L.O.F.T

bartleby

8. Silas

- "Il ne suffit pas d'être balafré et de porter une veste noire pour être un homme détestable, Karine".

Je tressaillis de nouveau. Silas venait de passer la porte du salon, sans un bruit. Milan, dont les yeux bleus m'avaient envoûté il y avait encore quelques secondes, serra sévèrement les dents et retourna à son écritoire.

- "Qui a tiré à ton avis tout à l'heure ?".

Ma gorge se noua, mes larmes ne demandaient qu'à couler. J'étais assise. Lui, debout devant moi, me fixait de son air ténébreux. Au niveau de son arcade sourcilière droite, une cicatrice déformait sa paupière. Vêtu de noir rendant son teint pâle, il était de corpulence mince. Son sourire qu'il m'adressa semblait sec et figé.

- "Que crois-tu qu'il lit, de son air d'intellectuel inspiré ? Allez... Va...". Son mouvement de main traduisait "Allez, ouste !".

Je me levai, toute à son ordre, pour retrouver Milan. Je regardai par dessus son épaule. On eût dit qu'il ne m'entendait pas.

- "Alors ? Baudelaire ? Jane Austen ? Gotlib ?"

Il rit, d'un rire sans joie. Je tournai ma tête brusquement vers lui, les yeux ronds, tristes, plein de questions.

- "Alors ?

- Il... Il...

- Les pages sont blanches, c'est ça ? Bah ouais, il fait flipper d'un seul coup le beau gosse, mmh ? Qui penserait que sous des voiles romantiques, se cache un fou ? Meurtrier de surcroît ! Karine... Eh ! Pleure pas ! Ttt ! Tttt ! Allez, c'est moche une fille qui fait couler son Rimmel !".

Je fondis de chagrin, comme une enfant. Il s'assit, saisit mon cou et posa ma tête sur ses genoux. Je m'allongeai. Il prit appui de l'avant-bras sur ma hanche. Se baissant vers mon oreille, il chuchota:

- "Nous sommes tous fous ici. Chacun à notre manière. Et je suis sûr que tu te demandes ce que tu fais là. J'ai pas raison ?".

Je restai muette. Il assurait les questions et les réponses. Je ne savais plus où j'en étais, j'étais perdue. Mes cheveux sur son pantalon noir, j'avais juste envie de dormir, oublier, me dire que je me réveillerais bientôt dans le lit de mon T3 en centre-ville, 5eme étage. Je tournai mon regard vers lui, le plongeant dans le sien.

- "Faites-moi sortir... Vous, vous pouvez le faire...".

Il se mit à rire sans ouvrir la bouche. On entendait juste un petit souffle saccadé, sortir de ses narines.

- "Je sors, oui, peut-être, mais je rentre toujours. Si quelqu'un est attaché à ce loft, c'est bien moi. C'est moi qui en ai tracé les plans, qui le fait tourner. Mon frère prend les grandes décisions, c'est tout. Mais c'est chez moi ici. C'est moi qui ai fondé tout ça !".

Il caressa ma joue comme on pelote un chat angora. Je fermai les yeux, désespérée. Puis je repris ma respiration dans un long soupir. Je repris ma position assise. Il ne quitta pas sa place. Il tendit ses jambes et posa les pieds sur la table basse. Je l'imitai. Il croisa les bras, je fis pareil. Il se tourna vers moi, je le regardai de la même manière.

- "Nan nan nan nan Karine. T'amuses pas à ça...".

Il renifla, troussa son nez fin. Reprit.

- "Rien ne te fera sortir d'ici.

- Mais je n'ai pas de don, moi ! Pas de fonction ! Je n'ai rien à vous donner. Et surtout... Je ne suis pas folle ! Pourquoi me garder ?

- Ça, ça fait partie des grandes décisions. À vrai dire, je ne sais pas pourquoi on t'a laissée entrer. Fayçal ne se trompe jamais. Tu dois bien servir à quelque chose.. ".

Servir à quelque chose... Il m'avait traitée comme un chien, puis comme un chat. On en était aux objets, maintenant.

Ici, il était de loin celui qui m'écœurait le plus. "Dégrader" semblait être une raison de vivre chez lui, mettre les gens plus bas que terre, ce qu'il affectionnait le plus. Il était méprisable, ce qui était peut-être pire que d'être fou.

- "Allez ! Sers-moi un truc !"

Du canapé il désigna le bar, de sa main. Il fallait en plus jouer à sa bonne. Salopard ! J'avais envie de l'égorger, mais j'étais obligée d'obéir.

- "Du feu" 

Ajouta t-il en sortant un paquet de cigarettes de sa poche. Le briquet, laissé là par Gulliver, était posé sur la table. J'avais envie de lui brûler sa face de rat.

Je ravalai alors en un instant, mes souvenirs de rapports sexuels au cours desquels l'envie d'être soumise, m'excitait davantage.

Silas me dégoûtait, mais je gardai à l'esprit que lui seul pouvait peut-être me faire sortir d'ici.

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