L'îlot Voyageur SUITE

Emilie Musseau

« -Je ne sais pas à qui appartient ce déguisement mais il est rudement bien imité ! On dirait de vrais plumes d’oiseaux ! Mardi-gras est pourtant loin ! Et y’a pas eu de carnaval dernièrement ! » S’écrit ce pêcheur sur des éclats de rire. 

A l’écoute de cette conversation nous nous arrêtons.  Valentin ne dit plus rien et sa  mine se renfrogne. Le regard absent, il est en pause complète. Les mains dans les poches, les pieds encrés au sol il reste  ainsi de bonnes minutes,  c’est un vrai jugement d’éternité. Puis il repart et je le suis. J’ai bien compris que quelque chose s’était imposé à lui, là-bas près de ce pont, qui a fait l’entrée en mal de son histoire.  A-t-il eu une réminiscence de souvenirs enfouis ? Certainement. Mais qu’est-ce qui a fait Tilt dans sa petite tête ? Nous sommes rentrés à l’appel d’un mouvement d’une météo qui s’annonce bien mélancolique, tel un mélo tragi-bucolique.

   Le bruit du vent se fane, les volets cessent leurs claquements entêtants. Le souffle immuable des arbres et de l’eau dormante se taisent. C’est alors qu’une tempête s’incruste parmi les ténèbres. Violente, latente et orageuse. Seule dans mon lit, un étranger se glisse soudainement sous mes draps,  c’est lui, Valentin. Ressent-il cette peur lui aussi ? Celle qui me fait défaut et qui bat à plein pot dans mon thorax. Allez, relax. Je me tourne, me replace et sa chaleur  s’amoindrit au fil des heures. C’est à  ses côtés que  la nuit s’est écoulée. Dans une totale nébulosité, je suis restée à le regarder et le caresser. Toutes les émotions sont en ébullition, puis un glaçon. Ce froid s’est infiltré dans cette chambre émanant de son corps inodore et incolore.

Je ne me doutais pas que cette soirée-là était la dernière, donc la plus mémorable. Elle est inscrite dans la limite de ma mémoire liturgique. 

Il est parti le lendemain matin  sans même un au revoir, disparu, envolé. Comme s’il n’avait jamais existé et que tout ce que j’avais vécu avec lui ce n’était qu’une utopie.

 Sur le début j’ai été attristé de son départ puis subitement cette tristesse est partie tel un sortilège de compassion et d’abandon. C’est comme si je n’y accordais plus aucune importance et que je devais passer à autre  chose. Puis, une ambition soudaine m’est apparue, c’est lui qui m’a donné l’envie d’avoir envie. Alors j’ai décidé de tout changer,  nouvelle carrière, nouvel appartement, nouvelle coiffure, relooking complet. Tout ce que je pouvais je l’ai fait, j’ai trouvé une force en moi dont je ne soupçonnais pas. 

Et je me souviens, comme ses quelques vers qu’il aimait à me citer, de ce poète du XV ème siècle, Jean Meschinot. Je trouve que cela reflète bien  notre rencontre, ce que nous étions l’un à l’autre. Ce conte furtif, cela fait comme un écho dans ma caboche, moi qui croyais avoir fait une bonne pioche.

« M'aimerez vous bien,
Dictes, par vostre ame ? (Dîtes par votre âme)
Mais que je vous aime
Plus que nulle rien,
M'aimerez vous bien ? »

 

J’étais bien une cible facile, et lui il a été malhabile. Il y a néanmoins une anecdote qui me revient, cette petite chose  qui flottait en l’air le jour de notre rencontre. Légère et douce elle a frôlé le bout de mon nez et moi je ne me suis pas méfiée. Je n’avais pas trouvé cela étrange sur le moment car j’étais prise dans le feu de l’action. J’avais occulté ce fait, cet objet : une plume. Elle était bien trop grosse pour être celle d’un oiseau. Elle est exactement comme celle que je vois à cet instant à la fenêtre de ce hublot. Oui c’est bien ce qui me semble apercevoir, des ailes de géant et cet éclair argenté qui zèbre le ciel de sa clarté si fugace. Tout ceci me dépasse ! En tout cas c’est à cet instant précis que mes yeux se sont posés sur « Lui » et que je l’ai enfin rencontré mon « Bien aimé », celui qui sera l’homme de ma vie. Mais quel pourrait être le fait le plus insolite que j’ai pu vivre jusqu’à maintenant après tout ce que je venais de vivre ?

Parce que  le plus  étonnant c’est que je savais que je le connaissais déjà, il avait ce petit air de déjà-vu, comme si on avait de cesse de se croiser  constamment tout au long de notre vie sans se voir réellement. On ne choisit pas, cela vous tombe dessus comme ça ! A bout de bras il faut attraper et savourer tout cela !

Le ventre gonflé de voyageurs cet engin rugissant dépose son corps bombé sur ce sol mouillé. On dirait qu’il a transpiré d’avoir trop œuvré sur cette route bitumée. Le soleil y fait luire des milliards de petites gouttelettes,  si guillerettes parsemés de  toutes les couleurs. Dans le ciel un arc en fond d’écran transpose un pont de couleurs bien spéciales, tout comme cet oiseau aux ailes d’anges divin qui sourit d’un air malin. Après avoir accompli une course avec les nuages, tout essoufflé, il s’assoit fatigué sur un moelleux canapé bien  brumeux. Il scrute alors la vie ici-bas. Il fait un petit clin d’œil à ce château en ruine après avoir dévaler toutes ces collines.  « Il faut dire qu’il en a vu celui-là, des relations même si ce n’est pas moi qui fut à l’origine de ces deux-là, Marguerite et François, Anne et Charles aussi mais c’était il y a fort longtemps déjà ! Car il y en a eu dans cette trame que je me dois de terminer sans drame. » Puis son regard est attiré encore plus bas.

« -Oh oui madame je ne vous oublie pas, vous là-bas !»  Il  rit alors sans s’arrêter.  Il  aperçoit pareillement le reflet d’un flux de Sèvre. De cette eau verte coulant à flot, des îlots ne semblent être que plus que des mots dans cette Vallée bien aimée.   

«Tout l'univers obéit à l'Amour ; Aimez, aimez, tout le reste n'est rien.»
[ Jean de La Fontaine ]

Signaler ce texte