L'oiseau Blanc
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- Alors ? Est-ce que tu as bien retenu ta leçon ? Lui demanda son père le lendemain matin au petit déjeuner.
Colombe hocha silencieusement la tête, piteuse, ses petites mains agrippant fermement son jupon.
- Je n'ai pas entendu.
- Je ne dois pas me balader la nuit pour lire au lieu de dormir...
- Et... ?
- Je ne dois pas mentir à mon papa...
- Tu me promets que tu ne le feras plus jamais ?
- Je te le promets.
- Parfait. Bon ! Et bien puisque tu t'es excusée, et si on le faisait ce pique-nique ?!
Le visage de Colombe s'éclaira d'un grand sourire, elle lâcha sa jupe et, sautant de joie :
- On va faire un pique-nique !?
- Oui, puisque nous n'avons pas pu le faire hier...
- Est-ce qu'on peut le faire dehors ?
- Mon canari, c'est le but d'un pique-nique. Je vais demander aux cuisiniers de nous préparer des paniers repas et nous nous installerons dans le jardin avec une belle nappe et-
- Non mais je voulais dire à l'extérieur du manoir ! J'ai entendu certains domestiques dire qu'on avait ouvert un magnifique parc fleuri non loin du manoir, je veux y aller !
- Mais notre jardin est très beau aussi, tu n'aimes pas l'arrangement du jardinier ?
- Si mais... Je le vois tous les jours alors... J'aimerais bien un peu de changement...
- Et bien dans ce cas je demanderai au jardinier de changer les parterres.
- C'est que... En fait... J'ai très envie de sortir !
Un sourire calme se forma sur le visage de Monsieur Chatterton. Il se baissa à son niveau et la souleva dans les airs pour l'asseoir sur ses genoux.
- Voyons, mon poussin... Reprit-il en caressant sa tête. Je te l'ai déjà dit...
- C'est dangereux dehors, oui je sais, mais j'ai vraiment vraiment vraiment très envie de voir ce parc, il paraît qu'il y a un étang avec des cygnes J'ai toujours voulu voir un cygne ! Et on peut même faire de la barque ! Allez... S'il te plaît...
- Colombe...
Elle joignit les mains et fit les plus beaux yeux de chien battu qu'elle n'avait jamais fait accompagnés d'une petite moue. Son père soupira.
- Bon, d'accord...
- Ouais !! Merci Papa !
Elle se jeta au cou de son père qui lui rendit son étreinte.
- Par contre, j'ai quelques petites choses à régler avant de partir, alors attends-moi dans le hall avec Marie.
- D'accord. Est-ce que je peux emmener Alba ?
- Ton perroquet ? Tu n'as pas peur qu'elle s'envole ?
Elle secoua la tête avec enthousiasme.
- Non, elle me suit presque partout, et on dirait que ma tête est devenue son perchoir favori.
- Bon, tu peux emmener Alba alors...
- Ouais ! Tu es le meilleur Papa !
- Je sais, je sais... Allez, va, mon petit rouge gorge, il faut que tu ailles te changer, ta tenue n'est pas très adaptée à une sortie au parc. Oh, et demande à Marie de venir me voir dans mon bureau, il faut que je lui transmette le programme de la journée.
- Oui Papa !
Sur ces mots, elle sauta de la chaise et, alors qu'elle s'apprêtait à quitter la pièce, son père s'exclama :
- Oh ! Tu n'oublies pas quelque chose ?
- Ah ! J'étais tellement contente que j'ai failli oublier ! Désolée !
Elle se précipita vers son père qui se pencha en avant, tendant sa joue sur laquelle elle claqua un baiser sonore.
- J'aime mieux ça, répondit-il d'un air satisfait. À tout de suite mon canard !
- À tout de suite !
***
À peine le chauffeur eut-il ouvert la porte arrière de la Ford Torpedo bleu marine que Colombe sauta à l'intérieur, trop excitée à l'idée de cette sortie en ville. Elle tâta les sièges en cuir avec admiration et se délecta de l'odeur si peu familière de cette boîte mobile, son regard curieux examinant tous les moindres détails qui se présentaient à elle. Son père entra à son tour et s'assit à ses côtés. Il laissa échapper un léger rire face à l'enthousiasme de la fillette. Ce fut ensuite au tour de Marie qui, après avoir aidé les domestiques à ranger les affaires à l'arrière de la voiture, s'était installée à l'avant, côté passager. Elle avait troqué son traditionnel habit de domestique contre une robe de ville simple mais élégante et un petit chapeau. C'était la première fois que Colombe la voyait comme ça, elle avait toujours pensé qu'elle ne possédait qu'une seule robe, comme tous les autres domestiques de la maison.
Le chauffeur démarra la voiture, et pour la toute première fois de sa vie, la petite fille traversa le portail du manoir.
Colombe passa toute la route collée à la fenêtre, les yeux rivés sur le paysage qui défilait de l'autre côté de la vitre, à tel point que son père dut la ramener à l'ordre à plusieurs reprises pour qu'elle s'assît correctement, et son excitation redoubla d'intensité lorsqu'elle aperçut le parc. Son père donna quelques instructions au chauffeur tandis que Marie aidait la fillette à descendre puis tous trois commencèrent à chercher un endroit où poser leurs affaires.
Ils décidèrent finalement de s'installer dans un coin non loin de l'étang. Marie déplia la nappe sur laquelle Colombe s'assit presque aussitôt, puis sortit la nourriture du panier en osier qu'elle avait pris avec elle, marquant le début de ce pique-nique.
Le temps était encore assez frais en ce début de printemps, mais rien ne pouvait gâcher le plaisir de la petite fille en cet instant, pas même le froid. Enfin presque...
À peine s'assirent-ils qu'une connaissance de son père engagea la conversation et les deux hommes s'éloignèrent pour ne pas être entendus. Colombe tandis qu'elle dégustait son repas, Alba sur son épaule grignotant les morceaux de fruits qu'elle lui donnait, sentit quelque chose heurter son dos. Elle se retourna mais ne vit qu'un groupe d'enfant qui jouait au ballon à quelques mètres d'elle, alors elle n'y prêta pas plus d'attention et reporta son attention sur son déjeuner, quand quelque chose la heurta de nouveau, à la tête cette fois-ci. Elle tourna une nouvelle fois la tête en la frottant pour faire passer la douleur. Il n'y avait toujours rien. Rien, si ce n'est deux petits cailloux derrière elle. Elle regarda les enfants derrière elle qui riaient et fronça les sourcils. La colère monta.
Elle se leva, sous le regard interrogateur de Marie, ramassa les deux petits cailloux et les lança de toutes ses forces sur l'un des garçons du groupe qui se les prit en plein visage. Il pleura.
- Hey ! Pourquoi t'as fait ça !? Demanda un de ses amis en colère.
- Vous aviez qu'à pas me lancer des cailloux !
- Mais qu'est-ce que tu racontes !? On t'a pas lancé de cailloux !
- Si !
- Non !
- Si !
- Arrête de mentir face de citron !
- Eh ! Je suis pas un citron !
- Ah oui ? Alors pourquoi tu es toute jaune ?
- Je suis pas jaune d'abord !
- Tu préfères tête de rat peut-être ? Tes yeux sont tout petits, c'est bizarre !
- Retire tout de suite ce que tu viens de dire ! Je suis ni un citron, ni un rat !
- Espèce de rat-citron !
- Ça existe pas d'abord !
- Bien sûr que si, la preuve tu es là.
Le reste du groupe rit du plus belle. Colombe sentit les larmes lui monter aux yeux en même temps que sa colère augmentait. Elle se jeta alors tout à coup sur le garçon qui venait de se moquer d'elle et commença à lui tirer les cheveux, accompagnée par Alba qui picorait sa tête. Ce dernier, qui était tombé sous le coup de la surprise, riposta en lui donnant des coups de pieds et des coups de poings, sous les regards interloqués des autres enfants. Alertée par cette agitation, la gouvernante les sépara.
- Mademoiselle ! Mais qu'est-ce qu'il vous prend ! S'exclama-t-elle.
- C'est eux qui ont commencé d'abord !
- C'est pas vrai ! C'est elle qui a commencé. Répliqua le garçon.
- Il m'a lancé des cailloux !
- C'est une grosse menteuse ! C'est elle qui m'en a lancé ! Puis elle m'a accusé et elle s'est jetée sur moi !
- T'avais qu'à pas me traiter de rat-citron !
- D'accord, d'accord, on se calme les enfants, j'ai compris. Mademoiselle, excusez-vous s'il vous plaît.
- Quoi ?! Mais pourquoi ! C'est lui qui a commencé !
- Menteuse !
- Mademoiselle... Gronda Marie.
- ... Je suis désolée de t'avoir lancé des cailloux et tirer les cheveux, murmura-t-elle en détournant le regard.
- Bien. Jeune homme...
- Quoi ?
- C'est à votre tour maintenant.
- Je suis désolé de t'avoir traité de face de citron, de tête de rat et de rat-citron.
- Parfait. Maintenant, serrez-vous la main.
Les deux enfants obtempérèrent sans plus de résistance. Marie se leva et prit la main de Colombe.
- Allons-y, Mademoiselle, votre père nous attend.