le temps n'existe pas, extrait n°61
Suis-je désormais son esclave, marquée à vif par sa grandeur ? Il n'était donc pas cet être de lumière que je projetais sur ses traits d'enfant. Il m'a trompé, m'a dupé, m'a faussement guidé vers le cosmos, pour que je rejoigne sa monstrueuse quête. Quel mirage inattendu.
Affaiblie, je m'adresse à lui, car j'ai enfin compris : " Tu n'es pas le cosmos. Tu le désires, tu souhaites l'atteindre, tu es obsédé par l'envie dévorante de le devenir. Tout de toi est limpide désormais, lui dis-je, frappée par l'évidence.
- C'est bien, tu as toujours appris plus vite que tous ceux et celles en qui j'ai cru. Tous décevants, toutes minables, médiocres. Quelle perte de temps." me répond t-il.
Je prends conscience que je suis enfin son égal, peut-être même davantage.
Il poursuit : " Tu es mon meilleur élément. Le plus candide, le plus pur, le plus doué. Quand penses-tu que le soleil va se lever demain ?
- J'y ai déjà répondu : il se lève quand je le décide, dis-je avec calme.
- Exactement. Et c'est ce que je veux de toi. N'as-tu pas compris que le temps n'existe plus lorsque nous sommes près de ton être ? Je ne sais pas encore pour quelle raison mais, non seulement il n'a aucun effet sur toi, et en plus de ça, les lois du temps ne s'expriment plus en ta présence. Peut-être peux-tu également le contrôler ? Peut-être peux-tu aussi défier les lois de l'espace, de la matière, de la nature ou de la gravité ? A quel point es-tu puissante ? Pourquoi ce phénomène ? Et pourquoi toi ? " questionne t-il avec sérieux.
Je suis très attentive à ce qu'il est en train de me révéler.
Il continue d'un ton solennel : " Le temps est censé être constant, être toujours là, et s'écouler malgré nous. Nous subissons le passé, le présent et le futur. Il a toujours été ainsi. Il est notre repère, nous, qui devenons vieux et qui mourons.
- Toi tu meurs ? N'es-tu pas sur terre depuis toujours ?
- On m'a créé, enfin il me semble. C'est si lointain. Je suis né, j'ai donc un début, une temporalité, et par conséquent une fin inévitable, même si je suis ici depuis des siècles et que je vais vivre encore des millénaires. Je ne sais ni quand, ni comment un être divin comme moi meurt." dit-il avec sagesse.
Il a l'air pourtant angoissé.
Son regard est absent, l'enfant est comme ailleurs... Il revient vite à lui et reprend avec charisme : " Je visite la surface du monde dès que je le peux, j'y envoie mes démons, je trompe le temps par de la magie noire. Je suis les ténèbres, puissantes mais fragiles car toujours en guerre. Je suis lié par des chaînes invisibles à mes opposés que sont la lumière et la bonté, car il y a une rumeur encore plus vieille que moi, qui dit qu'il n'existe jamais rien sans son contraire. Je suis bien divin et pourtant mortel, quelle absurdité. Je veux dominer les deux côtés, je veux comprendre, et ingurgiter toute la connaissance du cosmos, pour enfin lever le voile sur ses mystères."
Je sens en moi grandir de plus en plus d'assurance, d'insolence et d'arrogance. Je prends du plaisir à le défier.
Je le provoque en rétorquant : " Tu n'y arriveras jamais, l'équilibre du monde est construit sur l'ordre et le chaos. Essaye, je te regarderai échouer. Il est dommage que tu ne contemples pas la brutale poésie de ce mystère, et ainsi le respecter pour qu'il reste comme il est : mystérieux.
- Le mystère rester mystérieux ? Ne te prends pas pour plus sage que tu n'es. Tu es aussi assoiffée de connaissance que moi, peut-être même plus. Car si tu détiens un pouvoir plus grand que le mien, alors comme tous, tu t'y perdras. "
L'enfant me regarde, je perçois de l'admiration dans ses pupilles. M'a t-on déjà regardé ainsi ? Je ne préfère pas y penser, je ne veux pas prendre le risque de jouer avec mes faiblesses. J'y vois aussi de la crainte, de la peur. Oui, car il ne sait pas combien de temps il pourra m'enchainer à lui, et si je me rebelle, que se passera t-il ? Ma perverse curiosité me dit de rester près de l'enfant, d'en apprendre plus sur cette énigme, je pourrais ensuite m'enfuir. Je dois néanmoins être plus futée que lui, car il ne pourra peut-être pas m'emprisonner à jamais... mais il peut me faire du mal, comme en témoigne la cicatrice rouge et brûlante sur mon cou. - elle a déjà cicatrisé ? - Lorsqu'il m'a empoigné, j'ai senti sa force divine et maléfique, je me souviens avoir eu mal une éternité. Je ne maitrise rien, et lui, il sait comment faire souffrir ma chair. Sait-il aussi comment faire souffrir mon âme ? Peut-il me plonger dans la folie ? Quel autre pouvoir a t-il sur moi ?
Tout cela me fascine, si bien que je me perds dans mes pensées et mes mondes intérieurs, me demandant ce qu'est la mort, et si je peux mourir. Le temps n'a plus aucun sens, et j'y pense pendant une existence... ou peut-être seulement pendant une seconde...
Je m'accroche alors à une pensée persistante : si ce qu'il dit est vrai, je veux aussi des réponses, et savoir pourquoi le temps n'a pas d'effet sur moi et pourquoi il n'est plus constant en ma présence.
Je reprends mes esprits et compte bien tirer avantage de la situation. C'est comme si la peur m'avait quitté pour se transformer en une séduisante et incontrôlable témérité.
Je demande à l'enfant : " Qu'attends-tu de moi ?
- Je pense que tu es la clé qui me transformera en cosmos. Je n'aurais plus besoin d'apprendre, je serai le Savoir lui-même. Ainsi, le temps n'existera plus pour moi et, enfin éternel, je répandrai mon pouvoir infini sur les pathétiques mortels que tu détestes, mais protèges malgré tout.
- Tu te trompes, je ne suis pas ce que tu imagines. Je suis un petit être frêle et dépendant de sa chair.
- Mais tu es libre du temps. Tu ne subis pas la plus grande et irrésolue loi du cosmos. Tu ne maitrises pas tout encore, je suis là pour t'éclairer le chemin, et chercher avec toi la réponse de l'univers.
- Quelle chimère, quelle folie.
- Ne fais pas semblant, ne sois pas hypocrite. Tu désires autant que moi rejoindre le cosmos, je le sais. C'est pour cela que tu voulais apprendre à mes côtés mon petit oisillon... Te disperser dans l'espace infini n'est-il pas ton fantasme le plus profond ? Ne mens pas, nous cherchons la même chose. Toi pour ne plus souffrir d'être, et moi pour être éternel. Je dois donc découvrir quel est ton lien avec le temps et l'univers.
Aller, nous avons du pain sur la planche."