L'infidèle.
mohrag
Premier acte – Folie.
Je ne sais pas vraiment quand cela a commencé. Sûrement plus tôt que je ne le pense. Ce sentiment s'est infiltré dans mon inconscient au moyen d'une brèche, fine, unique, comme l'éclair déchirant le ciel orageux. Et quand tout remonte à la surface de la conscience, c'est le même fracas assourdissant du tonnerre. Cela nous effraie, nous émerveille. Souvent les deux à la fois.
Pourtant ce n'était pas la première fois que je remarquais son sourire poignardant, l'étincelle de ses yeux sombres, comme si couvait dans les tréfonds de son âme un feu qu'il fallait attiser. Les détails infinis qui se révèlent au premier regard, qui s'impriment au fer rouge quelque part entre raison et folie, je les avais recueillis, puis combattus. Je pensais avoir gagné cette partie. Il faut croire que non.
On se voit fréquemment, et je ne peux pas l'éviter. Oui, c'est un collègue, sinon ce ne serait pas drôle !
On travaille sur le même secteur de fouille, il fait parti de mon équipe et je supervise les opérations. On gratte toute la journée dans l'espoir toujours immense de faire la découverte de notre vie. Nous avons chacun notre zone, notre territoire, absorbés tout entier dans les mystères du passé. Mais parfois à trop creuser la surface, on en arrive à toucher le fond…
Péripéties – la Chute.
La journée ne faisait que débuter, une belle matinée aux promesses d'un printemps qui ne tarderait plus. Il m'est apparu, le visage crasseux, les cheveux poussiéreux. Me souriant comme à l'habitude, j'eus à ce moment la soudaine impression, banale, qu'il n'existait plus que nous. Nous et un millier de possibilités. J'étais touchée, presque coulée, mais sa voix réussissait toujours à me faire renaître.
On échange de simples mots, professionnels. Et ces instants sont autant de privilèges pour moi que le pèlerin recevant la bénédiction de son pape.
Depuis que la brèche s'est transformée en gouffre, je ne suis plus la même, je me sens possédée.
Un unique désir qui rendrait fou le plus modéré. Des idées m'habitent, me hantent, des mots que je ne devrais pas penser, des choses dont je ne devrais pas rêver. Plus je suis proche de lui et plus je perds le nord. Alors que mon cap est déjà tout tracé devant moi.
Mon cœur est pris, je vis tous les jours avec un homme, autre que lui, depuis cinq ans. Quelqu'un qui me comble. Ou me comblait ? Je ne sais plus… Et pourtant j'aime cet homme profondément. On a des projets, un avenir en commun. Nous sommes sur la même longueur d'ondes, il n'y a pas de disputes sérieuses. Ni de passion enflammée. Mais notre relation nous satisfait. N'est ce pas ?
Cela fait maintenant quelques semaines que ce manège dure, et je donne toujours le change : à mon entourage, mon homme, et à moi-même. Seulement, l'accalmie ne durera pas toujours, car elle précède la tempête. J'attends ce cataclysme avec patience et excitation, espoir et effroi.
Je gravite autour de ce soleil, profitant de sa chaleur. Je me brûle à son regard et j'entre en fusion au moindre frôlement de sa main.
J'en veux plus. C'est une nécessité, un besoin, une drogue. Il est l'élixir qui me fait planer, la Fontaine de jouvence qui m'offre l'immortalité. A l'infini, avec lui. Cela n'a rien d'humain. Son attraction est complète. Je lui donne mon âme s'il me la demande, je l'arrache de mon corps pour la jeter à ses pieds.
L'entracte – l'Attente.
Je vis en suspension, j'attends chacun des mots qui passent ses lèvres interdites, je regarde bouger sa peau, guettant la moindre occasion de la toucher et de me fondre en elle. En lui.
Plus qu'un sentiment, c'est une évidence.
Il ne me permet plus de respirer. A son insu, mais sûrement pas contre sa volonté, je me sens asservie. Il n'y peut rien, je n'y peux rien. Mais il ne doit rien en savoir. Car je ne serai pas l'infidèle.
Cependant, le grand final approche, l'air grésille à notre approche. Je suis devenue la spectatrice de ma propre tragédie. Anxieuse, je retiens mon souffle, j'ai peur, je ris. Cela fait des jours que je ne mange plus. Je suis passée sous un nouveau régime composé de substances illicites dépaysantes, je me nourris de regards et d'improbabilités.
La pièce à laquelle j'assiste pourrait se comparer à Roméo et Juliette, Lancelot et Guenièvre, Tristan et Iseult. Quelqu'un allait pleurer, quelque chose allait mourir, c'était certain. Mais, docile, je marche vers mon bourreau, mon sauveur, mon Étoile du berger. Que je le veuille ou non, cela doit se finir, d'une façon ou d'une autre.
Dernier acte – la Passion.
Je ne sais plus comment on s'est retrouvé là, en fait ça n'a aucune importance. Mais on est bien dans la fraîcheur de ces bois. Cette fois je ne l'invente pas. Il n'y a que nous deux à des kilomètres à la ronde. On se regarde. Le genre de regard qui transperce, déshabille. Il me guérit autant qu'il me blesse.
J'attends les mots magiques, libérateurs. Vertige, éclairs… La tempête se présente.
Fais quelque chose…
Son murmure, fidèle écho de mes pensées. Faire quelque chose. Un millier de possibilités…
Il n'y avait qu'une seule évidence pour nous. La vraie, la plus juste, et la plus belle.
Rien d'autre ne pouvait s'imposer à moi.
Je l'ai embrassé. J'ai embrassé chaque centimètre de son torse. J'ai embrassé son cou, voracement, et j'aurais bu son sang si cela m'avait suffit. Mais c'était son âme que je voulais atteindre, son cœur que je voulais toucher. Et pourtant je m'y refusais. J'ai refusé ses lèvres, celles qui me revenaient de droit.
J'ai juste continué de le couvrir de baisers, mon dieu, cet homme. Si c'était pour moi la seule manière de l'avoir, alors je le prenais ainsi tout entier. Je vivais mon dernier instant avec lui.
Une vie entière pour une petite éternité dans ses bras. La seule chose qu'il nous fallait.
Le mot de la fin – Acceptation.
Il y a beaucoup de choses que je ne pourrais expliquer entre nous. Je ne pourrais jamais parvenir à définir clairement les sentiments atroces et sublimes qui nous asservissent. Je sais juste qu'ils sont réels, et aussi forts que l'espoir.
Je n'ai pas voulu nous salir. Je ne voulais pas être infidèle.
Même si au lieu de tromper quelqu'un auquel je tiens énormément, c'est moi que je trahis.
Le lendemain, mon dieu m'avait quitté. Et je l'ai compris.
Ses derniers mots et ses uniques caresses, je les garde dans mon cœur. Enfermés à double tours, interdits.
Que la vie est cruelle parfois, souvent même ! Renoncer c'est aussi se regarder dépérir...car rien ne s'oublie et les regrets finissent par avoir la peau de la fidélité la plus enracinée. Une vie, une seule...
· Il y a environ 9 ans ·lyselotte
Pas fade non, c'est un choix à faire, résister en se trahissant soi ou se laisser aller en trahissant quelqu'un d'autre, cruel dilemme mais une superbe écriture, je file de ce pas lire celui qui me manque :)
· Il y a environ 9 ans ·ade
Merci beaucoup Ade ;) C'est vrai, cruel dilemme en effet, et elle a préférer sacrifier son amour, plutôt que la justesse de ses choix. Qui en aurait été capable ?
· Il y a environ 9 ans ·mohrag
Grand mystère, cela dépend de la vie de chacun je pense !!
· Il y a environ 9 ans ·ade
Le coeur nous emmène à des situations fort complexes qu'il est inutile de fouiller pour les comprendre. Très bien écrit mais le mot de la fin me laisse sur ma faim.
· Il y a environ 9 ans ·erge
Merci bien pour cet avis, et je le confesse, à moi aussi la fin me paraît un peu fade... Seulement je ne voulais pas tomber dans le tragique, puisque pour moi la vraie tragédie c'est de perdre cet amour. Je retravaillerai cette fin quand une meilleure idée viendra me frapper.
· Il y a environ 9 ans ·mohrag
Non pas fade mais passer a côté d'un tel amour est vraiment dommage. C'est un choix mais pas fade du tout. Le risque était trop grand a prendre sûrement de tout lâcher pour cet amour.
· Il y a environ 9 ans ·erge
Un si grand amour, aussi passionnel, peut faire peur, en effet. Et puis la passion, c'est éphémère, enfin la plupart du temps... C'était un choix, terrible, quitte ou double !
· Il y a environ 9 ans ·mohrag