Libérer les pensées

Thierry Ledru

Les pensées sont comme des mouches qui entrent et sortent d'une chambre. L'important est donc de laisser les fenêtres grandes ouvertes. Ainsi, les mouches, pourront aller et venir, sans guère gêner l'occupant de la chambre. Bientôt déçues par ce lieu inhospitalier, elles n'y entreront même plus."

Jacques Brosse.

J'aimais bien ce petit texte. Nettement moins depuis quelques temps. J'ai eu l'impression qu'en laissant les fenêtres grandes ouvertes, les mouches ne se lassaient pas du tout de leurs allers-retours et leurs bourdonnements constants m'horripilaient. J'attendais impatiemment qu'elles s'en aillent mais elles étaient irrémédiablement remplacées par d'autres et les différences de bourdonnement captaient mon attention, je finissais par les identifier, "tiens, revoilà la grosse noire, ah, celle-là c'est la petite nerveuse, et voilà la vieille mollassonne..." Et lorsque le tohu-bohu se calmait, je me retrouvais à craindre leur retour et je ne profitais même pas de l'accalmie.

J'ai donc voulu fermer les fenêtres mais je me suis retrouvé avec les mouches enfermées à l'intérieur et le ronflement de leurs corps butés contre la vitre était redoutablement irritant. D'autant plus que là, il n'y avait aucune chance que ça cesse. J'étais condamné.

J'ai bien imaginé que je n'avais qu'à bourdonner avec elles, me muer en insecte, plonger dans la nuée, mais la tête me tournait bien vite. Un vrai cauchemar. Ce vol anarchique n'était pas pour moi.

Et puis, là, soudain, la solution s'est imposée. Le problème ne venait pas des mouches mais de la présence de l'enceinte. Elles étaient attirées par le lieu, espérant sans doute y trouver quelques pitances ou un partenaire ou je ne sais quoi. Mais l'espace restreint contenait trop de promesses à saisir pour qu'elles puissent résister à l'attirance.

Il fallait donc pulvériser la pièce, abattre les murs, réduire à néant cette enceinte captivante. Il m'a fallu beaucoup d'énergie pour venir à bout des murailles, ne pas craindre l'immensité de l'espace qui s'ouvrait, abandonner les appartenances, l'identification à ce lieu de perdition.

J'ai tout détruit. Et les mouches désormais ne font que passer sans marquer le moindre arrêt. Elles ne sont plus que des zébrures noires qui traversent dans un zeste criard le ciel lumineux au-dessus de moi.

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