L’hôpital n’est pas un lieu de tout repos.

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J’avais mal dans la poitrine et j’étais essoufflé lorsque je marchais vite. Je m’en suis ouvert auprès de mon médecin traitant qui m’a envoyé vers un cardiologue qui m’a fait hospitaliser.

 

 

Mercredi 18 avril 2007 16 heures

J'entre dans la chambre.

Deux grandes baies vitrées laissent passer le soleil.

Elle est spacieuse, à deux lits.

L'autre lit est occupé par un vieux machin qui me salue.

Je suis trop stressé pour engager une conversation.

Il m'interroge :

Alors ? vous êtes là pour la tuyauterie ?

 !

Euh… pour le cœur ?


Nous sommes bien dans le service cardio, non ?

 

Il a comprit. Il pense à autre chose.

 

Je vide ma trousse de toilettes dans la salle de bain qui contient deux lavabos.

Merde, j'ai oublié ma serviette de bain, faudra que j'en demande une aux infirmières.

Je m'installe sur le lit et je lis.

Une infirmière ordinaire vient me faire la prise de sang …. Aïe !

Passent les heures.

Un type, qui peut être infirmier ou médecin vient me voir, me demande si je sais en quoi consiste l'examen des coronaires. Je lui dis que je veux bien une confirmation de mes infos. Il me confirme, mais omet de préciser que si mes coronaires sont bouchées il me sera posé des stents. Je lui fais part de mon étonnement et il me répond qu'ici, dans cet hôpital, on ne le fait pas et qu'il faudra que je repasse sur le billard si mes coronaires sont atteints.

Je lui demande son nom, il se présente : docteur Bidule.

Je lui dis que ce n'est pas le nom que l'on m'avait donné comme chirurgien et m'inquiète de savoir si c'est lui qui va me charcuter ?

Il est vexé et tourne brutalement les talons en me lançant depuis l'embrasure de la porte :

non, c'est pas moi !

 

Malgré cette rassurante information, je rue dans les brancards (au sens figuré, ça va de soi), j'appelle mon épouse pour qu'elle vienne me rechercher et j'informe le petit corps médical de la petite infirmière que je ne reste pas une minute de plus.

Une infirmière chef arrive au galop pour me demander ce qui se passe ?

Je lui raconte l'imposture et lui apprends que je ne suis pas du genre à me laisser vider de mon sang sans rien dire.

Elle me demande de patienter quelques minutes avant de quitter les lieux car le cardiologue (le vrai) doit passer très prochainement.

Il arrive, il semble surpris qu'un patient puisse avoir l'idée saugrenue de s'opposer au corps médical (en général).

C'est un quiproquo, le guignol qui m'a renseigné ne savait pas ce qu'il disait ou bien me faisait une blague ….. une blague ????? Mort de rire comme on dit !

Bon ! il passe au moins un quart d'heure à récupérer la connerie du docteur Bidule en m'expliquant par le détail les réjouissances qui m'attendent et les pourquoi des comment des opérations à suivre et finit tant bien que mal par me convaincre de poursuivre l'expérience dans laquelle je me sens désigné comme victime idéale.

 

Il est déjà 18 heures.

Bruit de chariot dans le couloir et une jeune femme apporte deux plateaux pour le dîner.

Je suis si énervé que je ne touche à rien.

 

Je me rassieds sur mon lit et me remets à lire.

Une ou deux heures passent, je suis soudain tiré de ma lecture par un bruit d'hydravion qui passerait dans les tuyaux d'un évier encrassé et toussoteux !

Mon voisin entame sa nuit avec une ardeur sonore et trébuchante.

 

22 heures.

Une infirmière me prend la tension, puis celle de mon voisin qu'elle a réveillé en sursaut au moment où il entonnait une cantate pour tire-bouchons coincés dans le cul d'une vache pétomane …. Ce fumier pète à qui mieux mieux.

Elle n'est pas sortie qu'il reprend avec force ses borborygmes infernaux …. La nuit promet d'être animée !

Il se lève soudain et va droit aux toilettes.

Il y fait plus de bruits qu'un dromadaire enrhumé.

Je crains pour les odeurs, alors, je vais ouvrir en grand une baie vitrée.

Il revient, passe devant le pied de mon lit sans me regarder, mais il n'a plus tout à fait la même bouille, ses joues se sont creusées et sa bouche est en cul de poule …. Ça ne lui réussit pas de chier avec cette violence !

Il ferme la fenêtre et j'ai la malencontreuse idée de le regarder faire …. Il m'offre le spectacle de son fond de slip blanc kangourou plein de caca. On se croirait dans une bande dessinée pour pervers.

 

Il reprend illico ses bruits indécents.

 

Je finis par m'endormir.

 

La lumière s'allume, et deux infirmières entourent mon lit.

L'une d'elle me dit :

Il faut que je prépare le champ. (J'ai envie de lui dire que le vacher c'est l'autre !). Elle ajoute : je vais vous tailler un short et me montre ostensiblement un rasoir à tondre les moutons. Je comprends qu'elle va me raser. Je sors de mes draps, je suis nu.

Elle s'exclame :

Mais il n'est pas trop poilu ce petit monsieur, ça va être facile !

Elle fait chanter son rasoir mécanique et attaque mes frisettes avec courage. Aussitôt son truc s'enraye et s'étouffe dans ma touffe.

L'autre infirmière propose d'exercer ses talents sur mon système pileux sans plus de succès.

Je finis par prendre les choses en main … euh, je veux dire que je leur propose de le faire moi-même !

Leur sourire les trahit …. Elles n'attendaient que ça les coquines !

Elles déguerpissent plus vite qu'une ombre de fantôme dans les douves d'un castel écossais et je fonce dans la salle de bain, me saisis de ma bombe à raser et de mon rasoir à lames girouettes, celles qui pivotent dans le sens du poil et épousent toutes les formes sauf les plis des couilles ….. ouille ouille ouille !!!

Mon regard s'égard sur le lavabo de mon colocataire et j'aperçois un gigantesque dentier qui fait trempette dans un verre pyrex incassable sauf si on sait s'y prendre.

Je comprends mieux sa mine patibulaire de tout à l'heure.

 

Puis je me recouche et m'endort, mais la nuit est agitée au rythme des expressions scabreuses du vieux bouc.

Il me joue successivement : la sirène du Mississipi, le facteur se prend les pieds dans les rayons de son vélo, la belle de Cadix a un cor au pied, le son du cor le soir dans les bois déchaîne les aboiements de la meute …. Un vrai festival !!!


 

 

Jeudi 19 avril 2007 6 heures 30

Une infirmière gueule un grand bonjour pour bien nous réveiller.

Je reste dans le coltar.

Arrive le déjeuner : une tasse de café.

 

Quelques minutes passent et l'infirmière vient prendre nos pouls.

Elle me donne un truc, une espèce de petite bouteille plastique rouge et m'enjoint de me nettoyer avant l'examen. Je lui demande le chemin de la douche … il n'y en a pas, il faudra se contenter du lavabo. Je lui demande si l'établissement peut me prêter une serviette, elle me dit qu'elle demandera.

 

Je suis à peine sorti de la salle de bain qu'un grand gaillard de brancarder m'enjoint de me mettre au lit tout mouillé et m'emmène dans cet équipage en me roulant dans les couloirs, l'ascenseur, les couloirs …. La salle d'opérations.

Une grosse horloge m'indique de ses deux aiguilles qu'il est 8 heures 55.

 

Je sors du lit, je monte sur la table de torture.

Je suis comme la rivière en bas du pré près de chez moi, je coule !

 

« Je vais commencer par vous anesthésier, je vous pique » m'alerte le chirurgien

« OUAH ! hurle-je » en faisant un saut de carpe demi-retourné d'au moins deux mètres.

« Mais c'est qu'il est douillet » se marre le piqueur.

« Je suis sensible ! » me sens-je obligé de préciser, car j'ai bien ressenti comme une tringle à rideau me traversant la cuisse droite de part en part !

 

Et c'est parti.

Le chirurgien parle avec ses deux infirmières assistantes et m'informe partiellement de ses découvertes ou de ses entreprises.

« Attention, ça va chauffer un peu, je vais vous envoyer de l'iode »

Et je perçois une irradiation de tout mon thorax jusque, dans le bas du ventre.

La table bouge, le scanner, sorte de caméra à rayons X bouge, tout bouge et moi, je ferme les yeux pour essayer de penser à une jolie plage de sable tendre et sa lagune aux eaux translucides comme mon corps sous les rayons indiscrets.

Je ne regarde pas le chirurgien, je ne sais pas si je verrais quelque chose, mais je n'ai pas envie de voir. Je me stimule en repensant à ma lecture de la veille, la vie trépidante et aventureuse du sieur François Villon qui disait vouloir éviter la ‘poue du marieux' ( la main du bourreau) ! Merde, c'est pas vraiment une bonne idée !

Et si je pensais plutôt à Rusteboef …

 

« Que sont mi ami devenu Que joie si près tenu Et tant amé ? » 

 

Ou

 

« Ce sont ami que vens enporte,

Et il ventoit devant ma porte

Ses enporta,

C'onques nus ne m'en conforta

Ne du sien riens ne m'aporta »

 

Non ! Décidemment le cœur (c'est le moment ou jamais de le dire) n'y est pas !

 

Veuillez m'excuser de ne pas vous relater plus précisément les propos tenus entre le chirurgien et ses assistantes, mais ce jargon m'échappe totalement et je n'ai rien retenu de cette heure d'investigations que les mots de la fin :

Vos coronaires et votre aorte sont en bon état pour un homme de votre âge.

 

Vous avouerai-je que j'en ai eu de grosses larmes aux yeux.

 

Le cardiologue est parti pissé pendant que l'une des infirmières mettait la dernière main à ma patte, c'est-à-dire un pansement compressif à l'aine.

C'est une espèce d'énorme amalgame de compresses que l'infirmière compresse contre l'artère fémorale pour empêcher le sang de s'échapper par le trou qui a servi à introduire la sonde à sondages. Puis elle enveloppe le tout avec de gros sparadraps blancs pour que ça reste bien en place. L'anesthésiant m'empêche de souffrir, mais je m'inquiète de la suite ….

 

En fait, le docteur n'était pas parti, il était en train d'enlever sa pesante et imposante armure noire anti rayons cosmiques.

 

On apporte mon lit et je dois me glisser dedans depuis la table d'opérations sans plier la jambe droite.

A partir de cet instant, la consigne stricte est de conserver la position sur le dos, la jambe droite immobile pendant quatre heures.

 

Un brancardier me ramène fissa jusqu'à la chambre.

A ma montre à quartz, il est 10 heures

 

La première heure s'écoule sans heurts.

Je commence à tirer des plans sur la comète.

Je n'ai rien au cœur, je vais donc pouvoir entamer une nouvelle vie dans le cadre de ma proche retraite, me consacrer corps, cœur et âme à mes deux passions : la peinture et la littérature.

Il faut que je commence par faire de la place dans la véranda-atelier, que j'archive mes documentations professionnelles, que j'organise mes journées pour perdre le moins de temps possible entre travail et plaisirs ……

Aïe !

…..   ?

Aïe !

C'est quoi cette douleur qui me prend ?

Ca cogne dans l'aine, ça cogne à chaque battement du cœur.

Et soudain, mes reins, mes reins me rentrent dans le dos et m'écrasent la moelle épinière, ça m'étripe par derrière et ça n'est que le début. Et puis aussi, ma couille droite qui se manifeste méchamment comme si elle avait décidé de se désolidariser de mon organe de reproduction. Je glisse une main hésitante et légère sous le drap, je me tâte et constate qu'elle est, elle aussi, compressée par la grosse compresse. Délicatement, je la dégage, mais elle est rancunière et continue de bouder en me lancinant à grands coups de lansquenets.

Il est onze heures et je commence à me demander combien de temps je vais souffrir, au moins trois heures avant de pouvoir changer de position et soulager mes reins pour respecter la consigne d'immobilisme.

Je me rends compte que le matelas est défoncé, je suis tout engoncé dedans et mes reins sont comme dans un moulin à pétrir les corps.

Bon ! une infirmière va bien finir par passer et je lui raconterai mes misères … en attendant ….. je prends mon mal comme je peux mais avec une parcimonieuse patience, et je scrute ma montre toutes les trois secondes et quart.

 

Mon voisin de chambre a dû remarquer quelque chose, il me taquine :

« Ca fait mal, hein ? »

Je ne réponds pas, mais je pense : ‘vieux sadique !'

 

Je souffre en silence, mais dans ma tête, ça rumine, ça rumine …..

Je commence à me demander si je ne vais pas sortir en pire état que je ne suis entré ?

On en voit tous les jours à la télé des histoires de ce genre où le malade bien portant a passé l'arme à gauche à la suite d'une épilation par une infirmière inexpérimentée, ou bien à la suite d'une radio aux rayons X surdosés qui a cramé toutes les chairs du patient ...

Je me demande si la tringle à rideau n'aurait pas arraché tous mes muscles ? Ou bien est-ce que la sonde qui est passée par l'artère fémorale ne me serait pas passée à travers le cœur pour finir dans mes poumons ?

 

Oh bon dieu, ce que j'ai mal !!!

Et les secondes qui ont décidé de durer des heures ……… Ah ! quand c'est pour des bons moments, elles défilent, les secondes, elles défilent à cent à l'heure !!!

 

Enfin une infirmière qui passe par là pour voir si tout va bien.

Non, madame, ça ne va pas du tout, j'ai un mal de chien et j'en ai encore pour deux heures avant de pouvoir me lever pour soulager un peu mon dos qui a rejoint mon épigastre qui lui-même s'est enfoncé dans la plèvre qui de son côté est passée par-dessus mon œsophage …. Même que j'en ai les yeux qui n'en croient pas leur nez !!!

Elle regarde le pansement et me dit :

« Non, il ne semble pas y avoir d'extension de l'hématome, mais je vais quand même mettre un coup de stylo bille, comme ça on pourra mieux voir.»

« Et c'est tout ? », lui dis-je.

« Euh ! vous avez besoin d'autre chose ? »

« Ben vous pourriez me donner quelque chose pour soulager ma douleur, non ? »

« Oh, je vais voir, mais il me faut l'avis de médecin, je ne peux rien décider par moi-même. »

 

Elle revient quelques minutes plus tard avec un comprimé.

« Je n'ai rien, je n'ai trouvé que ça, ça devrait vous soulager dans environ une demi-heure »

 

Quand on a mal, on ne fait pas le difficile, j'avale le cachet et je commence le chronométrage …..

 

Une demi-heure plus tard, j'ai toujours mal, mais je ne sais plus si c'est plus ou moins qu'avant.

 

Il est enfin midi, Comme je n'ai pas droit de me lever avant une heure, on m'apporte un sandwich que je mange en position allongée, ce qui n'est pas idéal.

 

Je n'attends plus qu'une chose, pouvoir me lever et soulager mon dos et, pourquoi pas, ma cuisse.

 

Je souffre en silence, mais je n'en pense pas moins ……

 

J'ai déjà alerté l'infirmière que je me lèverai à une heure pile, à l'issu des fatidiques quatre heures sans bouger. Elle m'a demandé de ne pas le faire en dehors de sa présence. Puis elle m'a apporté le pistolet ….. Ouf ! que ça fait du bien de pisser un grand coup !

 

Elle arrive à une heure pile.

 

Je m'assieds sur le bord du lit. Mon dos me dit merci.

Je reste un bon moment sans bouger, à apprécier juste cette position d'ordinaire si ordinaire.

Elle me prend le bras quand je me décide à me lever lentement.

Voilà, je suis debout et là, à ce moment je ne pense plus à savoir si j'ai encore mal, je suis trop heureux d'être levé.

Je fais un petit pas dans la chambre et un grand pas dans ma tête ; puis un autre et je contourne le lit pour me servir un verre d'eau. Ce serait presque parfait si ma cuisse ne se rappelait à mon souvenir. Je m'assieds dans le fauteuil qui jouxte mon lit pour voir si c'est mieux ? Non, je tends la jambe droite en espérant que la douleur s'esquive, mais non.

L'infirmière me met la sonnette d'alarme dans les mains et me demandent d'appuyer sur le bouton rouge si j'ai un problème.

Elle n'a pas franchi la porte que tout mon être chavire, j'ai une formidable poussée de chaleur et mes forces s'enfuient par tous les pores de ma peau, je sens que je vais tourner de l'œil ….. j'appuie sur le bouton et me remets au lit avant de défaillir. Une baisse soudaine de tension, un malaise vagal, dû à une stimulation du nerf vague, ou nerf pneumo-gastrique qui appartient au système nerveux parasympathique.

C'est en faisant des syncopes qu'on apprend du vocabulaire !

 

Et me revoici dans la position du gisant.

 

Le reste de l'après-midi se passe à gérer la douleur ….. c'est-à-dire à souffrir en silence.

 

A 18 heures, on nous apporte notre dîner, des endives au jambon. Je goûte, mais je n'ai pas faim, je ne prends que le yaourt.

A l'heure de la prise de tension, je demande à l'infirmière de me donner d'autres capsules pour la douleur. Elle me répond qu'elle va voir avec le médecin.

Le cardiologue qui m'a examiné me rend visite et me demande si c'est bien vrai que je me tords de douleurs ? Je lui dis que je fais de mon mieux pour conserver le sourire, mais que oui, j'ai vraiment très mal. Il me console en m'indiquant que c'est tout à fait normal qu'une telle opération fasse mal. J'en suis tout baba ! Il prend le chemin de la sortie, je le hèle, il se retourne et je lui dis :

« Vous pourriez au moins me donner quelque chose contre la douleur… je ne me vois pas passer la nuit dans l'état où je suis ! »

« Je vais voir ce qu'on vous a déjà donné et je vous envoie l'infirmière. »

 

Et il s'en va comme il était venu ….. par la porte.

 

L'infirmière arbore un grand sourire …. Elle me présente deux capsules.

Je me dis que la nuit va être longue …..

 

La nuit est longue …… très longue …… J'avais, dans mon sac perso, des cachets pour dormir …. Vers onze heures, j'en ai pris un, quand je ne pouvais plus supporter la douleur …… mais ça ne m'a pas beaucoup aidé, je me suis tourné de tous les côtés pour chercher une position qui ne soit pas trop insupportable …. A force de me retourner dans tous les sens, j'ai dû me prendre le sparadrap du pansement dans les drap et en me levant pour pisser, vers quatre ou cinq heures, j'ai vu la compresse qui pendouillait …. J'ai bien essayé de remette un peu d'ordre dans ce désordre, mais le sparadrap ne voulait plus coller …. Alors, j'ai tout retiré, mais ça ne m'a pas ôté la douleur pour autant.

J'ai dû m'endormir plus ou moins vers cinq heures.

 

Mon voisin ne s'est rendu compte de rien, il a dormi comme un camion diesel roulant à fond sur un chemin pierreux.

 

 

 

 


 

Vendredi 20 avril 2007 6 heures 30

 

 

L'infirmière gueule son grand bonjour …. C'est à peine si je l'entends.

 

Mais elle vient pour me prendre la tension, et là, j'explose !

« Vous ne me toucherez pas, pas un centimètre de ma peau tant que je souffrirai ! » Gueulais-je comme un putois qui s'est pris la queue dans le piège à loup.

La pauvrette est toute suffoquée, elle n'en revient pas de ma véhémence ni de mon cri dans un hôpital où la loi est celle du silence !

Elle tente une reprise en mains :

« Voyons, Monsieur, je veux juste vous prendre la tension, pas vous faire mal ! »

« Vous ne me toucherez pas, plus personne dans cet hôpital ne me touchera plus et j'appelle mon épouse pour qu'elle vienne me chercher le plus rapidement possible, je ne veux pas traîner dans cet hôpital de merde ! » et je continuai de braire comme un âne pour du son !

Elle est partie sans demander les restes du p'tit dej.

 

Deux aides soignantes sont venues faire les lits.

L'une d'elle m'a demandé des tuyaux sur les provider et l'ADSL.

 

Puis, une grande blonde à l'air pas commode a débarqué dans la chambre et j'ai senti qu'elle allait tenter de me circoncire … euh, non, circonscrire, voulais-je dire.

 

« Je suis l'infirmière chef, c'est vous qui faites des histoires et du bruit ? » S'enquit-elle.

 

Mon voisin de chambre ne savait plus où se mettre, je suppose qu'il n'avait encore jamais vu un patient impatient.

« J'ai déjà dit que je ne voulais plus avoir à faire à qui que ce soit dans cet hôpital, je pars et j'irais me faire soigner ailleurs, là où ne laisse pas les gens souffrir ! »

« Eh bien vous ne pouvez pas, ou alors , vous serez obligé de signer une décharge vis-à-vis de l'hôpital, une sortie avec avis contraire. »

« Donnez-moi votre décharge que je la signe immédiatement. »

 

Si elle croyait m'influencer avec sa décharge à la noix, c'était raté !

 

Elle est partie …..

 

C'est un peu plus tard que le chirurgien qui m'avait opéré est entré en scène et à sa mine, on voyait bien qu'il ne venait pas pour faire un bridge !

 

« Qu'est-ce que c'est que cet énergumène ? Vous avez arraché votre pansement et maintenant vous devez avoir un anévrisme, l'hôpital n'est pas responsable des individus qui ne respectent pas les soins qu'on leur donne, NON, taisez-vous, je suis venu entre deux opérations parce que monsieur fait sa crise et empêche tout le monde de travailler et parce que vous refusez de vous soumettre aux traitements qu'on vous donne …. J'ai décidé de vous garder une journée de plus pour voir ce que vous avez exactement. » Il hurlait tant que j'ai dû monter ma voix au maximum pour parvenir à couvrir la sienne !!!

« Qu'est-ce que c'est que cette histoire selon laquelle j'aurais arraché mon pansement ? J'ai tellement eu mal cette nuit que je me suis retourné dans tous les sens et mon pansement s'est pris dans les draps … et vous pouvez gueuler tant que vous voulez, moi, ça fait 24 heures que je souffre et que vous refusez de soulager ma douleur … alors je me casse de votre hôpital de dingue et j'irai me faire soigner ailleurs !  C'est non négociable ! » Ouf ! Ca m'a bien soulagé quand même de vider ma besace !

 

Impossible de savoir ce qu'il pensait … il a tourné les talons et est parti visiblement furax !

 

Mon voisin de chambre était allongé sous son lit, enfin, il faisait semblant de lacer ses chaussons.

 

L'infirmière aux beaux marrons yeux en amande est venue et m'a tendu deux capsules d'antalgique, plus deux autres « pour plus tard », a-t-elle précisé.

« Le docteur voudrait que vous passiez une échographie entre midi et une heure, ce qui ne retardera pas votre sortie prévue pour 14 heures …. Acceptez-vous ? » et sa voix était toute de velours.

« Oui, mais je pars ensuite ! » Je ne pouvais tout de même pas faire de la peine à une si charmante personne.

 

Midi, le repas est avancé et j'ai une faim d'ogre … Oups ! du poisson avec de riz blanc …. Bon, ben au moins, y'a la salade de tomates qui a l'air très appétissante. Je m'attable …. L'infirmière déboule, elle vient me chercher pour l'échographie. Bah ! les tomates ne refroidiront pas !

Nous partons de concert et ad pédibus car les petites capsules magiques ont diminué la douleur.

 

Le phlébologue est un drôle de toubib, il me reçoit en pull bleu ciel et jeans ? Tant mieux, je suis pour la décontraction à tous les étages comme nos vieux l'étaient pour le gaz.

Il est plutôt jeune et a une bouille très sympathique.

Je suis allongé sur sa table d'opération et il commence son auscultation …. Je suis tendu, mais confiant car la douleur n'est plus là.

« Bon, ben ça m'a l'air OK …. »

« AAAAH ! comme je me sens bien ! »

[ … ]

« Euh ! j'ai peut-être été un peu rapide dans ma conclusion … »

« C'est-à-dire ? » et ma voix se fait ridiculement fluette.

« Vous avez un faux anévrisme, là, je le vois clairement ! »

« Et en langage de néophyte, vous traduisez ça comment ? »

« vous avez l'artère qui pisse le sang de l'intérieur. »

« Ce qui signifie ? »

« ?  »

« Qu'est-ce que ça signifie en terme de soins ? »

« J'ai deux façons d'arrêter l'hémorragie, une rapide mais légèrement douloureuse et une autre plus longue car elle entraîne une anesthésie générale….. je vais vous montrer ce que je peux faire rapidement …»

Et il enfonce son appareil dans mon aine en appuyant avec force.

Je pousse un hurlement.

Il cesse sa torture.

« Ca fait un peu mal, mais ça doit être supportable. » Il dit ça avec un beau sourire légèrement rigolard.

« Pendant combien de temps ? »

« Au mieux, un petit quart d'heure. »

« Je ne tiendrais jamais un quart d'heure alors que j'ai mal depuis déjà vingt quatre heures. »

« Bah ! un quart d'heure de plus et ensuite, vous serez définitivement soulagé, je vous garanti que la douleur disparaîtra aussitôt l'hémorragie jugulée. »

Le cardiologue qui m'avait agoni d'opprobre choisit cet instant exact pour faire son entrée sur scène.

Ils se penchent tous les deux sur mon cas en se penchant vers l'écran de l'échographe.

Le cardiologue me prend la main et me dit :

« Vous faites preuve de beaucoup de courage, c'est bien ! »

Et le phlébologue m'enfonce son appareil dans l'aine et appuie de toutes ses forces.

« Je vais vous stromboser, il faut que j'empêche le sang de couler pour qu'il forme un caillot et bouche ainsi l'artère. »

« Putain ! que ça fait mal ! » Et je comprends que je n'ai pas vraiment le choix.

Le cardiologue s'en repart, mais promet de revenir.

 

Bon, à force de mal, j'ai commencé à déconner et à raconter des conneries au phlébologue pour oublier qu'il était en train de me faire souffrir dans mon intérêt et celui de l'hôpital. De son côté, j'ai appris qu'il était venu alors qu'il n'était pas de service.

 

Après vingt minutes, il a légèrement atténué sa pression pour voir si c'était bien strombosé. Manque de pot, ça suintait encore un peu ….. enfin, au bout d'une demi-heure, il m'a dit qu'il allait me mettre de côté pendant un quart d'heure pour voir si le colmatage tenait.

 

Il a tenu.

 

De retour dans la chambre, après avoir pissé dans le pistolet, j'ai pu constater qu'effectivement la douleur avait quasiment disparue.

 

Je suis, en quelque sorte, redevenu humain.

 

Du coup, j'ai entamé une conversation légère et futile avec mon voisin de chambre, le professeur boucher.

Oui, c'est un ancien boucher reconverti en herbager à la retraite.

J'explique :

Dans les années 40, il était commis boucher, il a fait ça pendant dix années …. La particularité de cette époque révolue, c'est que les bouchers abattaient eux-mêmes le bétail, et comme c'était la guerre, et que dans le Calvados il n'y avait pas les mêmes contrôles tatillons des allemands, son patron déclarait tuer un bœuf et en tuait cinq en réalité.

Le professeur a bien appris son métier mais refusé d'épouser la fille des patrons qu'il sautait entre deux carrés de bœufs.

Puis il a emprunté et acheté un fonds de commerce qui battait de l'aile à Bolbec … et hop, il débitait ses cinq bœufs, à son tour, en déclarant un seul bœuf officiellement abattu aux abattoirs.

Quand les contrôles se sont faits trop pressants, après vingt cinq années de vaches grasses, il s'est établi en tant qu'herbager.

Un herbager, c'est un gars qui loue ou achète des herbages et y engraisse des bêtes. Lui, la différence, c'est qu'il se faisait du gras en pratiquant l'abattage à la ferme, c'est-à-dire non déclaré aux impôts ni aux organes sanitaires.

Il vit, à présent, une retraite dorée avec des tas de propriétés et d'herbages dont il tire de généreux revenus.

Y'a quand même des gus qui savent y faire !

Si j'avais été moins naïf, moins honnête, aujourd'hui, moi aussi je roulerais dans une belle voiture !

 

Pendant la conversation, une femme des services administratifs de l'hôpital est venue pour s'enquérir de mes récriminations à l'encontre du corps médical.

Je lui ai simplement dit que j'aurais aimé ne pas souffrir pendant ces vingt quatre longues heures et que le matelas était défoncé.

On m'a amené un matelas tout neuf.

 

J'ai quitté la clinique le lendemain samedi vers 10 heures après une nuit studieuse.

 

Si j'ai écrit cette mésaventure, c'est pour en conserver une trace, et parce qu'elle alimente ma passion pour l'écriture mais je remercie toutes les personnes qui se sont souciées de mon état, de mon corps et de mon cœur. J'ai eu à faire à des personnes professionnelles, compétentes et attentionnées et si j'ai encore un peu mal, et si ma cuisse est plus noire que celle d'un nègre, aujourd'hui, disons que ça fait partie des risques du métier de patient !!!!!

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