L'oeil de la nuit

Il est temps de laisser le jour s'en aller et le soleil s'évader, crevé comme un vulgaire ballon. Laissons place aux cauchemardesques monstres de la nuit. Il est une heure sous les étoiles où les fantômes sortent de sous les lits pour pouvoir s'envoler vers la nuit. Les grondements des coeurs mettent un terme aux féeries du jour. Lentement la Lune grimpe vers son apogée et entend les rêves de tous, à la manière de l'oeil du ciel que l'on ne peut éviter, même cachés sous les toits.
Elle observe les images et les sons et les sensations et les mots. Du haut de son palace argentée, elle attend. Seule et silencieuse, elle est le témoin unique de nos tourments. De son regard brillant, elle devient mère des interdits et des premières amours. Toujours sans bruit, elle jalouse les amoureux transis et chuchote des mots fiévreux à leurs esprits ensommeillés. 
La Lune est violente, froide. Elle brise de fatigue ceux qui s'entêtent à la refuser telle qu'elle est. Sa lumière fait trembler de mélancolie les poètes, qui lui écrivent des odes embrumés. Sûrement a-t-elle rendu fous ceux qu'elle a hypnotisés.

Dangereuse et glacée, la Lune nous surveille tous. 
Mais derrière ses pupilles insensibles, combien verrons l'âme brisée qui s'échappe ?