Loin des yeux

hannibai

Teaser pour les débuts des Chroniques de Madene


     Les forêts de royaume Felt étaient réputées pour leurs arbres centenaires, et pour la facilité avec laquelle un voyageur insouciant pouvait s'y perdre. Pourtant, l'approvisionnement en bois était nécessaire, notamment pour les grandes villes côtières éloignées de toute forme de végétation. Ainsi, quelques années après la construction de ces villes, des groupes d'hommes et de femmes migrèrent en direction des forêts de l'Est. La plus connue aujourd'hui est la forêt de Westrauck, à quelques kilomètres au sud des pics de Greenhorn. Ces hommes et femmes, des bûcherons pou la plupart, avaient été choisis spécialement pour leurs dons d'orientation ou de morphisme, capables de se transformer en divers animaux. Les faucons étaient utilisés pour la reconnaissance et la chasse, tandis que les Sang-de-fer servaient à la restauration des outils et des bâtiments.*           Les premiers campements furent installés à la lisière, puis, par curiosité, les bûcherons décidèrent de s'aventurer de plus en plus profondément parmi les arbres, ignorant les dangers qui rôdaient dans ces contrées inexplorées. Peu à peu, ils finirent par oublier la raison de leur présence ici, abandonnant leurs haches et leurs scies pour devenir plus proches de la Nature. Après quelques années, ils avaient cartographié la quasi-totalité de la forêt, rebroussant chemin à chaque fois qu'ils trouvaient une sortie à leur paradis végétal. Les arbres et les fleurs finirent par corrompre leurs esprit, pour les faire muter imperceptiblement, afin de les faire migrer toujours plus au Nord, là où les arbres les plus anciens continuaient de croître, sans se soucier des humains qui se rapprochaient peu à peu.
     Ce fut par une nuit de plein lune que Maïwen, la fille d'un des premiers explorateurs, découvrit Menhast. La clairière semblait venir d'un conte de fée, teintée de couleurs féériques, illuminée par un milliers d'insecte scintillants. Au centre de la trouée végétale, un petit lac brillait, éclairé par la lune, et en son centre un arbre colossal semblait étirer ses branches à l'infini pour s'approcher du ciel étoilé. Hypnotisés par ce spectacle, la jeune femme se dirigea avec une vingtaine d'autres vers le titan végétal. Au pied de l'arbre, une ouverture semblait appeler les humains à entrer, entourée de minuscules orifices d'où suintait une sève à l'odeur fruitée. Lorsqu'ils plongèrent dans l'eau du lac, mélangée depuis des années aux sèves d'un millier d'arbre, une morsure glaciale se fit ressentir. Leur peau se fit plus sombre, pour se fondre dans la nuit, leur odorat se développa de façon considérable, au détriment de leur vue. Quand ils purent poser le pied sur l'île,  tous étaient devenu plus sauvages, plus proches de la Nature que n'importe qui avant eux. Ils finirent par s'installer dans cette clairière inconnue des humains, colonisant les veines de l'arbre immense pour en faire leurs nouvelle demeure. Les années passèrent, pendant lesquelles leur esprit acheva de se faire corrompre par les plantes, et leur existence fut oubliée par le reste du monde.          La première génération fut un échec. Dès la première année, la saison végétale de la procréation se fit ressentir par ceux qui s'appelaient désormais Verdans, les obligeant à se reproduire pour perpétuer leur race. Peu d'enfants survécurent, fruits anormaux d'une espèce nouvelle. Pourtant, les survivants se révélèrent plus forts que leurs parents, plus rapides, et surtout, dotés de nouveaux pouvoirs. Leur vision avait été complètement altérée, ils ne percevaient plus les formes et les reliefs, mais ils étaient désormais capables de voir le flux vital des plantes et de leurs congénères, générant une symbiose qui les rendait plus forts à chaque nouvelle plante qui naissait. Mieux encore, ils étaient capable d'exploiter ce flux, pour se transporter directement d'un arbre à un autre. Pourtant, ce pouvoir eut un prix. Loin, au sud, les humains continuaient de s'attaquer à la forêt, abattant des centaines d'arbres chaque jour, ouvrant la voie vers Menhast. Quand les Verdans commencèrent a sentir la détresse de leurs frères, leur mutation étaient quasiment achevée: leur paeu étaient désormais sombre comme la nuit, parsemée de plaques de lichen aussi solide que l'écorce d'un chêne. Leurs yeux n'avaient plus rien d'humain, brûlant d'une flamme verte qui semblait vous dévorer du regard, cette même flamme qui leur permettait de suivre le cours de la Vie végétale.
     Alors, les arbres changèrent, leurs fruits devinrent empoisonnés pour quiconque n'aurait pas embrassé le mode de vie des Verdans. Pour les étrangers, l'air se fit plus lourd, presque irrespirable, vicié par des toxines secrétées par les feuilles et les fleurs de la forêt. Plus encore que les Verdans, c'était la forêt toute entière qui mutaient pour lutter contre l'envahisseur. Bientôt, les humains durent rebrousser chemin, et les Verdans étendirent leur influence à toute la forêt. Quelques années plus tard, ils étaient près d'un milliers d'individus, vivant en harmonie avec la nature. Leur mutation s'était achevée en leur fournissant des racines, qu'ils plantaient dans la terre en hiver, absorbant les nutriments du sous-sol, en attendant le retour du printemps et des premières floraisons.
     Mais les beaux jours ne revinrent pas seuls. Persuadés que cette forêt était malade, les dirigeantsFfelts de l'époque envoyèrent une expédition dans un but simple: trouver la source de cette maladie, et, s'ils n'y parvenaient pas, brûler la forêt, pour éviter que ce mal ne se répande. L'expédition arrive sur place au milieu de l'été, et tous furent surpris de remarquer que les arbres semblaient parfaitement sains. Les derniers camps de bûcherons leur affirmèrent qu'un mal rongeait ce bois, et que plusieurs de leurs camarades avaient disparu en tentant de l'explorer, mais tous les scientifiques présents parvinrent à la même conclusion : jamais ils n'avaient vu des arbres en aussi bonne santé. Remontant vers le nord, ils purent découvrir de nouvelles espèces jusque là inconnues, aussi bien animales que végétales, et s'empressèrent de tout noter dans un carnet, pour tenir l'académie à jour de leurs trouvailles. La situation se compliqua quand l'un des stagiaires voulut prélever un échantillon: au contact de l'acier d'un simple ciseau sur une de ses branches, un arbre se mit à sécréter imperceptiblement des phéromones, qui précipitèrent le triste sort de toute l'expédition. Ainsi alertés, toutes les formes de vie avoisinante devinrent incroyablement agressives. Au début, ce ne furent que quelques insectes qui passèrent à l'attaque, piquant et mordant les hommes à leur portée. Puis les rongeurs prirent le relais, tandis que les toxines recommençaient à être dispensées par la flore. Quand il se rendirent compte de la nature de l'agression, il était trop tard: déjà le camp était infesté de serpents, d'araignées et de guêpes. Le chef de la troupe, un érudit du nom de Tabor Evelin, intima au reste de l'équipe de fuir vers le sud, en abandonnant le matériel sur place. Quelques secondes plus tard, un hurlement se fit entendre, provenant de l'ouest, et tous les hommes se figèrent, inquiets de savoir quel animal avait décidé de s'en prendre à eux. Malgré les piqures et les morsures, aucun n'eut la moindre réaction quand une meute de loup s'avança dans la petite clairière, babines retroussées, grognant en montrant leurs crocs suintant de bave. Un des hommes tenta de se saisir d'une hache à proximité, et les loups passèrent immédiatement à l'attaque, sautant à la gorge du malheureux. Dans sa chute, il emporta une lampe à huile, dont le contenu se déversa sur le sol avant de s'embraser, illuminant les arbres alentours. En temps normal, le feu et la panique auraient suffi à chasser les loups et autres animaux, mais la puissance des phéromones étaient irrésistible. 
     Bientôt, le silence retomba sur le camps, tandis que les flammes achevaient de brûler les cadavres des malheureux. Le feu se propagea rapidement, attisé par le vent et le bois séché par un soleil ardent, remontant inexorablement vers Menhast. Dans la clairière, tous les Verdans étaient à l'agonie, tordus par la douleur de leurs frères qui se calcinaient sans espoir de survie. Au milieu de ce chaos, un seul se tenait debout, le seul fruit de l'arbre colossal, né de l'union de la sève et des cadavres des anciens Verdans. L'enfant n'était pas grand, il ne devait pas avoir plus de six ou sept ans, pourtant son regard semblait déjà centenaire. Comprenant qu'il ne pourrait pas lutter contre l'incendie, il planta ses racines au cœur de l'arbre-mère, absorbant la force de tout un peuple, tandis que ses deniers congénères mourraient peu à peu. Sa peau changea encore, premier né et seul représentant d'une race nouvelle, que l'on connaitrait plus tard sous le nom d'elfes. Quand il sentit les flammes approcher le la clairière, il voulut utiliser les pouvoirs ancestraux pour voyager vers la lisière Nord de la forêt, en vain. Submergé par son nouveau pouvoir, il pensait ne pas être en mesure de s'en servir, se voyant déjà condamné à périr au pied de son géniteur. De rage, il fixa le mont Greenhorn, qui s'élevait loin au nord, et sa cime immaculée, que même le chaud soleil d'été ne parvenait pas à faire fondre. Hurlant sa rage et son désespoir à ce titan de roche, ivre de colère face au décès de tout son peuple, le garçon se mit a pleurer, tombant à genoux dans le ruisseau qui entourait l'arbre. Levant une dernière fois son regard vers le ciel, il ferma les yeux, enfouit ses racines, et attendit que la mort vienne le prendre. Il s'endormit paisiblement, puis les flammes arrivèrent.
     Quand il se réveilla, il ne vit rien. Partout où il posa son regard végétal, il ne vit rien, aucun frère, aucune vie, le néant. Puis, il sentit le froid, qui mordait ses jambes et ses mains, et la caresse du soleil qui réchauffait son écorce. Plendant plusieurs mois, il avait pleuré sans arrêt, exsudant la tristesse et la douleur qui rongeaient son âme, si bien que la flamme qui animait les Verdans avait presque disparu de ses yeux. Il mit plusieurs jours avant de se ré-adapter aux yeux de ses ancêtres humains, souffrant le martyr à chaque regard vers l'astre incandescent. Quand enfin, il put distinguer es alentours, il ne vit que la blancheur immaculé de la neige qui l'entourait, et la masse sombre qui fut un jour son foyer. Toute la forêt avait été brûlée, et en son centre, il ne restait que le tronc calciné de son père. Pourtant, il ne sentit ni tristesse, ni colère, car toute les larmes de son corps avaient déjà coulé sur les flancs de cette montagne, et toute sa rage s'était perdue dans ses cris sans réponse. Tout autour de lui s'étalait l'immensité du territoire Felt, aussi loin que portait son regard, il ne vit aucun signe de vie, jusqu'à ce qu'une colonne de fumée attire son attention. Loin à l'Ouest, un petit village se réveillait, baigné par la lumière rasante. Plissant des yeux pour tenter de distinguer les habitants, le garçon sentit une force irrésistible le pousser vers l'avant, et avant qu'il n'ait pu reprendre son souffle, il était devant la porte principale du village.

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