L'île

Jimi B. Watson

Je me réveillai en sursaut. Mes yeux s'ouvrirent, mais se refermèrent aussitôt, les rayons du soleil pénétrant mes iris telle une volée de flèches enflammées. Je demeurai quelques instants les yeux clos, profitant d'un paysage rouge écarlate et d'une agréable tiédeur, avant de lever une paupière, lentement. La forte lumière blanche s'estompa peu à peu, et je découvris enfin la réalité environnante.

Je me trouvais assis sur un rocher, face à la mer, contemplant l'océan qui s'étendait à l'infini. L'horizon était pratiquement invisible, la mer et le ciel se confondant en un bleu azur. Ma vue perçante me permit de discerner un petit bateau de pêche, au loin. Il me semblait également apercevoir des oiseaux marins voleter au-dessus de la surface salée, et d'autres planer haut dans le ciel, se laissant guider par les vents. Leurs cris auraient pu parvenir à mes oreilles si seulement le grondement de l'océan ne les étouffait pas. Tandis que je les contemplais, penseur, je me surpris à les envier. Ils paraissaient si légers et épris de liberté. Qui n'a pas un jour rêvé de pouvoir voler ?

Mais non loin de là émergeait une île. Quelques arbres la teintait de vert, et dissimulait difficilement une maisonnette aux murs érodés par l'écume. Bien que l'île fusse très proche, il était strictement interdit de s'y aventurer.

Alors que je laissais ma main errer sur le sol, mes doigts rencontrèrent une petite pierre. Je la serrai fort dans mon poing et la jetai avec force vers l'île. La pierre ricocha contre un mur invisible et revint vers moi. Abasourdi, je m'emparai à nouveau de la pierre et lui lançai un regard interrogateur. Après un court moment d'hésitation, je reproduisis le même mouvement. La pierre émit un son brut et roula à mes pieds. Je me grattai l'arrière de la tête, geste réflexe illustrant mon incompréhension. Lentement et avec méfiance, j'avançai ma main dans le vide, vers l'hypothétique barrière invisible. Soudain, ma paume rencontra une surface lisse et froide. Pris de peur, je retirai la main brusquement puis après un instant de panique, je me calmai et m'assis sur le sol. La tête enfouie dans mes bras, je réfléchis à toute vitesse, tentant de comprendre ce phénomène.

Etais-je en train de rêver ? Le paysage que je contemplais chaque matin était-il faux ? Le navire, les oiseaux, le grondement de la mer... Tout cela n'était qu'une illusion ou le fruit de mon imagination ? Je posai à nouveau mon regard sur la fresque peinte sur le mur, que j'avais toujours cru être la réalité. L'île était bien là, mais la houle n'existait plus, la mer était figée comme la banquise. Les oiseaux ne poussaient aucun cri, et demeuraient immobilisés dans le ciel, tels des marionnettes dont les ficelles étaient tirées par mon imagination. Tout était immobile, sans vie. Cette réflexion me fit froid dans le dos. J'avais été dupé par ma propre conscience. Afin d'en avoir le coeur net, je tendis un dernier doigt vers la mer, qui appuya contre la surface glaciale du mur. Je le retirai aussitôt, avec ce même réflexe lorsqu'on met sa main trop près du feu...

Je finis par tourner le dos au substerfuge, et redécouvris la réalité – quoiqu'un nouveau doute apparut soudainement dans mon esprit. Au milieu de la clairière se dressait un arbre impressionnant. Quelques rochers l'entouraient et semblaient former une ronde autour de lui. L'arbre était très grand. Je ne discernais pas la cime, qui paraissait toucher le ciel. Je me souviens que lorsque j'étais enfant, j'avais tenté d'atteindre le sommet. J'avais failli me tuer. Mais maintenant, je ne suis plus un enfant. Pourquoi ne pas essayer ? Au moins, j'oublierai cette satanée illusion qui me torturait l'esprit...

Je m'approchai de l'arbre et levai la tête. Une petite voix me conseilla d'abandonner. Mais j'étais doté d'une curiosité maladive. Alors, je commençai l'ascension avec agilité. Il me suffit de quelques secondes pour atteindre la cime. Je n'étais même pas essoufflé. Je réalisai soudain que j'avais réussi. Qui ne tente rien n'a rien. J'ai réussi car j'ai cru en moi. Personne d'autre que moi n'avait osé atteindre le sommet. Une grande fierté s'empara de moi, mais personne n'était là pour me remarquer.

Je profitai de la hauteur pour inspecter les environs. J'aperçus la fausse île et détourna aussitôt le regard avec mépris. Je me rendis également compte que je n'étais soudainement plus seul. Plusieurs de mes semblables apparurent petit à petit dans le paysage. Tête baissée, ils ne me remarquèrent pas. Ils s'adonnèrent à leur tâches quotidiennes sans même penser à autre chose. Autre chose que la routine. Se sont-ils posé la question de la réalité, comme moi quelques instants plus tôt ? Je ne crois pas. Ils semblaient se complaire dans l'illusion et le confort. En effet, que c'est inconfortable de se poser des questions, cela nous met en retard pour le repas.

Je finis par descendre de mon point de vue, qui m'avait élevé aussi bien physiquement que mentalement. Dorénavant, je savais que l'île était fausse. Je me promis de ne pas me faire encore duper par les illusions.

Une sonnerie retentit dans la clairière. La même sonnerie que chaque matin. Des voix étranges approchèrent. Mes semblables comprirent soudain une chose : le repas allait être servi. Ils furent soudain pris d'une grande excitation lorsque des êtres imberbes et vêtus d'une étrange façon apparurent à l'extérieur de la clairière. Mes congénères se précipitèrent sur les mains tendant du pain à travers les barreaux, qui les séparaient de ceux que l'on appelle « Humains ».

Je leur jetai un regard méprisant puis baissa la tête, mon visage simiesque se reflétant dans la surface miroitante d'une flaque d'eau. J'avais déjà fait un grand pas. Je m'étais évadé de la prison mentale, gardée par l'illusion et le mensonge. Un jour, je sortirai de cette prison physique, vers la liberté.

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