L'interdit, les étoiles, et eux

Benjamin Didiot

Après cette excursion nocturne, j'avais fait un ridicule dessin, que je remplace par une nouvelle.

La Source était interdite la nuit, mais cette nuit paraissait assez importante pour que nous osions détourner les règles, prenant la décision d'entrer par effraction dans la véritable institution religieuse et sacrée. Dans les ténèbres nous évoluions hésitants, angoissés mais surtout intrigués et impatients. La peur était pourtant, du moins au début, le sentiment le plus facilement perceptible s'émanant de chacun de nous, partagé et apaisé par la constatation de ce partage. Le départ imminent de la moitié de notre groupe était un prétexte largement suffisant à la violation de cette enceinte strictement close. Chaque bruit constituait pour nous une certaine menace palpable et stressante. La possibilité de croiser une quelconque autorité faisait de chaque bruit une alarme, qui nous stoppait net et nous tétanisait tellement que nous en étions pétrifiés, pétrification comparable au croisement des yeux de Méduse.

Les serpents de sa chevelure rampait à nos pieds. Ses yeux étaient partout, observant chacun de nos gestes timides. Il demeurait pourtant chez chacun de nous une forte attraction pour la Source, faisant de nous quatre une entité téméraire et courageuse. Nous formions réellement une entité, car seuls nous étions d'une certaine manière perdus. Quatre est un chiffre magique dans les civilisations amérindiennes mais représente le chaos et est associés à la mort dans les croyances traditionnelles d'extrême-orient. N'appartenant à aucune de ces deux croyances, nous n'étions ni à l'abris, ni en danger, entre l'assurance et la vulnérabilité. Bien qu'inconscient des significations de ce chiffre, ces deux interprétations correspondent parfaitement aux sentiments que nous éprouvions, marchant dans ce bois sombre et oppressant, avec comme uniques arrêts les sursauts causés par les bruits quelconques s'échappant de la nature nous entourant.

Les deux uniques barrières rencontrés furent brillamment escaladés, nous n'étions en toute honnêteté à peine inquiétés par la hauteur de celles-ci. N'arrivant pas à remplir leur devoirs, les portes de bois abimés, semblant jaillir du sol pour nous faire face, n'apparurent seulement comme un obstacle mineur à notre pèlerinage nocturne interdit. Car, à la réflexion, il s'agissait bel et bien d'un pèlerinage, mais n'ayant de religieux que la destination. Pour ce qui est du caractère interdit, la réflexion est et était superflue, nous étions évidemment au courant de l'interdiction.

Le chemin de terre se transforma enfin en l'escalier qui nous était familier, avec ses marches en bois qui étaient toujours trop hautes. La victoire était proche. Nous serions en sécurité à la Source. Nous n'étions en fait pas du tout en danger pendant le chemin, mais une menace invisible et accablante nous poursuivait depuis le début de notre excursion.

Nous furent enfin accueillis par la pancarte Silence, légèrement détériorée par le temps, habituellement accompagnée d'une personne nous demandant de nous taire, elle n'était à présent accompagnée seulement par le silence qu'elle demandait, et son ombre projetée à sa base par une indicible lumière lunaire. Ne respectant pas la modeste pancarte, nous avancions en chuchotant, le plus bas possible car toujours habités par une certaine crainte, qui s'avéra être infondée. Notre destination finale était visible, il s'agissait du pont en bois qui surplombait le Lac.

En pénétrant sur le pont, nous quittions afin cette prison de verdures qui nous entourait. Le silence, au delà de nos murmures persistants, était plus ou moins rétabli, surement car nous étions à l'instant présent impressionnés par la finalité de notre expédition, qui aurait pu se finir d'une manière bien moins glorieuse. Le spectre de l'interdit, qui nous avait suivi jusqu'ici, semblait à présent s'évaporer en s'envolant loin de nous, rejoignant paisiblement le domaine des fantômes en quittant celui des vivants.

C'est alors que la pression qu'il exerçait sur nous disparue et que nous découvrions enfin le ciel étoilé nous surplombant. Il était certainement le plus beau que j'ai pu voir à ce jour, et je crains que je ne serais plus jamais confronté à une telle peinture grandiose et infinie. Les étoiles étaient si nombreuses qu'elles semblaient chacune être le reflet d'un humain, personnelles et formant un ensemble cohérent et fonctionnant parfaitement esthétiquement. Une étoile fila, mon souhait alla pour Elle, qui était tout ce qui me manquait à ce moment. Son manque était persistant et occupé chacune de mes pensées. Élise à ma droite dû certainement voir également cette étoile filante, et ce qu'elle souhaita doit rester à jamais un secret pour chacun de nous. Une perceptible complicité me liait Élise, et non seulement car nous devenions très vite de bons amis, mais également à cause, ou grâce, à la relation d'une nature sensiblement différente qui grandissait sans cesse entre Clervie et Nicolas.

Je pense pouvoir affirmer que la paysage le plus rempli d'espoir et de beauté n'était pas ce ciel rempli d'étoiles, mais bel et bien le regard qu'ils se portaient l'un sur l'autre. Pourtant, ils continuaient à fixer ce ciel, comme s'ils avaient besoin de comparer les lueurs impérissables d'amour qui les animaient aux lumineuse étoiles, étrangement nombreuses. Les contempler avait quelque-chose d'agréable et d'apaisant. J'étais rassuré de ne pas être le seul à avoir la chance de connaître le réel amour, celui que l'humanité semble oublier, au détriment de l'amour éphémère basé sur le périssable.

Nous étions comme au fond d'un puits, débouchant sur l'éternité. Entourés par l'eau, assis sur un pont visiblement fragile, nous devrions être vulnérable, mais nous étions immortels, faisant parti intégrante de cette éternité.

Ils s'offrirent enfin leurs colliers. Suis-je obligé de préciser que ces deux âmes sœurs avaient choisi le même l'un pour l'autre ? Le devant de la croix était blanc, et le dos noir. Ces couleurs m'évoquait le symbole du Yin et du Yang. Il serait le Soleil et elle la Lune, car même éloignés et séparés par la tyrannie du jour et de la nuit, ils ne cessent d'être complémentaire et nécessaire à l'autre. Elle serait la glace et lui le feu, formant ensemble un équilibre cohérent, et éternel.

Nous étions quatre mais ils n'étaient qu'eux deux. Il n'y avait rien d'égoïste là dedans, au contraire, Élise et moi étions les témoins heureux de leur bonheur. Le ciel comportait une étrange particularité que je n'ai pas précisé. Les étoiles semblaient se mouvoir progressivement et tombaient lentement vers nous.

Le ciel nous tombait sur la tête, mais nous n'étions pas effrayés.

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