Little California

Stéphane Antonini

Le téléphone collé à l'oreille, il navigue dans la foule.
Habits soignés, mèche rebelle mais pas trop, lunettes de soleil Ray-ban, sourire distillé avec soin.
Regard à droite, à gauche, il fait mine de rien.
Il scrute.
Dévisage.
Déshabille.
Un air insouciant et affairé, l'appel doit être important ; il parle haut et fort, tout le monde l'entend.
Les filles qu'il croise tombent sous ses yeux aguerris.
Elles sourient, ou pas, mais elles l'ont vu.
Il navigue dans cette faune féminine toute ouverte aux apparences.
La marque de son tee-shirt est bien visible.
Le bronzage semble naturel, mais ne l'est pas ; les muscles non plus.
Il navigue dans le monde des paillettes et il s'y sent bien.
Il y en aura bien une qui sourira plus que les autres et qui succombera au charme irrésistible de son dur labeur pour paraître.
Les instincts sont à l'affût, l'homme chasse et déploie ses atouts.
Elles sont là, partout, dégoulinantes de marques, de parfums trop forts, de rires forcés.
Elles sont là, il sent, il hume ces senteurs de l'inconsistance, il sait qu'il peut grossir son répertoire téléphonique.
Elles paraissent, il parait, il n'est pas, il joue un rôle, elles aiment ça. Les profondeurs de l'âme n'intéressent personne, juste ce qu'on semble être est bien suffisant. De toute façon, à quoi bon ? C'est juste pour sortir en boîte et tirer un coup, non ?
Le sentiment n'a pas sa place.
On fait semblant, on est bardé de vêtements hors de prix, on a cinq cartes de crédit dans le portefeuille. On vit à découvert et on se découvre l'âme d'un chasseur.
Et ça marche.
Il traque, le gibier est docile.
Il range son iPhone, sourit, un peu ; la brunette au sac D&G a sombré dans le piège, elle le regarde, il bombe le torse, il fait celui qui n'a rien vu et qui découvre soudain l'intérêt de la femelle pour le mâle dominant de cette rue.
Il va sans doute s'approcher, sortir une phrase bateau, faire son intello, la jouer charmé et charmeur ; elle est déjà conquise par les Ray-ban et le bronzage.
L'affaire est conclue, même si elle fait semblant de résister.
Pas d'émotions, juste des frissons et le regard plein d'envies et de désir ; il sait déjà qu'elle n'est rien, elle soupçonne son style de vie, il voit dans son décolleté la promesse de l'affirmation de sa virilité à crédit, elle voit dans ses yeux qu'elle a bien fait de se parer de ses fringues à la mode.
Les heures passeront ainsi. Banalement. On causera de tout mais surtout de rien.
On baisera, bien ou mal.
On se quittera en échangeant des numéros de téléphone. Peut-être.
Il racontera le lendemain à ses potes la bombasse qu'il s'est tirée.
Elle expliquera à ses copines émoustillées le beau mâle qu'elle s'est farci.
C'est comme ça.
On aime ou pas.
Little California…
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