Libertés de la chair, lis

alexe

- rire et descendance -

       Il y a ceux qui croient et ceux qui ne croient pas. Qui croient en quoi ? ça dépend. Par exemple, j'aurais jamais cru que je parviendrais à faire un gosse. D'autres ne pensent qu'à ça toute leur jeunesse, puis ça arrive, et ils vieillissent encore plus vite après. Et leurs gosses dépérissent à leur tour, avant, pendant et après eux.

 

       C'est comme ça dans toutes les histoires de lignées. Quelqu'un lâche un gosse dans la nature, dit « C'est le mien », et ne lâche jamais l'affaire avant que d'avoir épuisé le filon. Certains s'appelaient Adam, d'autres, autrement. Certains y croient, d'autres, non. Ça reste juste une histoire de famille, ascendance, descendance. Chacun la sienne. C'est ce qu'on dit, chacun son langage, ses références. Son background. Il y en a certains plus lourds que d'autres.

 

       Une fois sacralisée, une ascendance devient un fardeau. Pas le droit de la critiquer. Pas le droit parce qu'il est trop difficile à entendre, le véritable sens du mot discrimination, trop lourd de conséquences, qui est l'art de distinguer entre ça et ci. Ça gêne ceux qui croient, et qui donc, par définition, ne savent pas, ne distinguent qu'en deux catégories, leur rêve, et celui des autres. Sacré bon sang, qu'ils sont imbus – des cuistres.

 

       Ils ne savent vraiment rien ces gens qui croient. Ils ont oublié d'ouvrir leurs pores au vivant, au délicat et aux rires de la chair ; leur chaire est triste et leur discours ignorant du véritable amour, le léger, le malicieux. Celui qui picote, là, et là aussi. Ils croient même encore plus fort ceux qui, d'un commun accord, ont enfilé un costard du temps où presque personne ne savait lire, ni écrire. Les mecs arrivent avec leurs costards d'époque antédiluvienne, glabres ou barbus, à la coiffe plate ou pointue ou ronde, sortes de guignols de pantomimes éculées depuis des siècles, et les croyants les écoutent. Religieusement. C'est ça le jeu. Comme des ânes. Sans oser braire de leur propre chef. Ânonnant de bréviaire en sanctuaire, fidèles à leur ignorance de croyants.

 

       Puisque d'autres y croient aussi. C'est que ça doit être vrai.

 

       Des années plus tard, quelqu'un, un égaré, tente un bilan, pire, une observation. Il se fait remballer vite fait, geôle, échafaud, assassinat.

       Un autre prend dangereusement la relève puisque chez lui aussi, le compte n'y est pas dans l'addition du hasard et du sacré.

 

       Des années, bien des années après, pour en rire, il aura fallu des milliers, milliers de morts de la sorte. Le droit de mettre en doute la croyance de celui qui ne sait rien d'autre qu'appliquer d'antiques symboles sur le réel demeure un héritage précieux, fragile. A son ascendance la plus courageuse, le non-croyant demeure fidèle lui aussi, s'il ose affirmer l'entière légitimité de sa non-foi, de son non-dogme, de son probable désir de vivre dans la paix des escarmouches plutôt que dans la peur des hiérarchies de la pensée.

 

       Transmettre le rire demeure la plus belle des libertés, le cadeau le plus cher aux enfants de notre descendance. Ils ne sont nés ni d'une côte, ni d'un courant d'air, ni d'un grille-pain ou d'un quelconque être miraculeux ; ils sont nés d'une nécessaire rencontre entre vivants. Et si je ne crois pas à grand-chose d'autre, ça, au moins, je le sais : le vivant est un être de chair avant que de tenter les étoiles, et pas l'inverse. Alors vivons de la chair au lieu d'invoquer le ciel à tout bout de champ.

 

       C'est tout ce qu'on nous demande, bon dieu.

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