Lingerie Fine

cerise-david

Mon talon d’Achille c’est la lingerie, et plus elle est fine, plus j’en suis dingue. Le problème avec ce genre de tissu c’est qu’il coute les yeux de la tête aussi j’ai trouvé une solution plutôt simple ; je chipe. Mon premier choix ce porta sur le string de la pub Aubade n°13 «Lui dévoiler sa ligne de chance ». J’avais quinze ans et j’ai pris çà pour un signe, depuis j’arpente régulièrement les galeries du Printemps Haussmann. Pour le plaisir, de voir, de toucher, de voler. C’est devenu une drogue, cette diffusion d’adrénaline dans tout mon corps. Voilà ce qui m’amène aujourd’hui ici ; nous voici donc dans l’antre des vigiles. Déco sympa, meufs à poils sur les murs, tasses de café renversées, boîte de Kleenex° entamée et vue sur les cabines d’essayages. Je fête mes dix-huit ans dans à peine deux semaines et pour l’occasion je me suis offerte un corset de princesse, sauf que je me suis faîte pincée. Je sens que l’heure qui suit sera moins délirante qu’à l’accoutumée. Peu importe, il faut assumer. Je m’attends à voir entrer une armoire à glace mais quand la porte se referme, je me retrouve face à un jeunot d’une trentaine d’année, et encore, les tempes grises sont souvent trompeuses…

-          Le mois de juin touche à sa fin, comme toutes les filles de ton âge tu ne devrais pas réviser ton Bac ? J’imagine que tu sais pourquoi tu es ici ?

-          J’ai vu de la lumière, je suis rentrée. L’ambiance à l’air plutôt sympa, le thème c’est fétichisme ou SM ?

-          Je vais reprendre, tu as été surprise par une vendeuse en train de dérober un article de lingerie. Un corset, si je ne me trompe pas ?

-          C’est plus joli, alors autant choisir avec goût… non ? Le vouvoiement c’est en option ?

-          Très bien, je crois que vous ne saisissez pas l’étendu de cette situation.

-          Au contraire, aussi je vais résumer parce que j’ai d’autres achats à faire : je me suis faîtes choper, vous prenez mon identité puisque je suis majeure et vous déposez une plainte pour vol au commissariat de l’arrondissement. Fin de l’histoire. Vous n’auriez pas un truc à bouffer, j’ai faim ?

-          J’ai une meilleure idée.

Trois jours plus tard, je me présente en tailleur à la responsable du rayon lingerie ; mon imaginaire candidature a été appuyée par une personne de haute fonction. C’est l’arrangement. Je bosse pour rembourser la totalité de mes vols. En effet, les enregistrements prouvent clairement que je n’en suis pas à mon coup d’essai avec un score d’une trentaine de chapardage au sein même du rayon. Aussi le séjour au commissariat aurait été plus long que ce que je pensais. Je n’ai pas eu vraiment le choix et j’ai signé au bas du contrat d’un mois renouvelable que ma première chef me proposa. J’apprends vite, à vrai dire, je me découvre une vraie passion. Je ne rechigne pas à faire des heures supplémentaires. Il m’arrive de croiser mon sauveur, sourire polie. Soirée d’anniversaire, fin du service, je referme mon casier et sursaute :

-          Tu as quelque chose de prévu ce soir ?

-          Vous et le « vous » c’est pas une grande histoire d’amour… C’est mon anniversaire.

-          Je t’invite à prendre un verre ?

-          En général, pour une soirée faut pas être invité et pas l’inverse ?

-          Alors tu m’invites à prendre un verre ?

-          Prénom, âge et marque de ta voiture ?

-          C’est pire que Meetic°, enfin je suis joueur et tu me fais rire. Stanley, 24 ans, Audi. Satisfaite ?

-          Alors je t’engage comme taxi, t’as un truc un peu classe à mettre ?

-          Smoking ?

-          Je pensais à un jean et une chemise mais ca ira aussi. Je vais pas jouer la difficile.

-          On passe chez moi et je t’emmène à ta soirée…

-          On monte dans ta voiture et je t’indique l’itinéraire.

Je suis pas à l’aise sur son siège côté passager, je ne sais pas ce qu’il veut, je ne comprends pas pourquoi il est gentil, à vrai dire j’y pipe rien ; alors je laisse faire. On verra bien où tout çà nous mène. Les mecs ce n’est pas mon Leitmotiv. A mon âge, un mec est synonyme de Lexomil pour toutes mes copines. Je leur laisse leurs frustrations et leurs dépressions. On passe chez lui, j’attends dans la voiture. Il a de l’allure, mal rasé, cheveux courts ébouriffés, yeux noirs et sourcil broussailleux. Arrivés chez moi, je le laisse au salon et file enfiler ce fameux corset que j’ai finalement réussi à subtiliser. C’est encore mieux de bosser dans le rayon, c’est plus les soldes mais du libre-service. Et personne ne s’étonne de me voir manipuler toute cette lingerie, des étoiles plein les yeux. J’enfile une chemise bleue soie et un Levi’s délavé. Je monte sur des talons et manque de me casser la gueule sur le carrelage de la salle de bain. La soirée s’annonce délire. Un coup de cache-misère, me pomponner c’est pas mon fort. Ce soir faut pourtant faire un effort mais je reste persuadée que les femmes sont plus belles nues, sans artifices, juste un bout de dentelle. Lorsque je le rejoins dans mon salon, il laisse échapper un « WOW » et me regarde bizarrement.

-          Tu fais pas tes dix-huit piges.

-          Tu comptes me foutre dans ton lit ce soir ?

-          T’es toujours prête à trancher la gorge de tout le monde ?

-          Question de principe, ca permet de ne pas se faire emmerder…

-          Jolie déco, tu as vraiment bon goût. C’est tes parents qui payent ?

-          Ben oui parce que lorsque je tente de faire des économies, on m’en empêche…

Quand on arrive à l’Iguana, tout le monde me saute dessus. Bande de faux-culs. Y’en a pas un qui aurait appelé depuis deux semaines. Qu’ils crèvent, j’attrape Stan par la manche :

-          Me lâche pas, je vais dire bonjour.

Mon oncle m’attend derrière le comptoir, m’embrasse chaleureusement. Je lui présente Stan :

-          Je t’ai réservée une table, toi et ton ami êtes mes invités… Tu n’as qu’à commandé à Charles. Ne te prive pas. C’est important que tu fasses la fête ce soir, promis ? Si tu as un souci je suis à l’étage, au bureau. Soyez sage !

Je commande une bouteille de Sauternes et m’installe à une banquette. Je regarde les autres débiles s’agiter au rythme de la house. Rires nerveux. Je n’imaginais pas que cette soirée prendrait cette tournure. Un mec s’approche, sa nouvelle poufiasse aux bras.

-          Tu payes ta tournée ?

-          Tu me prêtes ta pute, on dira que c’est mon cadeau ?

Ils se barrent et Stan me regarde ahuri :

-          Bienvenue dans mon monde, dans ma famille seul mon oncle à des ronds et il n’a pas d’enfant, alors je suis gâtée. Ces gens, que je croyais être des amis, ne sont que des fréquentions qui squattent le comptoir de mon oncle espérant que je vais les rincer. Aussi je te conseille de profiter.

-          Je suis pas là pour ça.

Il se lève et se dirige vers le bar ; je le vois qui discute quelques instants avec Charles qui me lancent des sourires gênés. Finalement ce dernier prends la CB de Stan et lui tends deux coupes de Champagne.

-          Voilà, Joyeux anniversaire. Buvons à tes dix-huit ans, ton sal caractère et ton nouveau job.

-          J’ai droit à un cadeau ?

-          Disons le corset que tu portes sous ta chemise ? Il te plait ?

Je deviens toute rouge.

-          Je suis le seul à savoir, je vois tout je te rappelle. Je savais que tu ne pourrais pas t’en empêcher. Ne t’inquiètes pas, il est payé et tu n’auras pas d’ennuis.

-          Je sais pas quoi dire… je me sens conne.

-          Commence par dire merci.

-          Merci.

Et je dépose un baiser humide sur ses joues, voilà pourquoi il faut jamais se maquiller le soir de son anniversaire, y’a toujours un mec pour vous faire pleurer !

Le reste de la soirée fut splendide, j’ai même été pas mal gâté, et j’ai bu, bu, bu… Pour me réveiller dans un lit trop grand, une odeur de cendres froides dans l’air, un air de jazz dans la pièce d’à côté. Alors c’est comme çà chez lui.

-          T’es debout ? ton oncle m’a demandé de te ramener chez moi, il ne voulait pas que tu dormes seule, t’es quand même monté sur le bar pour faire la panthère, en corset. Il te va super bien, d’ailleurs.

-          Ta douche ?

-          La porte en face de toi, quand tu sors de la chambre, t’as une serviette posée sur le lavabo.

-          Merci.

-          C’est que tu deviens polie…

-          T’habitues pas trop, je suis pas réveillée encore.

L’eau chaude me fait du bien, le mal de crâne s’estompe peu à peu. Je sors emmitouflée dans une grande serviette et me dirige vers la cuisine. Il est debout, torse nu en jean devant la gazinière et lorsqu’il se retourne, je me mordille les lèvres. Il sourit :

-          Te moques pas, c’est pas tous les matins que j’ai un beau mec qui me prépare le pti’ déj.

-          Un compliment, de mieux en mieux.

-          Qu’est ce que t’as fait de bon ?

La réponse est posée dans une assiette devant moi, tranches de bacons et œufs à la coque accompagnés d’un grand verre de jus de poire. Je n’en fais qu’une bouchée, une telle nuit m’a ouvert l’appétit.

-          J’ai parlé à ta responsable, elle veut renouveler ton contrat et te proposer un poste plus adapté. Perso, je pense que c’est une bonne occasion, et puis tu pourras payer ton appartement, tu penses pas ?

-          Faut que je réfléchisses, j’ai pas envie d’être tout le temps tenter…

-          Je te surveillerais, mais je sais que ca te passera vite, tu commences à comprendre certaines choses.

-          Perso, je trouve la déco de ton appart pourrie.

-          Rien ne t’empêche de m’emmener à Ikea.

-          Ca aussi faut voir.

-          Alors on verra çà plus tard.

Je crois que c’est à ce moment là, qu’on coupe les caméras de surveillance, il aura juste suffit que quelqu’un me fasse confiance.

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