et surtout, il faut que l'on prévienne les médias. La planète tout entière doit savoir.

Tu as raison, il faut que j'informe le monde de cette supercherie, mais pour moi c'est fini. Ils… ils me possèdent. Tant que j'aurai ce truc dans la tête, je serai leur marionnette.

Tu peux pas abandonner Jo, maintenant que tu sais, maintenant qu'on sait, ils ne nous laisseront jam…

Va-t-en, va-t-en maintenant ! Toi tu peux t'en sortir. Ils ne te connaissent pas, je n'ai jamais parlé de toi, ils ne savent pas que tu m'as aidé. Mais moi ils me retrouveront. Du fait que je sois déconnecté en ce moment sans les avoir prévenu au préalable, ils ont sûrement dû envoyer des techniciens Sampple venir me voir. Ne t'en fais pas pour moi, ils ne peuvent pas me faire de mal, des milliards de dollars sont en jeu. Mais je préfère que tu sois loin quand ils arriveront.

Jo…

Je trouverai un moyen de te contacter. Prends garde à toi surtout et merci d'avoir fait ça pour moi, maintenant vas-y !”

Il me prit dans ses bras et parti après un ultime regard au coin de la porte.


Ce n'était qu'une question de minutes avant que les techniciens Sampple entrent dans mon appartement en me demandant poliment de les suivre. Cela ne servait à rien de fuir. Avant qu'ils arrivent,  il me restait une dernière chose à faire : effacer totalement Vlad de ma mémoire pour le protéger. Pour cela, je devais faire en sorte que mon E-BrainX accèdent à toutes mes fonctions cognitives. Pour le moment, il m'avait toujours été impossible de casser la barrière entre mon cerveau électronique et l'intégralité des fonctions cognitives de mon véritable cerveau et à vrai dire cette perspective me faisait un peu peur. Je sombrai dans une profonde méditation.


Nous sommes donc le 13 Octobre 2060 et je viens de sortir de méditation face à Guzman, dans son bureau. Il a l'air stressé et fatigué. Contrairement à lui, je suis calme et serein.

“Monsieur Orcha..

Docteur.

Vous n'imaginez pas tous les changements que cela impliquent dans mon agenda, le fait de vous voir aujourd'hui, Joseph. J'ai plus de 4 interventions par jour, je ne peux pas me permettre de jouer le psy pour chacun de vos états d'âmes !

Docteur Guzman, je souhaite me retirer du projet E-B-X. Enlevez-moi ce truc.

Hélas monsieur Orcha, cela ne fait pas partie du contrat et j'ai bien peur que de toute façon, nous ne puissions plus revenir en arrière sans entraîner de graves dommages…”


Nous en sommes donc là... Sa réponse je la connaissais déjà, les contrats je les avais relus, plus consciencieusement qu'à l'époque où je les avais bêtement signés.

“Ce truc, comme vous dites, est le fruit d'une vie de travail. Une collaboration avec des centaines d'hommes et de femmes qui ont tout sacrifié pour voir ce projet arriver à terme. Parce que ces ingénieurs, ces scientifiques croient au progrès, ils savent tout comme vous quel bond fantastique l'humanité s'apprête à faire. En augmentant notre cerveau, c'est l'Homme que nous augmentons. Bon sang, imaginez seulement ce que Mozart, ou même Einstein auraient pu accomplir en plus avec l'E-brainX ?

Ils n'ont pas eu besoin de ça pour faire ce qu'ils ont accompli.

Depuis quand avez-vous cessé de croire au progrès monsieur Orcha ?

Hahahaha… le progrès ! Je vous vois agiter votre petit drapeau du progrès pour masquer la réalité. Vous essayez de nous éblouir avec ce blason “progrès” pour mieux nous vendre vos céréales, vos shampoings, vos hamburgers dans notre dos… Non ! Pire, dans nos rêves. Vous avez volé ma liberté de penser, vous avez volé mon libre arbitre en faisant de moi votre machine à sous. Avec Sampple vous êtes en train de créer une armée de pantins. C'est ça le Progrès ?!

… Je vois... Joseph, nous vous avons sous-estimé. Nous vous avions justement sélectionné pour votre dévotion, pour votre technophilie, mais aussi pour votre naïveté. Il faut croire que l'E-brainX vous aura vraiment rendu plus intelligent… Mais voyez vous, cette invention, n'aurait jamais pu vivre sans le soutien de nos partenaires. Les enjeux ici se comptent en milliards, vous vous en doutez. Alors oui, nous avons eu besoin d'investisseur et ses investisseurs ont maintenant besoin de nous. C'est comme ça que la Terre a toujours tourné... Je regrette que vous ayez découvert ces informations Joseph. Vous avez été très malin, pour nous tromper de la sorte. Les déconnexions, votre serveur externe, la méditation, vous nous avez beaucoup appris, on va pouvoir apporter une petite mise à jour pour notre V1.

On verra bien ce qu'en pense l'opinion générale quand je leur annoncerai… vous allez brûler !

C'est bien pour ça que je regrette sincèrement cette situation. Nous avons déjà coupé votre accès internet, nous ne pouvons nous permettre de vous laisser vous promener librement sur la toile. Nous ne pouvons pas non plus vous laisser sortir de ce bâtiment…

Mais vous ne pouvez pas me tuer, tôt ou tard, la presse apprendra mon décès et il ne lui faudra pas beaucoup de temps avant de lier ce meurtre à Sampple.

Haha… vous tuer… nous sommes pas dans un film Joseph ! Voyez-vous, de toutes les choses que vous nous avez apprises, il y en a une extraordinaire : votre E-brainX a accès à toutes vos fonctions cognitives ! Sinon comment auriez-vous pu monter ce petit plan et en effacer toutes les traces ? Cette découverte dépasse toutes nos espérances. Vous comprenez ? Vous contrôlez toutes vos fonctions cognitives via votre E-brainX, ce que nous pensions impossible. Nous contrôlons votre E-brainX et donc, nous contrôlons votre cerveau !”

Je sentis à ce moment là une sueur froide sur mon front. J'étais pris au piège, au piège de mon propre corps.

“Qu'est-ce que vous comptez me faire ?

Eh bien comme tout logiciel défectueux, nous allons vous mettre à jour, monsieur Orcha.

A cet instant le Docteur Guzman fit un signe de la tête à quelqu'un derrière moi. Je n'eus pas le temps de bouger qu'une aiguille s'enfonça dans mon cou. Je me senti alors sombrer dans le sommeil, impuissant. Guzman approcha son visage du mien en tenant un disque dur entre lui et moi.

Nous allons faire une expérience... Nous allons tenter d'enregistrer une sauvegarde de l'E-brainX du eDocteur Guzman dans le cerveau de Joseph Orcha ? J'ai toujours rêvé d'avoir des yeux bleus... Au revoir monsieur Orcha.


Fin de la transmission.


Dans le cas où mon activité cérébrale s'arrêterait, j'avais prévu de poster ce billet et de le partager avec les médias du monde entier. Vous connaissez mon histoire, vous connaissez la vérité sur Sampple, à vous d'en retenir les leçons.

FIN  -


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