L'Ichthyophobe

Emilie Levraut Debeaune

L'Ichthyophobe

Il avait beau être un type bien sous tous rapports, pour rien au monde je n'aurais accepté l'invitation qu'il me fit de visiter sa caravane.

Pour la simple et unique raison que j'avais entraperçu par la fenêtre un exemplaire du tristement célèbre "aquarium passion", un magazine que j’exécrais entre tous.

Comment l'expliquer ?

Disons, pour simplifier les choses, que j'ai toujours détesté tout ce qui touche aux poissons. Aussi longtemps que je me souvienne, les poissons m'ont porté malheur.

Pour faire court : j'aurais dû naître bélier, je suis né (en catastrophe, bien sûr) poisson. Dans ma septième année, j'ai fini aux urgences pour avoir avalé une arrête de saumon. Oui ! De saumon !

Ma première petite amie m'a quitté parce que j'ai brisé le bocal de son poisson rouge et que je n'ai

pas été assez réactif pour que ce dernier s'en sorte vivant. J'ai perdu la seconde en lui offrant un second combattant, histoire qu'il tienne compagnie au premier. Mon père est mort à cause d'un poisson d'avril quelque peu trop intense...

Tout ça pour dire que j'avais choisi ces vacances au fin fond de la Corrèze sans piscine, ni lac, ni rivière, ni aucun point d'eau d'aucune sorte à proximité, nulle part où je puisse me retrouver à portée de poissons.

Mes voisins avaient l'air pourtant charmants. Ils m'avaient invité à venir prendre l'apéritif, et voyant qu'aucun biscuit sec n'avait la forme maudite, j'avais accepté. La plaisante soirée avait continué avec des pizzas (dont aucune aux anchois !) Et finalement nous avions parlé de nos demeures de vacances.

Ma tente faisait certes triste mine à côté de leur splendide caravane grand luxe et tout confort. J'avais une très grande envie de la visiter. Mais la vision du magazine édité (certainement depuis l'enfer) m'en avait dissuadé.

Je les avais brusquement quittés, omettant même de les saluer.

Je décidai d'aller au bar. J'avais besoin d'un remontant.

J'arrivai devant le débit de boissons, respirai un bon coup et poussai la porte.

Ça commençait mal. Le lieu était plein à craquer. Les occupants étaient serrés comme des sardines. Je pris sur moi et décidai de me glisser à travers la marée humaine jusqu'au comptoir. Une fille y était accoudée. Elle avait une énorme pince crabe dans les cheveux. Je réprimai un frisson et m'assis sur le tabouret d'à côté, la seule place libre de toute façon. Je commandai un whisky, avec des glaçons. Le barman me l'apporta rapidement, mais en omettant les glaçons. Je lui fis la remarque et il ajouta aussitôt deux cubes de glace dans mon verre. Avec une pince pieuvre !

Afin de me maîtriser, je me tournais sur le côté, où rien ne pourrait plus m'attendre. Mais dans l'affaire, j'oubliai la fourberie des jeunes filles seules à un bar.

Ma voisine se pencha vers moi et dans un éblouissant sourire vicieux, me déclara :

« Bonsoir. Je m'appelle Marine. »

Je manquai tomber de mon tabouret. Je quittai le bar à toute allure, jurant que j'allai défaire ma tente illico et quitter ce camping de malheur.

Et c'est là que je me suis blessé avec le carrelet...

Emilie Levraut Debeaune

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