L'impasse (2e version)

warmless

préambule de l'auteur: Parfois, il arrive qu'un texte ne se déroule pas tout à fait comme on le souhaiterait, et ce malgré d'innombrables relectures et corrections. Puis, au moment où l'on va lacher prise, où l'on se dit qu'on fera mieux sur le texte suivant, la solution apparaît, entourée de chérubins soufflant avec énergie dans des trompettes dorées. C'est le cas ici, où la deuxième partie a été réécrite.. pour la dernière fois, j'espère !

 

L'IMPASSE (2e version)

1

 

            Une balle. C'était juste une balle. Elle lui avait échappé des mains et avait roulé là-bas, sans daigner se conformer à sa volonté, dans l'allée sombre cernée de gros bâtiments sinistres. Malwyn était embêté. Papa lui avait demandé premièrement de ne pas jouer trop loin de la maison, et deuxièmement de rentrer avant la tombée de la nuit. Consignes qu'il avait immédiatement rejetées sitôt entendues : à 5 ans, on se concentre sur l'essentiel.

            Et voilà que le soleil se préparait pour la nuit, sur son lit d'horizon.

            Et il avait perdu sa balle.

            C'était une jolie balle orange et bleue. Papa lui avait dit que c'étaient des couleurs "plémentaires".

Il n'était pas sûr du mot, ni de ce qu'il voulait dire. Le mot sonnait bien cependant, et il décida de le garder en mémoire pour le cas où. Quoi qu'il en soit, elle était bien jolie sa balle, avec ses rayures verticales (ou étaient-elles horizontales ? Il ne savait jamais) qui la faisaient ressembler à une orange pelée.

Malwyn, debout à l'entrée de la ruelle, scrutait avec angoisse le passage à présent plongé dans le noir, où se cachait sa balle. Le noir !? Oh, la la ! Il n'avait pas réalisé qu'il était si tard.. comme à chaque fois qu'il sortait jouer, corrigea-t-il malicieusement. Il fallait qu'il se dépêche, sinon papa le gronderait. Gentiment, parce que c'était un gentil papa, mais il le gronderait quand même. Malwyn n'aimait pas que papa le gronde. Il préférait quand il le faisait monter sur ses genoux pour faire le p'tit cheval : » A dada, à dada ! » Il s'imaginait être comme les "coboilles" – il n'était pas sûr du mot - qu'il avait vus dans les films de "ouaisterneu"( ?? ) qu'il regardait à travers la grille d'aération en bas de la porte du salon, quand papa le croyait sagement au lit. Ils étaient drôlement beaux, les chevos. Et grands. Et forts. Avec des jolies couleurs : Mais là, c'étaient plutôt des tâches, comme les peintures qu'il faisait sur du papier dessin sur la table du salon, pas des rayures. les rayures, c'était juste bon pour les balles.

 

            Il ne voyait pas la balle, mais il savait qu'elle était là, quelque part.

 

 

 

2

 

Lentement, il fit un pas en avant, puis un autre. Encore un, et il franchirait cette ligne invisible qui séparait la lumière de l'ombre, la zone sûre de l'inconnu. Incertain, Malwyn songea à papa. Puis, fronçant des esquisses de sourcils, il pénétra bravement dans la noirceur.

 

3

 

            Vue de l'intérieur, l'allée était encore plus noire, comme si la lumière, pressentant une menace, l'avait fuie. C'est à peine s'il apercevait les murs qui l'entouraient en s'élançant dans le ciel, et celui du fond, au bout de l'impasse, n'était que d'un ton plus foncé. Il ne fallait pas qu'il se perde ! Cherchant des points de référence, il remarqua de grosses boites en fer, hautes trois fois comme lui. Il y en avait quatre. Il ne savait pas ce qu'elles faisaient là, ni à quoi elles servaient, mais sa balle était sûrement de ce côté-là, car il ne l'apercevait nulle part ailleurs. Il continua en traînant les pieds.

            Arrivé devant la première boite, il passa timidement la tête derrière le coin le plus proche. Un coup d'œil rapide lui suffit : Sa balle n'y était pas. Poussant un soupir de frustration, il se résolut à poursuivre ses recherches, tout en scrutant anxieusement le ciel qui s'obscurcissait définitivement. Il devait se dépêcher maintenant, sinon papa serait très très en colère.

            Sa balle ne se trouvait pas non plus derrière la deuxième boite. Il commençait sérieusement à se demander s'il n'allait pas tout simplement rentrer chez lui, et dire à papa qu'il avait perdu la balle.

            Non. Papa lui avait répété cent fois qu'il devait être un petit garçon courageux. Comme la fois où papa lui avait retiré une écharde du doigt, et qu'il n'avait même pas pleuré ; sauf un peu plus tard, lorsqu'il avait été seul dans son lit, et qu'il avait été sûr que papa ne l'entendrait pas.

 

            Au-delà de la troisième boite, dont les contours apparaissaient brumeux, il n'y voyait déjà plus assez. Réprimant un sanglot, il se mit donc à genoux, tendit les bras devant lui et tâtonna vers la quatrième boite. Une belle lune s'était levée, qui éclairait de façon incertaine l'allée et les divers objets qui la jonchaient. Les doigts de Malwyn effleurèrent un objet. « Ma balle ! » chuchota-t-il tout excité, car il n'osait pas parler à voix haute.. pour ne pas déranger les hôtes invisibles qui se dissimulaient dans l'allée. Mais lorsqu'il referma les doigts dessus, force lui fut de se rendre compte que l'objet n'était pas rond, mais long. En le suivant du bout de ses doigts tremblotants, il rencontra une arête, puis un angle. C'était une boîte. Il décida d'y grimper pour tenter d'apercevoir sa balle. Une fois dessus, il avait effectivement un meilleur point de vue, mais il ne voyait toujours pas sa balle. Les ombres longues du début de soirée étaient trompeuses : Elles transformaient le connu en l'inconnu, absorbant formes, contours et couleurs pour les restituer d'une étrange façon, incompréhensible pour lui. Malwyn se rendit compte en levant la tête que, juché sur la boîte, il n'était pas si loin que ça du rebord de la poubelle, et décida de l'enjamber. Une fois à califourchon, il trouverait sûrement sa balle, pensa-t-il avec la confiance naïve qu'affichent les petits garçons. S'étant hissé tant bien que mal en équilibre précaire sur le rebord, il eut à peine le temps de jeter un bref coup d'œil sur l'allée avant de basculer dans le container en hurlant.

 

4

 

Au fond de la poubelle, là où il avait chu, l'obscurité était d'un noir d'encre. Fort heureusement, les rayons lunaires éclairaient un des coins en plein, et il s'y dirigea fébrilement, trébuchant plusieurs fois sur les détritus qui en jonchaient le fond. Blotti contre la paroi visqueuse, il se demanda : « Qu'est-ce que je vais faire ? » Il n'y avait pas un bruit, au dehors. Il cria, de sa petite voix flûtée. « Y'a quelqu'un ? » « Ohé ! » « J'suis coincé ! »

            Mais personne ne répondit. Et au bout d'un moment, il renonça à appeler, et entreprit faute de mieux d'explorer sa prison.

            Il commença donc à déplacer les ordures, d'abord avec répugnance, du bout des doigts, puis à pleines mains quand la nuit se fit plus noire et glaciale. Hélas, il ne trouva rien qu'il aurait pu utiliser pour sortir de là. Que des vieux journaux, des restes alimentaires et des boîtes de conserve cabossées. En désespoir de cause, il fourragea plus profondément et c'est là, sur le plancher moisi parcouru de cafards, que ses doigts gourds rencontrèrent quelque chose de mou, quelque chose de doux et froid. Plus par curiosité qu'autre chose, il enleva rapidement ce qui recouvrait l'objet, entassant ce qu'il attrapait dans les autres coins au fur et à mesure.

 

            C'est ainsi qu'il put enfin voir ce qu'il avait dégagé. Ce n'était pas un jouet en plastique, comme il l'avait cru au début. C'était un bras, un vrai bras, et ce bras était rattaché à un corps : Malgré la chiche lumière, il vit que c'était celui de sa mère.

 

 

5

 

            Incrédule, Malwyn fixait le visage chéri. « M'man ? » « M'man. C'est moi ! C'est Malwyn !! » Les morts ne sachant pas parler, la mère de Malwyn ne broncha pas, se contentant de le fixer de ses yeux qu'un voile laiteux avait déjà recouverts. « M'man ? Dis quelque chose ! J'ai besoin de toi ! » pleura Malwyn. Les prières du garçonnet n'émurent pas suffisamment le cadavre de la femme pour qu'il daigne lui répondre. En reniflant, Malwyn vint se blottir contre le corps de sa mère. Après tout, c'était ce qu'il faisait toujours quand il avait besoin de réconfort, et il en avait plus besoin en ce moment que jamais. Niché contre la poitrine de sa mère, il décida d'attendre qu'elle se réveille - car il avait conclu qu'elle se reposait - pour s'occuper de lui.

            Sa dernière pensée, avant de sombrer dans la torpeur, fut pour son père et plus précisément pour ce que son père lui avait dit, quand il lui avait demandé où était passée maman ; car elle ne se trouvait pas à la maison lorsqu'il était rentré de l'école. « Oh ! Ta mère.... eh bien.. humm.. elle est.. partie, en visite.. oui, c'est ça ! Partie visiter une amie : Elle reviendra.. dans une semaine.. ou deux. Son amie est très très malade, et elle ne reviendra peut-être pas, après tout. Tu sais comme ta mère aime aider son prochain. Il vaut mieux t'y faire, mon garçon. Tu verras : Je vais bien m'occuper de toi, et on sera très bien tous les deux. On n'a pas besoin de ta mère ! »

            C'est drôle.. pourquoi papa lui avait.. dit ça ? Elle n'est pas.. chez son amie, puisqu'elle est dans.. cette boîte. Il faudra.. que.. je.. lui.. deman....

 

            La nuit hivernale recouvrit les deux corps du même drap. Quelques heures plus tard, au loin, un chien hurla à la mort.

 

6

 

            Assis sur son canapé, Hank, le père de Malwyn, sirotait une bière en regardant sans les voir les images qui dansaient sur l'écran du téléviseur noir et blanc que son père, et le père de son père avant lui s'étaient transmis. Pour l'heure, le vénérable transmetteur diffusait une sitcom américaine, qui débutait tous les soirs à 20h00 précises. Ce qui fit brutalement sursauter Hank, qui réalisa tout à coup que si A= émission de télé, et B= 20h00, alors A+B= C : Où donc était passé son bon à rien de fils ?

            Se redressant légèrement, à cause de toutes les bières qu'il avait ingérées pour fêter dignement le meurtre de sa virago de femme (Bien fait pour elle !), il pesa un instant le pour et le contre, et décida de ne rien faire, ce qui était finalement le parti-pris le plus commode.

Malwyn savait bien qu'il devait rentrer avant la nuit tombée ! Il allait le laisser dehors encore une heure ou deux : Ca lui apprendrait, à cette mauviette. Sa mère l'avait décidément trop gâté, et il était grand temps qu'il s'endurcisse un peu. « J'en ferai un homme, moi ! » grommela hargneusement Hank en tambourinant des doigts sur l'accoudoir du canapé.

            Etant sûr d'avoir fait le bon choix, il se rasséréna en se laissant aller plus profondément contre le dossier, et ouvrit une autre cannette, la douzième, qui n'était plus si fraîche que ça ; mais ça irait quand même. « A la tienne ! » cria-t-il au souvenir de sa défunte femme.

 

            Il dormait à poings fermés quand le camion-poubelle, ayant fini sa tournée, passa devant ses fenêtres.

Signaler ce texte