L'île aux Moi (2)

Mathilde En Soir


- "Tu ... Tu as réussi à retrouver le chemin ?"

J'espère. Est-ce que tu réalises que l'on se retrouve à nouveau ? Je souhaite tellement qu'un jour nos sens ne fassent qu'un. J'ai besoin d'être troublée par le vacarme, aussi assourdissant soit-il. Le silence me pèse, c'est la seule chose qu'il me reste, et cela m'effraie.

- "Ca serait long à expliquer. Parlons de ce qui nous concerne."

J'observe tous tes gestes du coin de l'œil. Tu ne trembles pas ? Tu es si calme, si paisible, ça cache autre chose, non ? Je dois juste me justifier en attendant ton verdict, être l'esclave qui attend que le souverain soit clément avec lui. C'est trop dur de te voir comme ça. Tu as peut-être décidé de m'emprisonner dans ta mémoire, là où j'aurais autant de place qu'un souvenir.

- " Tu ne veux pas plutôt qu'on sorte pour en parler ? Le petit ne devrait pas entendre ça."

- " Je vois que tu prends ton rôle de mère au sérieux."

- "C'est ironique ?"

- "Non, une constatation, même un soulagement."

Ca fait longtemps que plus rien ne me soulage, pas-même te voir sur les photos qui trônent au-dessus de la cheminée. Avec ton sourire éclatant de sincérité. Autrefois ce sont tes yeux posés sur moi qui étaient chaleureux. Mais j'y ai vu de la crainte, de la colère, de la rancœur. Le songe dans lequel tu te reposais s'est dissipé, comme cette chaleur. Je préfère sortir et côtoyer le froid, au moins il m'est familier.

- " Tout nous sépare, Helvi. Pourtant je pensais que rien ne nous atteindrait. Surtout pas ici. J'ai besoin de toi, c'est évident. C'est tellement évident que cela me donne le vertige.

- " Je changerai. Je te jure que je changerai. Ca ne se répercutera plus sur nous."

J'ai du mal à croire ce que je dis. Mais est-ce que j'ai le choix ? C'est arrivé et ça a tout balayé en une fraction de secondes. Il n'y a pas que le feu près de l'étang qui puisse nous brûler.

- " Si seulement je pouvais revenir en arrière. J'ai toujours regretté ce que j'étais. Ce que je ressens au fond de moi ne se contrôle pas. J'ai tout perdu à l'intérieur. La maladie dévore mon être et n'est jamais rassasiée. Elle a faim. Et moi, moi je ne peux plus la contenir seule. J'ai peur tout seule, peur de me réveiller, de me voir dans le miroir et d'y apercevoir  le reflet d'une inconnue.

J'ai peur de lui parler, de parler aux autres. On m'a toujours dit que ça allait être difficile, alors j'essaie d'être confiante. On m'a dit que mes proches souffriraient, alors j'essaie de rire. On m'a rassuré pour que je puisse vivre, mais j'attends toujours. Au final, c'est toi que j'attendais sur cette île. Tu es mon remède. J'ai plus que toi ... que lui ... que toi ..."

Je ne me souviens plus vraiment de ce qu'il passé ensuite. Je crois entendre vibrer en moi mes mots qui tournent en boucle dans ma tête, comme une mélodie, un refrain qu'on rechigne à chanter.

Au loin, j'aperçois l'alignement de conifères qui surplombent la vallée. La lumière du soleil m'éblouit tant elle est claire. Nous nous rendons dans un lieu ou j'espère me retrouver. Tu sais à quoi t'attendre désormais Guillaume, les schizophrènes ont une pathologie spécifique comme ils disent. Je ne sais pas quelle Helvi passe le portillon devant la clinique. Elle ne me dit rien. Elle attend, elle aussi.

J'ai seulement une chose à laquelle me raccrocher. La seule certitude qui m'habite et me soulage. Ce sont vos mots à tous les deux, vos mélodies fredonnées sur le chemin qui me comblent et me donnent de l'espoir. Ou peut-être sentir mon fils contre moi tandis que tu nous serres dans tes bras.





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