L’oiseau-hasard

Leo S. Ross

Il est beau, l'aléa, avec son vaste plumage de peut-être dont les reflets nous évitent l'éternelle advenue du prévisible. S'il est agnostique, trimbalant dans sa gibecière à possibles le pire et le meilleur, il est pourtant bien ce qui ouvre. On pourrait tout aussi bien l'appeler : l'éclectique. Sans lui notre avenir serait aussi mort, froid et figé que le passé. Et pourtant, le hasard est pris en grippe par notre ego rationnel. C'est que nous sommes modernes. Voire post. En apprenant à faire science, bucherons que nous sommes, nous avons cru que le hasard n'était que sciure. Un virus qu'il est toujours possible de contenir, à force de prophylaxie positiviste. Mais il est là, néant au cœur de tout, qui joue notre avenir. Tantôt il n'est que complexité que nos efforts sauront un jour rhabiller, tantôt il est chaotique, surgissant au creux d'étourdis systèmes dynamiques. Et peut-être est-il vraiment là, pur, nu, essentiel, intrinsèque, poignante réalité de nos modèles physiques les plus essentiels. Des quarks à notre histoire commune, soyons réalistes, à défaut d'être déterministes : l'incertain est et sera toujours le vortex qui fait valser notre avenir. Inutile d'y croire, il est. De l'univers à nos neurones, en milliers d'années ou en nanosecondes, peu importe sa mesure, et rendons-nous à son indifférence. La nécessité enfante l'incertitude, c'est ainsi. De l'atome qui oscille, tangue et hésite à se désintégrer, à l'insurrection sociale d'où naîtra la prochaine révolution ou à la rencontre de l'être aimé, le hasard est toujours là. Au cœur de la grande forêt de ce qui advient. Il y a quelque chose d'apaisant à s'en faire l'ami. Le plaisir de se glisser sous les plumes de cet inconnu révèle l'amour du monde. Il est notre meilleur tueur de vanité.

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