Live Report : Heaven & Hell (2009)

Philippe Cuxac

Turn up the night

Le 23 juin 2009 j'avais été voir Heaven & Hell au Casino de Paris en pleine tournée avec leur dernier et excellent album, The devil you know. Je n'imaginais pas une seule seconde que le coup du sort qui allait frapper le groupe en si peu de temps. Pourtant, dès la rentrée 2009 la tournée s'arrêtait, Toni Iommi ayant de graves problèmes avec sa main, Vinnie Appice le batteur ayant l'épaule en vrac et Ronnie commençant à se plaindre de douloureux maux d'estomacs. Je vous propose de revivre cette soirée très spéciale.

Mais c'est quoi donc ce Heaven & Hell dont on nous rabat les oreilles depuis 2 ans maintenant ? Ni plus ni moins que Black Sabbath en mode Donjons & Dragons avec l'elfe Ronnie James Dio derrière le micro. Oui Mesdames et Messieurs, Black Sabbath … les inventeurs du Heavy Metal, les grands pères du Stoner, du Doom et autres joyeusetés métalliques.

Un peu d'histoire ? À la fin des 70's Ozzy le maître égorgeur part pour une carrière solo et tout le monde pense que le Sabb' est définitivement passé par pertes et profits. C'est sans compter l'idée machiavélique de Toni Iommi de continuer à fondre le métal en fusion avec un nouveau contremaître en la personne de l'ex Rainbow RJ « Kill the King » Dio. 2 albums à l'aube des 80's, Heaven & Hell puis Mob Rules redéfinissent les canons du genre et donnent un coup de pied au derrière des petits prétentieux de la NWOBHM (à vos souhaits !). 2 albums de légende considérés aujourd'hui comme des classiques indémodables. Et puis le business reprend le dessus, Dio quitte le Sabb', revient en 1992 pour le très sous-estimé Deshumanizer puis repart à nouveau faire tourner sa petite entreprise (c'est que ça mange beaucoup les dragons).


En 2007, Dio, Iommi, Butler et Appice se réunissent à nouveau pour une série de concerts où ne seront interprétés que des titres des 3 albums avec Dio. Pour des problèmes de droits et surtout éviter qu'Ozzy confonde la tête de Dio avec celle d'un pigeon, le groupe tournera sous le nom d' Heaven & Hell, titre mégacultissime de leur album du même nom. La métallurgie étant un business comme un autre, un cd / dvd live immortalisera leur concert de New York tandis qu'un best of de leurs albums commun est édité agrémenté de 3 nouveaux titres qui seront perçus comme très décevants et sans âme. La nouvelle fin d'une de ces énièmes incarnations du Sabb ? Détrompez-vous, amis sidérurgistes, comme dirait l'ami Neil : Rust Never Sleeps. Rouillé peut-être mais prêt à en découdre à nouveau. Tout s'emballe l'année dernière, annonce d'un nouvel album pour lequel même Geezer Butler, l'impassible bassiste, nous aurons l'occasion d'en reparler plus avant, se fend de communiqués enthousiastes, c'est peu dire. The Devil You Know est dans les bacs et dès les 1ères écoutes on sent qu'on est face à un nouveau chef d'œuvre du quatuor. Exit les hésitations et le ronronnement des 3 titres bonus-cache sexe de leur best of, ici tout n'est que riffs ravageurs et coups de pieds au derrière garantis. Ambiance lourde, anxiogène, riffs de mammouths, solos déjantés et Dio en grande forme. Une réussite surprenante qui plane au dessus de la moyenne des sorties d'usines actuelles.

Reste le cap de la scène à passer … quand même … surtout quelques questions sur la voix du nabot Dio, passera-t-elle le cap d'un world tour éreintant ? Iommi sera-t-il débarrassé de ses problèmes dorsaux ? La tournée démarre ponctuée de points d'interrogations, dissipés en partie par leurs prestations qui se bonifient les dates passant, même si 2 dates ont été annulées un peu dans la cacophonie habituelle du grand barnum qu'est le monde du Rock'n'Roll.

Sur les marches du Casino de Paris, ce soir du 23 juin 2009, les rumeurs les plus alarmantes ont couru sur l'état de santé de Toni Iommi … sciatique, hernie discale, annulation, report, blablabla … Tous ses bruissements alarmistes se sont finalement tus dès que les portes de la célébrissime salle de concert se sont ouvertes afin de laisser entre une foule mêlant allégrement hardos, babs et cadres du quartier à la recherche des sensations fortes de leur jeunesse.

A peine le temps de s'extasier devant cette très belle salle qui vibra au son de tant de stars passées et présentes que les lumières s'éteignent pour laisser la place à la 1ère partie assurée par la hype du moment dans le heavy metal moderne, j'ai nommé les jeunes coqs de Black Stone Cherry. D'entrée de jeu, leur objectif est visiblement de nous clouer au sol avec un set concis, ultra fort et violent. Le quatuor d'Edmonton ne donne pas dans la dentelle et le public est hilare devant leurs poses spinaltapesques tandis que le batteur, totalement déjanté, martyrise ses fûts de façon aussi improbable que le drummer fou du Muppets Show. Leur set me laissera vraiment sur ma faim, je n'arrive pas à voir dans ce groupe dont on parle tant un quelconque avenir brillant. Les 4 musiciens, poseurs sympathiques, délivrent un heavy metal particulièrement influencé par Metallica & Black Label Society (le groupe de Zakk Wylde), le tout parsemé de touches grunge / alternatif. Bref, un combo de plus qui va sûrement pondre des refrains mainstream et tourner dans des stades d'ici 2 ans … si le batteur n'a pas explosé en vol ou le guitariste ne s'est pas étranglé avec le fil de sa guitare.

En tout cas, leurs coups de boutoir on du réveiller les démons qui traînaient leurs guêtres du côté du Casino de Paris car l'ambiance s'est mise à monter d'un cran tandis que les roadies finissaient d'installer le matériel du Sabb. Au fond, une batterie gigantesque, de chaque côté des chaînes verticales cachent les amplis et de chaque côté du kit de Vinnie Appice des mains aux longs ongles vénéneux tiennent une boule de cristal. Au dessus de la scène, un petit écran vidéo plaqué sur un fond gris métallique.

21h00 …. Extinction des feux … une clameur gigantesque envahit le Casino de Paris tandis que résonnent les 1ère notes de l'instrumental 5150. Les musiciens arrivent, Toni à notre droite, Geezer à gauche et le riff de Mob Rules envahit l'espace. Le lutin Dio, tout mince, semble heureux d'être là tandis que Tony Iommi arpente la scène d'avant en arrière, décochant de nombreux sourires au public. Ce 1er titre de leur second album donne le ton du concert : dans ta gueule !!! un son E-NO-RME, une présence scénique des 4 diables impressionnante. Le public parisien est en surchauffe, les cris fusent de la fosse, des balcons, enfin … on y est … le concert est lancé et bien lancé. Dio propulse alors Children of the Sea, titre épique de leur 1er album sous ce line up, alternant passages aériens et rythmique d'airain.

Un mot du Dio. Le petit elfe en-chanteur semble en grande forme vocale, le groupe s'accorde à présent plus bas qu'avant ce qui permet à RJ de dominer les passages les plus délicats de ses lignes de chants. Sa voix, même si elle a perdu cette particularité qui le faisait passer avec tant d'aisance du pur cristallin aux tons sombres les plus inquiétants, conserve malgré tout de beaux restes et la magie opère ce soir au Casino de Paris. Du reste, Ronnie semble très à l'aise et content de retrouver Paris, il félicite à de nombreuses reprises le public et ses 3 compères qui restent stoïques et concentrés la plupart du temps.

Un détour par Deshumanizer le temps d'un I éreintant et c'est l'occasion pour H & H de présenter un des titres phares de leur nouvel album, j'ai nommé le terrifiant et assourdissant Bible Black. Ce titre est très très fort, complètement dans la lignée de leurs meilleurs morceaux et laisse l'auditoire à terre. Retour en 1992 pour un Time Machine  fidèle à l'originale permettant d'introduire le solo de batterie de Vinnie Appice. Comme la plupart des solos de batterie, celui-ci est un peu ennuyeux, rien de novateur, mais donne à Vinnie l'occasion de taper au moins une fois sur chacun de ses nombreux toms et cymbales qui l'encerclent.

Les boys défendent de pied ferme leur dernier album et nous assènent coup sur coup Fear  puis Follow the Tears, 2 titres massues qui font chavirer la salle, tout juste entrecoupé par une belle surprise … Falling off the Edge of the World extrait de Mob Rules. Le public réagit aux moindres injonctions de Ronnie James et les murs du Casino sont à 2 doigts de se fissurer tellement le métal en fusion dégouline de partout sous les coups de boutoir d'une sale en délire.

La lumière se fait sur Toni Iommy, seul sur le devant de la scène pour une solo de guitare très pur, sans prétention mais efficace et ce son, toujours ce son de Iommi, reconnaissable entre 1000, faisant de lui l'égal des plus grands à l'instar d'un Blackmore ou d'un Page. Les dernières notes dérapent sur Die Young et la salle explose, tout le monde saute dans tous les sens, les heavy rockers comme les costard-cravates du balcon. Le groupe fait preuve d'une cohésion extraordinaire et ils jouent ce titre comme si leur vie en dépendait.

C'est l'occasion de dire un mot sur Geezer Butler, leur fantastique bassiste, guitariste à l'origine et qui céda sa place à l'envahissant Iommi. Son jeu énergique est impressionnant, il joue en rythmique la plupart du temps et le son de sa basse est un des éléments les plus importants de l'architecture sonique du Sabb'. Il joue concentré, jetant peu de regards au public et aux autres musiciens, le visage fermé, tendu, sa main gauche tissant sa toile comme une araignée maléfique.

Les démons sont à présent réveillés et ont envahis la salle, une chaleur digne des enfers règne sur les abords de la scène et Dio nous invite à une longue, malsaine mais délicieuse visite en Enfer et au Paradis. Avec un guide tel que lui, le public répond massivement présent et il n'a pas besoin de nous dire 2 x de chanter avec lui si le cœur nous en dit. Cette version d'Heaven And Hell, leur titre phare, le grand classique du Heavy Metal des 80's, met tout le monde d'accord ponctuée, as usual, par les chants du public et un break extraordinaire de Geezer et Toni.

The world is full of kings and queens
Who blind your eyes and steal your dreams
It's Heaven & Hell …

Rarement j'avais vu un public aussi en symbiose avec les artistes sur scène, ce morceau fut un moment magique, orchestré par le Diable probablement, tant chacun dans la salle a tout oublié à ce moment là pour ne faire plus qu'un avec la scène et se laisser aller à headbanger, hurler et violenter une air guitar.

Fin du concert … Exit Stage Left … Ronnie semble ému, remercie vivement le public parisien et quitte la fournaise malgré une foule totalement acquise à leur cause. 3 petits tours et puis reviennent, les lumières s'éteignent à nouveau et le groupe attaque Country Girl dans une version survitaminée qui embraye rapidement sur l'ultra speedé Neon Knights laissant le public en transe totale.

Le set fut court, 1h30 … mais contrat rempli, le Sabb' dans sa version Dioesque prouve qu'il est encore un groupe sur lequel on peut compter autant sur disque que sur scène, l'épreuve de vérité est passée avec grand brio pour eux ce soir.

Alors que le public quitte à regret la salle, les regards se croisent et l'on sait tous qu'on vient de vivre un grand moment, un de ces mémorables concerts dont on se souviendra encore longtemps, très longtemps.

Setlist :

E5150 / Mob Rules
Children of the Sea
I
Bible Black
Time Machine
Drum Solo
Fear
Falling Off the Edge Of The World
Follow The Tears
Guitar Solo / Die Young
Heaven & Hell

Rappel :
Country Girl / Neon Knights

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