LOCATI
Célédonio Villar Garcia
La maille à l'endroit de la vérité. La maille à l'envers de l'imaginaire. Les aiguilles à tricoter font du passé un champ d'ail dont les bulbes sont utilisés comme médicament.
Le fil conducteur ? Un petit-neveu et deux petites-nièces. J'ai volé des instants de leur enfance. Je les ai conservés précieusement.
Ce passé est exprimé avec amour.
Je l'ai vécu, silencieusement. Je m'en suis également nourri. Tant que je le pouvais. Pas autant qu'ils l'auraient désiré. Mais j'ai fait de mon mieux.
J'en parle avec mes mots aux images abstraites, mes mots à moi, avec mes termes dépouillés de toute émotion vive. Dans l'émotion, je me sens vulnérable, fragile, faible. Je n'aime pas les secousses qu'elle provoque en moi, qui peux faire trembler les choses.
Je suis un sensible avec le caractère d'une abstraction. Un solitaire bénévole. J'aurais aimé être un anachorète.
Aurais-je été moins malheureux ? Plus heureux ?
Vivre avec la crainte de voir disparaître un être aimé, engendre en moi un sentiment insupportable. Dans ces moments-là, je voudrais fuir ces pensées qui rendent mon « état des lieux » friable, tenu, entretenu par une forme d'angoisse qui me contraint à vivre dans un certain état, une sorte de dépendance vis-à-vis de ceux que j'aime. Une espèce d'impuissance.
Adieu ermite.
Maintenant il me faut vivre avec leur existence. Faire avec mon monde à moi. Qui n'est plus tout à fait à moi. Qui s'agrandit sans rien me demander. Qui m'envahit inéluctablement. Qui demeure une source vitale, une nécessité absolue.
J'ai relevé des souvenirs au hasard de mes pensées. J'ai choisi ceux qui répondaient le plus justement à l'idée que je me fais de l'instant présent, avec l'imagination totalement libre. Si l'inspiration travestit la forme, elle ne trahit jamais le fond, et je compte davantage sur les images abstraites que sur ma propre perception réelle, pour séduire mes trois Muses, à qui je dédie, sans que quiconque le sache, cet ouvrage en toute humilité, n'espérant qu'éveiller en leur cœur l'envie de se souvenir de moi comme j'essaie moi-même de me souvenir d'eux. Sans vraiment être rassasié.
Dans cette absence de tout bruit, l'époque déterminée n'acquiert que plus de relief et d'importance. L'oreille entend le mot « TEMPS » sculpter l'horloge : cet artiste impalpable qui me transforme et qui sans me demander mon avis, modèle et façonne mon être tout entier. Chaque minute résonne interminablement... Le bruit de la vie qui s'effrite, qui tombe en cascade. Comme un gave pyrénéen, limpide est la pensée de l'automne, des regrets, des remords, la saison des recueillements. C'est ainsi.
Tant pis pour les mots qui se sont tus lorsqu'ils devaient parler. Le silence est ma propre absence parmi les miens. Je ne peux courir plus vite que le galop de ma propre nature. J'ai besoin d'une certaine déréliction. Je ne peux m'efforcer qu'à mieux faire voir l'intérieur de moi-même, sans effusion explosive, sans emphase, sans effet décoratif. Je dirais que mes silences laissent à la pensée le rôle essentiel, que les pierres apparentes en laissent libre l'écoulement, que l'indifférence ne vient jamais troubler.
Et que tout cela porte un nom : AMOUR.
Extraits :
« Des souvenirs sentent la cire des meubles anciens,
le bois vermoulu des capricornes rassasiés.
Accroupissez-vous pour trouver le tiroir,
celui qui demande un réel effort de concentration.
Ouvrez-le pour sentir l'odeur des camions abandonnés
sur le terrain de la petite enfance en pleine construction,
la créativité d'un garçonnet, architecte bambin
aux plans inachevés, des engins de chantier
sans aucune traînée de boue, des tracteurs agricoles
sans nulle trace de bouse.
Si vous fouillez encore, par curiosité, vous trouverez
des poupées disparues dans un trou de vrillette.
Mais n'allez pas plus loin. Plus loin
se dresse « L'épouvantail, un corbeau sur l'épaule ».
Ne les touchez pas.
Ne les effrayez pas.
Ils dorment dans l'amour, un autre amour,
une autre enfance devenue adulte. »
«Les poupées disparues.
Elles ne sont pas abandonnées.
Les bras des petites filles qui les couvraient
avec la tendresse de l'enfance
sont devenus trop grands,
ils ne peuvent plus prétendre
au trône de l'imagination infantile.
Dans ce royaume, ils sont devenus géants,
immensément démesurés.
Ils risqueraient de les blesser.
Les poupées ont deux jours dans la vie :
le temps de l'enfance,
le jour de l'oubli. »
« Si plus tard, vous les trouvez au fond d'une malle,
c'est qu'elles ont été heureuses,
autant que les petites filles
qui les ont mises-là.
Ne les réveillez pas.
Elles rêvent d'amour.
Cherchez plutôt un miroir à main.
Toutes les poupées ont un miroir à leur format.
Prenez-le délicatement.
Fermez les yeux.
Regardez-le.
Vous verrez peut-être votre propre enfance. »
L'
Ombre
Règne
En
Nous.
Zeuzère
Obscur.
« Le vague à l'âme : c'est la lanche.
Le vent : un écoute-s'il-pleut.
Un papillon aux ailes blanches
Tachetées de noir et de bleu.
Un être de plus dans ma ville
Qui n'a jamais connu de loi
Est apparu un mois d'avril
Avec les dés du jeu de l'oie. »
« Le plus jeune de mes souvenirs,
c'est un bébé parmi d'autres bébés,
un bébé qui ne discutait jamais avec ses voisins.
Un bébé qui n'avait pas de vie encore,
peu de mémoire,
aucune imagination, qui n'avait donc rien à dire.
J'étais un bébé solitaire. »
« Pour ne pas faire de peine à mes parents,
je me cachais dans le trou où se terrent les taiseux.
Ils m'ont dit : marche ! Alors j'ai marché.
J'ai marché pendant des nuits entières pour trouver
un autre moi-même.
Un autre qui me montre comment rejoindre cet oiseau
que je vois perché sur la lune.
J'ai cherché sans jamais le trouver.
Alors je me suis tu.
Je n'ai jamais fréquenté de nourrisson. »
« C'était un p'tit gars débrouillard
Quant aux ailes des hannetons
Pointaient des feux antibrouillards
Pour mieux que paissent les moutons. »
« Plus tard, si le progrès n'a pas assassiné
les chauffeurs routiers,
il conduira son propre poids lourd.
Dans la cabine,
il tiendra à bout de bras le sapin magique
qui se balance comme le métronome du bonheur. »
Charisme, beaucoup, énormément.
Adjectif qui exprime une qualité.
Saltimbanque qui amuse la foule.
Sociabilité spontanée.
Acrobate de cirque, de music-hall.
Noctambule qui se divertit la nuit.
Danseuse qui danse.
Rocking-chair qui oscille d'avant en arrière.
Attrait irrésistible.
« Toute la regarder…
Que l'enfance était belle !
Toute belle !
Elle seule,
avec des yeux tout ronds. »
« Certains diront qu'elles pleuraient.
Mais non, elles ne pleuraient pas. Je le sais.
Même si l'histoire des bébés à mon savoir
comportait d'importantes lacunes,
mon peu d'expérience en ce domaine
me permettait de dire qu'elles discutaient entre elles.
Brusquement, elle s'est mise à pleurer. »
« La porteuse de pain, de la porte, la clenche
Soulève, la voici, d'un épaulé-jeté,
Toute prête à vêtir de petits vers la branche…
Pour le petit moineau, l'heure de becqueter. »
« Peut-être ce plus tard.
Ce plus tard qui, entre ces lignes,
obstrue le canon du fusil de chasse et déchire,
déjà,
les pans d'aujourd'hui. »
Tempérament romanesque, un mélange de rêves,
une composition de songes.
Imagination créatrice qui s'échauffe, se construit.
Nanan, friandise délicieuse, agréable.
Avoir un cœur d'artichaut.
« Et n'écoutez jamais les « on
dit ». Elle n'était pas nerveuse
Mais l'amie des caméléons,
De toutes les couleurs, rêveuse. »
« Elle était aussi discrète que le lit des airs,
il fallait soulever la poussière
pour effrayer les acariens qui se déguisent
en grain de sable dans le désert des grandes personnes
qui ne comprennent rien… où pas grand-chose. »
« Elle jouait,
avec sa sœur, aux fourneaux des grands restaurants.
En dodelinant de la tête,
la toque d'un Paul en jupon et d'un Bocuse en jupette,
elle vous présentait une carte des menus
dessinée par Dali et peinte par Picasso.
Vous quittiez la table d'un dîner de dupes,
le ventre dans les talons, le cœur dans les étoiles. »
« Le matin,
on aurait dit que tous les mauvais poils du quartier
se donnaient rendez-vous sur ses lèvres boudeuses.
C'était un tout petit quartier,
une petite moue boudeuse
qui durait le temps nécessaire
de mettre en jambe son sourire.
Ce sourire-là n'aimait pas les efforts. »
« Si la règle du jeu changeait entre deux tours,
sans logique apparente, sans une explication plausible,
elle prenait les dés, ses cliques et ses claques
et plongeait
dans les méandres du doute qui pointait le bout du nez,
pour ensommeiller, sur le divan, ses incertitudes.
La toute dernière, un brin méfiante,
sans aucune colère, toute tranquille, toute en douceur,
introvertie.
Totalement. »
« D'elle,
aucune photo.
Je vous parle de ces photos qu'on peut toucher,
ces photos d'un autre temps,
de mon âge.
Une photo de son frère et de sa sœur posant ensemble
dans un décor des années 1900,
un canotier sur la tête, embellit le mur.
Mais d'elle,
aucune photo.
La faute aux appareils numériques,
aux mémoires des ordinateurs. »
« Putain d'imprimante, c'est son jour de relâche.
Qui sommes-nous face aux caprices de l'informatique ?
Une clé USB qui n'ouvrira aucune porte aujourd'hui.
Demain, si les circonstances sont réunies.
Demain, le lendemain, le surlendemain,
des surlendemains défilent, les circonstances aussi,
mais pas ensemble,
pas au même moment, pas dans le même sens.
Et les années passent…
Et on se retrouve comme moi aujourd'hui, un album vide.
Alors je dois faire travailler ma mémoire, lui donner
un coup de neurone pour qu'elle m'aide à me souvenir… »
« Il faut prendre avec soin
le bon stylo avec la bonne couleur sinon,
ce range stylo, qui est la réplique de la tour de Pise,
penche de la hauteur de ses six ans et,
si on ne prend garde,
tous les locataires se retrouvent par terre. »
« Et les autres dessins, tous les autres.
Ils dorment dans des pochettes, les uns sur les autres.
Ils se tiennent chaud.
Ils se mélangent les uns avec les autres
comme les pièces d'un puzzle. »
« Ils galopent les uns derrière les autres
pour mâcher l'herbe des prairies
qui les rendent pareils
à deux nuits heureuses
dans la pénombre que je suis. »
« Qui m'a donné ce beau sourire,
Ces belles couleurs de printemps,
Ce front où des étés transpirent
Comme si j'avais dix-sept ans. »
« Terre de l'avenir ronde comme un melon,
Comme si les pépins aux cailloux des rivières
Apparaissaient alors avec de l'or au fond.
De rêves endormis pendant des nuits entières,
De vos yeux de soleil sur des feuillages d'or,
Petites et Petit, bâtissez ma litière ! »
« Qu'aurais-je à vous donner ? Les doigts engourdis crochent,
Maladroits, le tissu des coudes du poussoir
Où vos petites mains, pleines d'amour, accrochent
Le linceul de mon cœur aux épingles du soir. »
« Sous un cil noir l'iris de l'œil voit en mon cœur des bleus des Causses…
Et des mains présentes poussant l'un après l'autre ces blockhaus.
Puisque ces trompe-la-mort qui sortent de ma terre de chair,
D'une détonante eau-de-vie, basculent de mon rocking-chair. »
« Aurais-je encore de l'esprit si j'étais l'avare marchand
Pesant sur sa juste balance or, rubis, émeraude, argent.
Toutes les dentelles du monde, autour de mon âme enroulées,
N'auraient dans cette écharpe en feu qu'une odeur de tôle brûlée. »
« San-Benito, sang-de-dragon et sans double faute ni ace
Dans un carré je suis le jeu d'insolites petites-nièces.
Tes ballons d'or, petit-neveu, font de tes jeux un avant-toit
Sous les parapluies de mon cœur qui s'ouvrent au-dessus de toi. »
« Si tu venais à disparaître
De ma poitrine, un jour béni
Par des glaires grasses pour être
Le crachat précis du déni.
Me laisserais-tu seul, ainsi que
Le dernier soupir se marie
Dans cette cage thoracique,
Une cage de canari. »
« Quand ils iront à bicyclette,
Après la pluie, pour ôter l'eau
Comme des roues de mobylette…
Pourrais-je les suivre à vélo ?
Petite reine, manque-t-il,
Dans l'organe qui s'assagit,
Le pied véloce d'Anquetil…
Car c'est de mon cœur qu'il s'agit. »
« Foule d'humains tu me fatigues
Dedans ce brouhaha de fous
Même le soleil de Martigues
Lasserait je m'ennuie de vous. »
« Dans le ventre affamé de l'orque,
Avide comme un monnayeur,
Avec ma Palma de Majorque
Je descends noyer ma frayeur. »
« Je vois les jardins de Le Nôtre
Dans un Versailles essouché,
Un homme qui de l'un à l'autre
Me pend à des crocs de boucher. »
« Dans les bidons d'huile des villes
Le devil de l'être fourbe est
Masqué par d'heureux imbéciles
Dans l'enfer de mon alphabet. »
« Petites chairs, mes passagères,
Mon errance de n'importe où,
De baisers, des sources légères
Boivent mon âme de partout.
Je porte des turlupinades
Comme leurs bois les caribous,
Pendant mes longues promenades
Je vous aime le savez-vous ? »
« Je m'ouvre comme un livre, une sombre caverne,
Une aube encore noire où le chien du matin
Sans être loup-garou, trêve de balivernes,
N'en est pas pour autant le Milou de Tintin. »
« Suis-je une page vierge ou suis-je une œuvre dense ?
Une trace de bête aiguillant le penseur
Se meut, l'air hébété, comme une chèvre danse
Follement dans les champs des jonquilles en fleurs. »
« Le cœur fossilisé redémarre le rite
Du silence immuable entre nous malfaisant
Comme un écho d'avril de chaque marguerite
Arracherait des mots complètement taisant. »
« Des bouquets de tendresse ou des paquets de nouilles ?
Après l'escargot court le jeune lévrier,
Mon pas qui danse avec des cuisses de grenouilles
Comme un vingt-neuf derrière un trente février. »
« Que mes rêves obscurs, de trente-six chandelles,
Éclaire votre monde aux yeux du loup-cervier
Où, frissonnant je rêve aux fraîches chanterelles
Sous la grêle du soir d'un chemin forestier. »
« Prenons un seau pour les châtaignes,
Si les bogues veulent s'ouvrir,
Avant que le feu ne s'éteigne
Nous les ferons ce soir brunir. »
« Ils m'appellent tonton.
Je ne suis pas leur tonton, je suis celui de leur mère.
À force de m'entendre appeler tonton, que voulez-vous,
je suis devenu un tonton, le tonton.
Ils m'appellent le tonton Faussil. »
« Je suivrai le pêcheur dans les causses de l'éternité pour,
paissant avec le troupeau de mes secondes,
pacager le souvenir que j'aurai laissé. »
« Dans un film policier où le héros meurt, où ses amis,
dans le cercle d'une ronde au mouvement perpétuel,
accompagnent un cercueil de carton-pâte
orné de quatre poignées de larmes.
Sept personnes qui penseraient à moi
une minute chaque jour de la semaine,
sept personnes, pas une de plus…
Mais pas moins, sinon mourir n'en vaut pas la peine. »
« Ils ont creusé une tranchée de mes orteils à mon crâne,
un chemin pour qu'un aveugle, à tâtons trouve sans mal
l'agate du soleil de mars… Quand l'hiver disparaîtra. »
« Quand la terre du printemps sera boueuse,
grasse comme de la cervelle, je marcherai dessus…
Alors, tout doucement me dira-t-elle :
Souviens-toi de ta vie ! Entends l'écho qui te rappelle
à leurs souvenirs… »
« De leurs feutres tissant la toile,
Onze ans à eux trois, mes Rembrandt !
Ils me font naître près du poêle…
Deux petites, l'autre plus grand. »
« Coups de couteau des peintres entrent
Dans ma graisse de glace, trois
Petites paires de mains centrent
Mon sang de lys au cœur des rois. »
« Étant un cadeau de faïence
Ivre des choses du salon
Je suis muré dans le silence
De la poche d'un pantalon. »
« Mes os de neige dans l'étroite
Couche du soir dégingandé
S'allongent sur la ligne droite
De l'horizon enguirlandé. »
« Je suis la soif et le breuvage
De la farlouse dans les prés.
L'inexpiable eau de rinçage
Calque ma mine à ses degrés. »
« J'étais, nom d'un petit bonhomme,
Un chant d'amour ! Mon héritier,
À l'aiguille du métronome,
Me coud d'une douce pitié. »
« À tous ceux qui ont du mal à rentrer dans la peau
d'un bonhomme de neige et qui,
amoureusement enlacés
rentrent sans peine dans un tube d'été. »
« J'ai nourri le silence sur la feuille qui se plie.
J'ai bu toutes les encres de toutes les couleurs
de tous les feutres aplatis.
D'hiver est mon père, de neige ma mère.
Dans leur couche je suis né un soir de Nouvel An. »
« Mes adorables petits bourreaux rient aux éclats.
Alors,
mine de rien avec la mine du crayon, maladroitement
je tente de dissimuler un sourire,
mais bon ! C'est mon premier sourire,
ma première idée aussi. »
«J'apprends aussi les mots qui m'expliquent pourquoi
la langue s'alanguit dans ma bouche close. »
« J'apprends à humer le brou de la noix.
J'apprends que ces choses qui pendent à mes épaules
s'appellent des bras et que le jour
où je tomberai le nez dans le poil à gratter
je comprendrai alors toute leur utilité. »
« J'apprends aussi mon prénom.
Ils m'appellent : Tonton.
Un jeu de mots dérivé de Tom Tom,
le GPS qui ne se perd jamais.
Ils doivent m'apprivoiser,
non comme une petite bête sauvage,
je ne suis pas un animal,
mais pour faire mes premiers pas
ils doivent me donner la main
pendant dix pas au moins
et à condition que je sois doué.
Après, je pourrai leur courir après,
dans la neige toute fraîche du jour de l'An. »
« À la croisée du couteau et de la fourchette,
le bruit des armes qui croisent le fer avec mon odorat.
Pour mieux entendre je me pencherais volontiers
sur le côté mais j'ai peur de tomber. »
« Rue de l'Impasse des Igloos,
je frappe à la porte de l'école pour bonshommes de neige.
Le professeur,
des petites et grandes sections des classes de neige,
ne répond pas. Il est, cloué allais-je dire,
glacé dans un lit d'esquimau avec une fièvre de glaçon.
Il aurait, dit-on, attrapé la grippe d'El Azizia, en Libye
(la plus grave pour un professeur,
enseignant aux écoles des bonshommes de neige). »
«31 décembre sur la Terre…
Trente et un confettis au millimètre carré,
par terre les balais forment déjà leur bataillon.
Les voix sont tonitruantes mais agréables à entendre.
Je les écoute…
Je ne retrouve pas celles
qui me sont familières et qui me manquent. »
« Toute la nuit j'ai fouillé le derrière de chaque buisson,
soulevé chaque pierre,
dérangé chaque caillou du chemin de l'ouïe,
les oreilles attentives,
dressées comme la chair du frisson.
Je ne les ai pas trouvés.
Ils ne sont pas revenus.
Les soirs de la Saint Sylvestre
ne sont pas faits pour les enfants.
Les veillées sont des affaires d'adultes.
Tant pis pour moi. »
« Les enfants
ne sont pas faits pour veiller le soir du Nouvel An.
Pas plus que les bonshommes de neige
qui eux,
ne sont même pas faits pour naître le soir de Noël.
Ce soir-là,
les enfants sont plus préoccupés par d'autres pensées
bien trop excitantes
pour pouvoir s'occuper d'un bonhomme de neige.
Les réveillons
sont les fossoyeurs des bonshommes de neige. »
« Si j'avais des idées naguère,
des vertes, des mûres, plus tôt
si j'étais presque né pour plaire…
Je décéderai aussitôt. »
« Si vous faites un bonhomme de neige
ne l'appelez jamais Tonton où alors,
si vous le faites quand même, n'oubliez jamais :
le dernier des imbéciles peut en cacher un autre. »
« Six juin : un coup de soleil
a rompu les veines de chaque côté de ma tête. »
«Comme une peur ancestrale, aujourd'hui j'ai besoin
des frissons qui me faisaient dormir,
debout sur un nuage.
Aujourd'hui, les coqs,
les pattes dans la boue d'un coucher de soleil,
dressent la chair de poule des rêves d'une nuit
qui n'a plus son pareil.
Aujourd'hui, je m'endors sans histoire. Je dors... »
« Il ne me reste que le souvenir de ces milliers d'heures,
ces milliers d'heures
passées au hachoir de l'être endormi,
l'être endormi qui n'a plus besoin d'histoires
pour trouver le fond de son lit
mais du solvant des rosées pour décoller ses paupières
quand les aurores reviennent à la vie. »
« Les enfants ont des doudous
mais les adultes qu'ont-ils vraiment ?
Moi, j'ai une voiture
qui m'emmène jusqu'à la frontière de la Jonquière où,
du jour, la nuit s'acquiert. Une doudou de voiture
qui connaît la pensée qui me tourmente,
qui me descend la vitre latérale
pour que je prenne l'air frais des souffles d'après-minuit,
qui m'assure d'une ceinture de mansuétude,
qui me tranquillise face aux mots qui me font peur : »
« C'est un bolide de course, miniaturisé,
aux idées rouges comme un drapeau sans damier,
aux idées contagieuses
comme les boutons de la varicelle,
qui me raconte sa peur quand on lui contait l'histoire
de l'ocre mangeur d'ours en peluche
et celle du loup dévoreur de poupées en porcelaine. »
« C'est l'histoire d'un tunnel
creusé sous la manche courte d'une chemise en jersey
par des levures d'arbre à feuilles boulangères
qui ont des pommes de pin sur la planche. »
« Si, quand tombe la nuit comme un cheval mort
dans les labours aux idées noires,
le cauchemar recommence,
si les gaz d'échappement sortent de ma bouche
comme la moisissure d'une champignonnière,
si les vapeurs d'essence enivrent les aurores
dans un garage d'os, »
« Comme tous les enfants, durant toute l'enfance,
ils ont traversé
des ponts de larmes sur des rivières de pierre.
Sur leurs écorchures, des pansements de tendresse
suffisaient à tarir la source. Pourtant,
l'une d'entre elles a rougi plus longtemps
les cailloux de la rivière. »
« Une voiture qui veut devenir homme,
embellir de ses arts
toute nature morte, étouffer
d'une blague à tabac le rire des hyènes.
La voiture est prêteuse jusqu'au dernier murmure,
moi, l'homme généreux, je lui ouvre l'armure. »
« Je me suis endormi. Disposées en quinconce,
De fiévreuses pensées et de froides sueurs
M'ont ouvert leur chagrin. Dans la maison des ronces,
Les rêves m'ont laissé seul avec ma douleur. »
«Je ne suis plus, alors que naissent les orties,
Comme pousse la rouille au fond des laminoirs,
L'épouvante hurlant pour que cesse l'orgie
D'une vive rougeur dans un cœur au sang noir. »
« Elle a nourri le soir à devenir exsangue,
Hôtesse avec les mots venus à la malheure
Retourner les tournesols sept fois sur ta langue
Comme un grand soleil pâle en ces temps de malheur. »
« Tu te réveilles sur la cime du chêne
aux glands abondants, les glands qui font sortir
les sangliers solitaires de leurs taillis,
les sangliers friands des fruits rouges
qui sourdent de ton crâne
comme une meute d'idées tirée par des cheveux. »
« L'aurore est belle à vivre alors je vais la vivre.
Je m'engouffre à mon tour sous un arc-en-ciel de rosée
pour embrasser la dernière étoile,
pour égoutter mon cœur aux rayons du soleil. »
« Je me souviens que je sentais bon le neuf.
À mon volant ça sentait le grand-père.
Un rapide de l'Ain aux mains d'un grand-père,
rien de mieux pour visiter le lac d'Annecy. »
« Je voulais lâcher mes chevaux
mais le vieux m'a bridée avec le frein. Alors,
je suis descendue pépère aux mains du grand-père.
Sur la gauche j'ai vu la façade d'un hôpital
(un hôpital pour voiture).
C'est là que le vieux m'emmènera
comme l'atteste mon carnet de s… d'entretien. »
« Le Rhône est son lit d'eau verdâtre,
un Lido sans lumière, morne spectacle.
Quand on a la tête pleine de cafard
on se console au vol du bourdon. »
« Ça faisait longtemps
que je n'avais pas pris un bain de soleil. C'est bon,
tellement bon que je n'ai pas le temps de me demander
pourquoi la vieille dame prend ma place dans le garage.
La nuit tombe, toute fraîche sous les étoiles, j'ai froid. »
« Je le surnomme :
El Cordo baisse… la queue du cheval, ça va fumer !
En mémoire
d'un célèbre matador des années 60-70 qui lui,
à l'inverse du jeune homme,
levait à bout de bras les oreilles et la queue du taureau. »
« Je suis une voleuse de paroles,
je connais les cryptes secrètes de la Pensée,
les pensées du jeune homme,
celles de son rare entourage,
leurs pensées sont un festin sur mon appuie-tête. »
« J'ai fait la manche à l'Angleterre,
Dans l'oeil du Dieu qui me parlait
J'ai vu des vaches de notaire
Brouter l'herbe de Bob Marley. »
« je suis forte comme les sept mercenaires,
sur l'asphalte, rapide comme sept nains.
Malgré mes modestes performances, le jeune m'aime,
il m'aime sans connaître mon secret.
Mon secret… »
« Je suis une énigme,
une mémoire syllabique à l'oreille absolue.
Je comprends le sourire
sans être capable de le divulguer.
Je connais la douleur
sans avoir la faculté de l'exprimer. »
« Le jeune,
c'est une éolienne à paroles
que j'écoute dans la tempête,
emmagasinée des idées noires.
Pourtant mes silences
ont des trouvailles d'une fraîche imagination,
aux invectives, d'insolentes solutions. »
«C'est peu de chose.
Mais jamais
je ne dépasse les limites de ma peur, jamais.
Devant elle je suis soumise, l'obéissance même.
Dilemme d'amour,
Esclave du maître,
À mon désamour
Je dois me soumettre. »
« Il ne connaît pas mon secret,
ni le secret des brèches béantes
ni le secret de l'ange aux ailes coupées
dans les guipures emplumées
de la corneille blanche aux pattes brisées.
Il ne connaît pas le secret
que je porte en moi comme un talisman. »
«L'ange aux ailes coupées et la corneille blanche
Me découpent leurs cœurs par deux fois écœurés
De le voir me clouer sur de vulgaires planches,
Mon croque-mort moqueur… Alors moi j'ai pleuré. »
« Je suis parmi d'autres agonisantes
que le bruit des démolisseurs rend à l'éternité.
Une avalanche de grenouilles
m'envahit de coassements. »
« je vois parfois,
quand la lumière du jour le permet,
se refléter dans la brisure du cristal,
une silhouette familière.
Alors, elle me recouvre d'ombre, d'un noir ensanglanté.
Dans la rosée blanche,
un coquelicot prend son pied,
le trempe dans la gourde des cauchemars
pour les rendre plus légers et il danse… Et il danse
comme une tache de vin sur le visage du bonheur »
« Je suis une voiture écrasée, pauvre masse,
Par la coque rouillée d'un horrible cargo.
Tombeau de pacotille et reine des limaces
Poussent dans mes lauriers des cornes d'escargots. »
« Les roses de Damas, les pensées les plus chères,
Les fruits rouges et mûrs et fondants sous la dent…
Que des âmes de pierre et des coeurs épluchèrent
Dans les gorges du Tarn comme pomme d'Adam. »
« J'écoute le tombé des cheveux de Carole
Sur des langues et dans la bouche de Benoît
Comme si l'unisson de savantes paroles
Prenait les oeufs de coq pour des coques de noix. »
« Cœur de fer ! » me dit-il : « Cœur de tôle sans âme,
Racoleurs de bitume à d'infinis tournants,
Des grottes de mon cœur je te fais le sésame,
De l'huile de vidange un délice gourmand. »
« Personne, tu m'entends, ne t'écoute, personne
N'entendrait ton murmure alors ne contredit
Ni la pleine nue ni le berger qui frissonne
Quand les loups boivent dans un fleuve de brebis. »
«« Dors ! Dans une seconde, enfin, parmi les hommes
Si tu dresses l'oreille alors tu l'entendras,
La plainte de l'ortie que nul écho raisonne…
Geindre comme un rouget de Lille à Carpentras. »
« Je ne suis que l'étreinte à même cette paume
Qui me serre le cœur si fort, évidemment,
Que se disloque en elle une place Vendôme
Assortie de saphirs et sertie de diamants. »
« Alors dans la forêt Noire du corbeau campent
Les quarante voleurs de mon eldorado,
Quatre poissons d'avril au dos d'un hippocampe
Pour des renards charmeurs sous le pont Mirabeau. »
« Blanche n'ai-je des nains que cette douleur naine !
Sur l'enclume l'assette et le cas échéant
L'ascète, sur l'enclume, aplati comme un nem
Pour la tête d'un gnome aux lauriers de géant. »
« Celui-ci vocifère au cœur des involucres
Où je suis le sommeil des serpents sans courroux.
Comme un froid de canard pour une canne à sucre,
Une éclipse de Lune au crépuscule roux. »
« Je suis la muselière, au fond des bois de France,
Des grands rugissements, autour de Medrano,
Du tigre de papier et des félins en transe
Qui trembleraient devant une souris d'agneau. »
« Alors je suis tombée, sans nulle autre logique,
Comme tombe du bec l'érable québécois,
De la poigne du bras aussi mou qu'une chique
Dans le fossé couvert d'une brume des bois. »
« L'un me glace les sangs Puy de Dôme en Vésuve
L'autre, bouilleur de cru, réveille sapristi !
Et le Dormeur du val et des grisés effluves
Du feu de l'alambic, son lacryma christi. »
« Fou le jet de putois, de mouffette, de sconse,
Fou le côtes-du-rhône ivre de sauvignon.
De l'écharde du gnome à la plus haute ronce
Je suis le coude en sang sur le pont d'Avignon. »
« Regardez comme l'herbe a la couleur des mûres,
Sur les murs le liant de Fra Angelico
Aux nuits mortes de mai de ronces claquemure
Une petite fille au pied coquelicot. »
« Ah ! Sirène hurlante, entends dans la nuit blanche
Mes propres geignements dans son sang qui jaillit.
Ah ! Si j'avais été quatre vulgaires planches,
Une caisse à savon dans un autre rallye… »
« Écoutez le big-bang s'élancer de la combe
Comme un tissu de chair qui brûle le sol quand
De l'ultime sursaut, le premier jour succombe
Dans une baignoire où se lavent les volcans. »
« Mais qui vient affoler la clochette de onze dre-
– lin, drelin ! Mais qui est-ce ? Au douzième, anodin,
Le silence en sommeil dans le ventre des monstres
N'est encore dans l'œuf qu'un tout petit gredin. »
« Un seul coup de soleil a fait fondre les gonds de
La porte de la Cène où le Graal devant vous
Tout feu, tout flamme, toutes les quatre secondes,
Fait trembler les cœurs dans un hôtel de bambou. »
« Dans les vapeurs de soufre, un berceau d'eau stagnante
Se désamarre du port des noirs sédiments.
Lande du lendemain, la Terre se fragmente
Comme un fouet sans lanière attend le châtiment. »
« L'océan m'enveloppe. Alors poitrine lasse
Allaite mon cœur comme une vache son veau.
Et je tète au-delà des montagnes de glace,
Sous la panse des mers, l'ère du renouveau. »
« Je serais comme un homme aux griffes animales,
Dedans ma propre chair je suis tout à la fois
Sans aucune pitié, sans femelle ni mâle,
Le lendemain fécond qui me dicte sa loi. »
« L'être qui décortique un Vercors sans squelette…
Les mots roses, alors, du même pisse-froid
Délogent de l'hiver les petites crevettes
D'une éternité longue à recoudre le froid. »
«Expulsés d'un os creux, des rouges, sapristoche !
Souligneraient-ils aux règles de l'Unesco
L'art ? Alors dare-dare au creux des mêmes poches
D'intrépides enfants, je dessine Lascaux. »
« Dressée au fond de l'oeil, la grande pyramide
Du pharaon Kheops est épée d'espadon,
Le siècle à venir pour le borgne mon ami de
Toujours, un pauvre bougre au temps d'Akhenaton. »
« Drapé d'or et de feu, les rates sont mercières !
Au mat de quel drapeau se hisse mon pays ?
De chemin de traverse en flûte traversière
Je suis le cheminant qui meurt à Pompéi. »
« Elles ouvrent en moi l'appétit des pastèques.
Je les dévore, alors après quelques quartiers,
Allant nourrir la faim du pauvre empire Aztèque
J'entends le Labrador grogner Jacques Cartier. »
« De la Terre à la lune, espace fatidique,
Somme sans aucune autre improbabilité
D'une ombre expulsée par le jet de Moby Dick…
Je m'échoue dans la mer de la Tranquillité. »
« Je traverse mon cœur comme un pied dans le sable,
L'œil, fixe du cyclope, à mon front, regardant
La fournaise du jour, aux nuits indispensables,
Cuire dans ma sueur des souvenirs ardents. »
« Feuille de Sopalin, pourquoi tourner la page
D'hier puisque les autres me tournent le dos.
Des étoiles j'ai vu le plus aride alpage,
D'aujourd'hui une immense étendue pleine d'eau. »
« Je déserte la mer, de l'océan mon âtre,
Sur le sable chaud d'une aire démesurée
Broute le firmament des souvenirs jaunâtres
De la tempête vague aux moutons azurés. »
« L'Attila revenant de l'an quatre-cent-quatre
Sur des pointes de fer pour que tout métallier
Dans la terre d'un soir clôture le barathre
Des allées et venues d'un centre hospitalier. »
« Le faiseur de poux, de lentes, d'un pied-bot corne
Des touffes de cheveux pour atteindre ces buts,
Cette cage d'os où des balles de pop-corn
Éclatent dans mon crâne aux pieds de Belzébuth. »
« Combien de mains coupées, parmi les immondices,
De leur sang, ont signé avec mon contreseing,
De torchons de douleur en autant d'appendices
Que vomit le manchot auprès du médecin. »
« Et l'optimisme d'une œuvre de Georges Linze,
Dans le livre fermé de leurs petits bobos,
Égocentrique et lâche, à vingt-deux heures quinze,
Se donne au marteau comme une noix de coco. »
« Je vois revenir l'ombre et l'ombre de nos ombres
Sur un cheval de Troie, de Lutèce à Paris,
Une corne d'Afrique, encorner la nuit sombre
Comme un souvenir noir piste le panaris. »
« Le bruissement de sa chute s'interrompt
pour peler le « Grand Nord »
dans le trou normand
d'une femme viking au bois dormant
qui mange sa pomme et s'endort.
LUI,
c'est un saut à l'élastique dans les gorges du Diable,
dans les gorges du Vercors, le saut de l'Ange.
Une mare de sang,
peau de panse
pour des moustiques souls de délires…
Peut-être même à en mourir. »
« IL tombe comme une fin d'après-midi sur la Terre
en arc-boutant aux extrémités des pôles
un arc-en-ciel sans couleur.
IL se réfugie dans la dernière goutte de pluie.
De l'œil qui pleure IL sort avec une larme.
Dans le mouchoir IL entre dans la poche. »
« Des crocodiles croquent des cornichons
et les groins des têtes d'hommes
dans l'enclos des cochons.
On a découvert un cadavre dans le port
et le porc
sur un cadavre. »
« Son visage de cire, aux vies sages, ouvre au sourire
la grille du cimetière des spasmes de l'éléphant.
Aussi froid que l'armure dans le lit
de la rivière souterraine
et possesseur inévitable
des lieux humides où pourtant jamais
personne ne pleure, IL opère
au scalpel de l'indifférence
l'intérieur des chairs de la citrouille. »
« pour toi petite comme une balle vient à ton pied
regarde-le, prends-le petite, rappelle-toi
quand vous tombiez du berceau de la vie.
Toi, le genou au-dessus de l'écorchure.
LUI,
la genouillère de mousse et de colombes blanches
qui suivaient avec la truffe du saint-bernard
les traces de tes sandales d'enfant. »
« Qu'IL entende les aurores boréales s'entrechoquer.
IL sait que leurs échos répondent au timbre de ta voix. »
« Je me souviens d'un vendredi de novembre.
Je me souviens qu'il faisait bon, d'une petite fille
et d'un poids lourd noir et orange…
Je me souviens comme il faisait beau.
L'enfant a fait un soleil avec la roue arrière
de la remorque. L'enfant a déshabillé le lendemain
sous le soleil de ses chairs mortes.
Je mets des fleurs rouges à ma mémoire.
Dans mes souvenirs de l'oxyde de fer.
Roule dans ton fauteuil provisoire,
emmène-moi dans l'allée du cimetière. »
« Les pensées en fleurs sont restées intactes, indemnes,
toutes entières. J'en respire l'ammoniac du souvenir
et ma tête tourne, étale les ocelles de la roue du paon.
L'éclatement d'un pan de fusil.
Le pan d'une roue de poids lourd. »
« Et un petit prince de plus fait la courte échelle
au dix-septième jour du printemps.
Avec lui, je m'allonge au pied d'une autre petite fille : toi.
Je m'allonge auprès de ton orteil ensanglanté,
non comme un renard apprivoisé mais comme
la fourrure d'un animal dépecé. »
« Oh je sais, ta vie à toi n'est pas comparable à la sienne.
Elle est morte et toi tu vivras pleinement heureuse.
Je sais que, dans le dernier carton de l'enfance,
tu rangeras ton dernier jouet…
pour apprendre d'autres jeux.
Le jeu des chagrins aux structures métalliques
désolidarisées mais aussi l'agencement sans jeu
des amours pleines.
Je sais aussi que l'enfant qui naîtra de cette architecture
aura l'insouciance de ton sourire. »
« Elle ?
Elle joue avec les hivers.
Des hivers qui font pleurer les oliviers. »
« Elle est morte. Tu es vivante…
Et pourtant toutes les deux je vous vois
unies dans la même détresse…
De la même marelle…
Dans le dernier carré.
Toutes les deux pareilles…
Au ciel de l'uniformité. »
« Pourquoi suis-je sans me taire
un cri que l'on n'entend pas.
Pourquoi débordant d'amour
personne ne vit auprès de moi. »
« Oh moi qui suis encore augure
Suis-je tache sur l'essuie-mains ?
Le nez tombé de la figure
Ne me rend guère plus humain. »
« Ma conscience demande dans le confessionnal
où toutes les certitudes sont interloquées,
ma conscience demande à l'inconscience interloquée :
« Me traites-tu de peigne-cul ? »
demande-t-elle tout bas.
Au chuchotement, le murmure répond :
« Pour le faire, faut-il que vous en ayez un !
Espèce de cul sans fesses ! »
rétorque alors
et dont on ne sait d'où, le pet de la sagesse. »
« Je suis le parloir plein d'amour
du furoncle aux paroles pleines
de vieux démons qui s'énamourent
d'un demi-dieu souillé de haine. »
« Aux échos des grands-ducs et des princes d'Andorre.
Elles ont su crier aux oreilles de vous. Ne
Pouvant plus de voir, de la boîte de Pandore,
Sortir des nez de rois sur la face des clowns. »
« LUI, IL
de vidange
se déverse sur la chaussée.
Épongeons-la avec ces simples mots :
« J'aime le monde entier…
mais seulement avec l'amour des êtres aimés. »
« Alors puisque je viens à la gueule modèle
Boire le vitriol fumant des estropiés,
L'humeur vitrée de l'œil de bactéries mortelles
Crève ma raison d'une épine dans le pied. »
« cette épine dans le pied,
c'est une trace d'eux dans l'omelette des souvenirs. »
« Suprême, assis sur le coussin froid d'un trône
pour un cul que personne ne conteste,
je suis riche de moi : un compte de 152 euros.
L'or des riz, fiers, se colle à la gloire,
les loups y
sentent la poussière.
Ici tout s'achète,
alors on achète
Tout ce qui se vend.
Là-bas tout se jette.
À Dieu, j'ai acheté mon âme.
Au premier diablotin venu,
je vendrai la licence de mes droits.
Sortez, mes livres ! La brise ce matin est légère.
Qui sait ! Peut-être demain, le futur vous feuillettera.
Allez, mes livres (453,592 grammes chacun)
où le poids de l'amour vous emmènera.
La bastide Locati :
Achevé le 22 juillet 2016. »