L'optimisme

Corinne Bouillet

illustration par Nio Lynes

Comme chaque matin, elle fut réveillée par le petit courant d'air frais émanant de la fissure du mur. Ses pieds, malgré mille précautions - emmaillotement, couverture coincée sous le matelas, chaussettes retenues par un gros élastique- persistaient à rester libres de toute couche chaude et la réveillait immanquablement lorsqu'ils avaient trop froids. Elle leur aurait bien dit « bien fait ! » si ce n'est pas elle qui subissait les conséquences de leur rébellion : nez rouge, yeux humides, gorge piquante.

S'étirant comme un chat et baillant bruyamment, elle eut un petit rire désabusé quand elle découvrit qu'un rideau de la fenêtre s'était encore fait la malle. Dehors, le ciel presque blanc annonçait des températures polaires. Mais peu importe, le polaire, elle le subissait déjà à l'intérieur ! Cela faisait des semaines que le petit chauffage d'appoint ne marchait plus et que son propriétaire était censé lui changer. Mais Monsieur Ether était si vieux et plein de soucis qu'elle avait renoncé à l'embêter chaque soir lorsqu'elle déposait sur sa table ses repas du lendemain. Deux repas par jour et vingt minutes de causette, c'était bien peu cher payé en échange de sa petite chambre de bonne –minable mais chambre tout de même – qu'il lui laissait sans autre impératif. Ça lui permettait d'économiser et de rêver à un futur radieux où ses pieds pourraient se rebeller à l'envie, où ses rideaux resteraient en place et où le chauffage resterait allumé en permanence. Elle se baladerait et danserait nue dans son appartement, libre et réchauffée !

Réchauffée, pour l'instant, elle ne l'était pas du tout et elle frissonna en se débarrassant des multiples couches qu'elle enfilait pour la nuit : bonnet de laine, pyjama pilou, gros pull et, normalement, chaussettes. Chaussettes qui avaient du se disputer dans la nuit puisque l'une gisait maintenant célibataire contre le pied de lit pendant que l'autre était allée refaire sa vie ailleurs, mais où ? Désormais nue mais sans l'envie de danser, elle fit une toilette de chat et enfila de nouvelles couches de vêtements : collants en laine et par-dessus, des chaussettes noires montantes, jupe en velours, t-shirt, sous-pull, pull.

Mettant en route la cafetière, elle s'assit à son petit bureau et ouvrit son ordinateur. Par habitude, elle vérifia d'abord ses mails : les impôts n'avaient toujours pas répondu à sa réclamation faite en ligne, deux mails de refus pour une demande de stage et un emploi à temps partiel guettaient sa réaction, une pub pour des vêtements qu'elle ne pouvait pas s'offrir la narguait. Rien de nouveau. Elle huma l'odeur de café qui envahissait la petite pièce. Cette simple odeur qui la rendait heureuse en un rien de temps. Gourmande, elle se servit dans sa grande tasse (« ce n'est pas une tasse, c'est un seau ! » se moquait certains), ajouta du sucre et sortit un paquet de petits beurres. Son rituel du matin terminé, elle alluma la radio et fit la vaisselle en souriant et en bougeant les fesses au rythme des chansons. Elle ne put résister à l'envie de danser encore un peu et se prit, un court instant, pour une irrésistible créature dans un club de nuit. Les cheveux défaits, le teint rose, elle se laissa doucement retomber sur sa chaise. En face, elle vit passer son voisin et son joli derrière nu. Mais peu généreux du voyeurisme, il enfila très vite un boxer et passa à la cuisine, là où elle ne pouvait le suivre des yeux. Souriant toujours, elle se connecta sur son espace recherche d'emploi et découvrit le thème de la semaine : votre principale qualité. Oh, facile ! se dit –elle en dépliant l'onglet réponse.

« Je suis une éternelle optimiste, une positive de la vie. Ma chambre n'est pas petite, elle est atypique, avec la vue la plus incroyable sur les toits de la ville. Mon immeuble et celui d'en face ne sont pas presque collés, ils sont amoureux. Mes rideaux ne sont pas mal fixés, ils ont juste peur que je rate le sublime derrière de mon voisin d'en face. Mes pieds ne sont pas difficiles, ils sont juste épris de liberté et s'entrainent pour vivre plus tard en Alaska. Mon chauffage se retient de faire le travail qu'il aime pour soutenir mes pieds dans cette démarche. Mes chaussettes ne sont pas célibataires, elles n'ont juste pas encore trouvé leur âme-chaussette et ne cessent de la chercher. Les impôts n'ont pas oublié de traiter ma demande, ils prennent le temps nécessaire pour bien traiter mon dossier. Je n'ai pas reçu deux lettres de refus, j'ai juste été avertie que quelque part mieux m'attendait. Et j'ai du café ! Et cette réponse n'est pas déplacée, elle vous fera sourire et vous montrera ce que je suis : un sourire et de la joie à toute épreuve. Bien à vous. »

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