l'inconnue
Michel Bioteau
L'inconnue de la ligne 6 doit avoir vingt cinq ans, elle est grande ,sensuelle, son visage a des traits doux . Elle prend le métro tout les matins en même temps que moi, je n'ose pas lui faire remarquer lorsqu'elle arrive en se dandinant sur ses talons.
Elle porte toujours un pantalon serré qui lui fait les jambes longues et fines. Mais sur ses yeux mon regard s'attarde. Ma belle inconnue fixe l'horizon souillé comme si elle rêvait . A force d'insistance, elle se retourne dans ma direction pour me demander d'un mouvement de cils, alors qu'est-ce que tu attends ? Je me surprend à la fixer plus intensément comme si j'acceptais ce défit. Je ne fais rien de plus, ce simple échange ne me comble pas et je voudrais aller plus loin avec elle quitte à être déçu par les aspects cachés de sa personnalité. Je me surprend à imaginer des situations cocasses qui nous permettraient de faire connaissance.
Elle casserait le talon de son escarpin et pour se rattraper, elle s'accrocherait à mon bras, là sur le quai de la ligne 6. Les voyageurs gênés ou amusés nous fixeraient et moi je lui dirait : heureusement que j'étais là !, ou une de ces réponses banales qui resterait sans suite, à moins qu'elle, de son côté, ne me sorte une réplique qui me ferait rire, du style, : j'ai toujours été un peu bancale ! Le rire c'est le premier acte de séduction sérieux entre un homme et une femme.
Pour l'heure elle est montée dans le même wagon que moi comme tout les matins, le fait elle exprès ? Je détaille les formes les plus intimes de son anatomie, s'en rends t-elle compte. Elle s'est maquillée avec soin, sa longue chevelure brune ondule sur ses épaules, ce matin lorsqu'elle a pris sa douche, ses mains très féminines ont caressées son corps et elle a pensé à cet inconnu de la ligne 6 qu'elle voudrait bien séduire. Ensuite elle a déjeuner légèrement, elle s'est longuement regarder dans le miroir de l'entrée puis elle a pris l'ascenseur. Comme une gentille fille, elle a dit bonjour à son voisin ou sa voisine, échangé trois mots. Elle doit travailler dans une grande entreprise, je me doute qu'elle gagne bien sa vie si j'en juge par son apparence soignée et son parfum délicat. Elle doit s'ennuyer l'hiver et passer ses soirées sur des sites de rencontres, non pas qu'elle souhaite se marier mais simplement ajouter un peu de sel à son existence. Peut être se mets elle à rêver d'un homme grand, brun aux yeux verts avec une bonne situation qui ne lui mettrait pas la corde au cou trop vite. Peut être rêve t-elle tout simplement d'un amant infatigable qui honorerait sa féminité solaire avec tact mais assiduité.
C'est une femme sauvage, peut être est- elle de ses redoutables chasseuses d'hommes et je me fais des idées sur elle. Peut être qu'elle tient un registre des performances de ses conquêtes. A quoi ressemble son corps, son sexe. J'essaie de l'imaginer, discret, rond, feuillu...Je ne le saurais sans doute jamais. Est-ce qu'elle fait les mêmes suppositions à mon égard. Je l'imagine en train de penser à nous, à moi, à penser à des choses...
Elle se retourne et me fixe, une fois de plus. Cette fois c'est décidé je vais lui dire que je la trouve très séduisante, mais elle se contentera de me répondre : merci ! et me gratifiera d'un sourire ce qui me laissera encore sur ma faim.
Elle s'apprête à me parler, je prépare une question au cas où, une de ces questions qui, en enfilade avec d'autres réussissent parfois à lier une conversation cohérente .
Elle va me dire qu'elle en a assez de mes regards insistants, qu'elle a un copain, qu'elle n'est pas intéressée...
Nous nous regardons comme deux êtres naïfs.
A l'instant où j'essaie de lui parler elle me coupe la parole et me m'invective vulgairement :
« Vous m'emmerdez à me regarder comme ça tout les matins ! »
AMISDESMOTS
j'aime beaucoup la fin!
· Il y a plus de 12 ans ·si je peux me permettre une toute petite remarque Michel, je trouve ton texte un peu trop "compact". mais c'est quelque chose que je dis souvent. il ne faut pas prendre ça pour une critique! je pense que quelques "points-à-la-ligne", l'aéreraient peut-être...
en tous cas, merci pour le partage!
Karine Géhin