L.O.F.T

bartleby

1.

- « … Je voulais juste que tu prennes un peu l'air… Tu verras, ce sont des gens un peu bizarres, mais attachants. Et puis, ça te fera rencontrer de nouvelles têtes, toi qui es si seule !

- Tu crois… ? ». Je reboutonnai mon gilet de laine, il faisait plutôt frais pour un début de mois de septembre. Béa, elle, ne semblait pas craindre la température. Elle marchait vite et j'avais du mal à la suivre, elle en baskets et moi, trop optimiste, qui avais gardé mes escarpins d'été. Nous nous éloignions des rues commerçantes du centre ville. A vrai dire, je ne savais pas trop où nous allions, mais je lui faisais confiance. J'ai toujours fait confiance à Béa. Si elle me conseillait de sortir pour « prendre l'air », c'est que forcément je devais sentir le renfermé, si elle voulait me présenter à de « nouvelles têtes », c'est que je devais en avoir vraiment besoin. Mon humeur, depuis toujours, se lit sur ma mine. Oui, elle était épouvantable, d'ailleurs Béa me l'avait dit, en me plantant devant la grande psyché de ma chambre.

- « Ça ne va pas du tout, pas du tout, ma Karine ! Là, il faut faire quelque chose ! On dirait un vieux chiffon de vaisselle !» avait-elle dit sans aucune précaution.

Béa a toujours été ainsi : brute, directe. Elle ne fait aucune concession, vit sa vie comme bon lui semble. J'admets que j'étais en piètre état, depuis que Maxime m'avait quittée. Max, c'était un amour de trois ans. Une relation partie subitement en fumée du jour au lendemain à cause d'une jeunette, étudiante en médecine, qu'apparemment il avait eu à cœur de bien « former ». De mauvaises langues avaient même prétendu qu'ils s'étaient un jour retrouvés pour faire leur affaire dans une salle d'autopsie. C'est sûr, les morts gardent bien le secret des adultères !

Bah, quelque part, je comprenais cette aventure. A 40 ans bien tassés, on dit que ces messieurs deviennent chatouilleux et qu'il suffit de peu. Très, trop peu. La routine s'était sans doute installée et je n'avais rien vu. Cependant, il avait fini par partir et je n'y croyais pas, pour cette… Béa avait précisé « grosse poufiasse ». Moi, ce n'était pas mon style de parler de la sorte, alors souvent, je la laissais dire ces choses. Elle râlait, j'acquiesçais. Ça avait toujours fonctionné comme cela entre nous. Elle réagit toujours sous l'effet des impulsions. Moi, je suis bien plus sage. Quoi ? Chiante ? Ennuyeuse à crever ? Peut-être un peu, oui. Malgré tout, je reste une personne sensible, limite émotive. Je ne sais cacher mes sentiments. Et je crois être honnête et sincère.

Le soir approchait les 18h, elle savait apparemment où elle se dirigeait. Combien de fois avait-elle pris ce chemin ? Elle m'avait supplié de quitter mon travail plus tôt, pour une fois. Mon travail c'est d'être l'adjointe d'une RH qui me laisse faire son sale boulot. Tout ce qui ne demande pas de gratification, de quelle que manière que ce soit, auprès de la hiérarchie. Je fais partie du personnel administratif de la Police, au commissariat de mon quartier.

J'étais heureuse de quitter la froideur de mon bureau, pour une fois, et avait remercié Béa en lui offrant une énorme part de Forêt Noire au salon de thé, au coin de la rue, juste à côté du poste. L'addition payée, par moi évidemment, je l'avais suivie, un peu hésitante, tout de même. Je ne savais pas trop où j'allais mettre les pieds. Mais c'est vrai que la solitude me gagnait de plus en plus et qu'une petite sortie ne me ferait pas de mal. Alors je n'avais pas à faire la difficile. Et puis… Je verrais bien.

La marche me sembla longue, jusqu'au moment où nous nous retrouvâmes dans un décor, que je qualifierais de « bucolique ». Il y avait face à nous un magnifique jardin. Où pouvions-nous donc être, alors qu'il ne me semblait tout de même pas être sorties aussi loin à l'extérieur de la ville ? Le terrain était immense. Il y avait des parterres de roses rouges, et d'iris d'un bleu qui se distinguaient même dans l'obscurité naissante. Ici, un buddleia en attente du prochain printemps, là, trois peupliers, des arbres touffus, mais surtout, que c'était étrange, un sublime magnolia. En cette saison ?! Et il avait des fleurs, qui ne semblaient en rien fragiles. Au contraire. Elles avaient l'air robuste. Un peu plus loin, cela sentait la lavande, dans un carré destiné aux plantes aromatiques. Tout était admirablement bien tenu. Du bois, on aurait pu s'attendre à voir passer une biche, genre image d'Épinal. Cela respirait la douceur de vivre et j'imaginais que les propriétaires des lieux devaient être dans l'apaisement le plus total, lorsqu'ils s'éveillaient le matin en ouvrant leurs fenêtres. Béa saisit mon gilet par la manche.

- « C'est un tout petit peu plus loin, plus en bas, viens ! ». Je n'avais même pas fait attention qu'aucun pavillon ne donnait sur cette nature si belle. A présent, le chemin devenait escarpé. Je manquai de me tordre le pied en butant contre une racine d'arbre. Cela descendait raide, en fait, et je dus me retenir à l'épaule de Béa pour éviter de glisser. Du coup, elle tomba les fesses au sol et se retrouva pleine de terre.

- « Je ne t'avais pas prévenue, mais les derniers mètres sont difficiles. Que la terre soit de boue ou sèche. C'est pareil. Je n'aime pas prendre le chemin dans l'autre sens ! C'est encore plus difficile lorsqu'on remonte… ». Elle fit sa moue « à la Béa ». Unique en son genre. Je m'excusai de m'être raccrochée à elle et provoqué ainsi notre chute. J'eus droit à un sourire en guise d'acceptation.

- « Voilà. C'est là, regarde ! »

Changement radical. De la nature, on passait à un genre de… loft. Très design, de plain-pied, au style épuré. Blanc-crème avec un toit noir drôlement incliné. Je fus quelque peu décontenancée par la froideur apparente de ces lieux. Non loin de l'entrée, il y avait une imposante piscine, dont on entendait la pression des tuyaux, dans les profondeurs de l'eau chlorée. Cela me fit un instant penser au grand appart' de l'émission Loft Story. Je souris, moqueuse. Ne manquaient que Loana et les caméras. Je me sentais incroyablement mal à l'aise et je n'aurais su dire pourquoi. Peut-être qu'après le passage dans ce beau jardin, on ressentait en contraste la superficialité d'un tel bâtiment ? Cela me sembla plutôt luxueux, en tout cas, très spacieux. Il devait y avoir du monde ici. On comprenait bien qu'il devait y avoir de la place pour faire la fête.

En nous approchant, Béa et moi entendîmes quelques voix qui émanaient d'une fenêtre ouverte.

C'est alors que de l'intérieur, un type y passa sa tête, en s'agrippant à l'encadrure de la fenêtre. On aurait cru un chien de garde qui s'apprêterait à mordre si l'on faisait un pas de plus.

« Encore toi ? Pourtant je t'avais dit de ne pas revenir ici, vu le bordel que tu as foutu la dernière fois ! ».

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