Lorsque Françis Ponge "mettait le couvert"

Gabriel Meunier

J'ai pris le parti de faire comme si Francis Ponge avait pu "mettre le couvert"
Le couteau

Un couteau est composé d'une part d'un manche, d'autre part d'une lame.

Le manche peut-être fabriqué en bois, en corne, en métal ou plus récemment en plastique.
Sa longueur est un élément très important, surtout pour un maniement aisé du couteau. Si le manche est plus long que la main qui le saisit, le découpeur sera capable d'exercer une forte pression ou de piquer violemment le mets, ou la victime. Toute exagération de la longueur du manche peut être fatale ; se faire traiter de « vrai manche ! » en dit long !

L'épaisseur est déterminante pour distinguer une vraie lame d'une vulgaire barre, d'un rail voire d'une poutre. Toute lame trop mince devient alors totalement inutile et ne peut que difficilement se reconvertir en rasoir ; toute lame trop épaisse est rejetée par les grands spécialistes des couteaux à savoir les criminels à l'ancienne. Il en va de même de l'extrémité de la lame d'un couteau : trop pointue et le couteau devient percerette ; trop ronde et le couteau devient jouet, au mieux employé le matin pour étaler du beurre.

La jonction de ces deux parties est la virole. L'utilisateur doit tenir le manche dans la main droite, s'il est droitier, dans la main gauche et dans le cas contraire. Une fois cette première étape achevée, il entame, très sérieusement, une série de va et vient à la surface supérieure de l'aliment, tout en pensant à autre chose.

Enfin le couteau peut se mettre dans la poche, surtout si c'est un couteau prévu à cet effet, c'est à dire un couteau pliant. Dans ce cas une virole devient très utile pour bloquer l'ouverture ou la fermeture du couteau pliant.

La lame d'un couteau aurait-elle une âme ? Question sans nul doute à poser aux divers clubs de fines lames.



La cuiller

Saisissez votre cuiller par le manche. Bras tendu, tenez-la verticalement à hauteur des yeux, face bombée tournée de votre côté. Une personne joviale, repue et peut-être même hilare devrait vous apparaître, tête en bas. C'est grave. Vous êtes mûr pour avaler votre potage avec une glace à main.

Car la cuiller permet trois opérations fondamentales. Elle représente d'abord le moyen de s'emparer de la quantité désirée d'un mets liquide chaud, plus ou moins épais, tel que bouillon, potage, soupe, quantité qui est déterminée par la forme et la profondeur de la cuiller que vous avez choisie ou que l'on vous a attribué en tant que convive. Ensuite, la cuiller étant pleine, ou presque, vous la gardez un instant en position suspendue dans le vide ; cette deuxième étape adapte la température du mets liquide aux attentes de de votre palais. Enfin elle permet de transporter - délicatement - soupe, bouillon ou potage, de l'assiette fumante à votre bouche, si possible sans en faire tomber quelques gouttes sur la nappe, votre serviette ou - pire - votre robe ou pantalon.

Comme chacun sait, on ne peut pas déjeuner ou souper avec le dos de la cuiller. Et comme il n'existe pas de très grosses cuiller (curieusement on les qualifie de louches), les affamés sont contraints de faire des allers retours rapides entre assiette et gosier.


La fourchette

Une fourchette n'est pas une simple petite fourche, non. Si c'eut-été le cas, elle aurait été constituée d'un manche en bois, et de deux ou trois grands clous à l'extrémité. Contrairement au couteau, aucun inventeur ne la tailla dans le silex. Ainsi la fourchette est d'abord en métal.
Plus ou moins lourde, plus ou moins longue, d'or ou d'étain, d'acier, d'aluminium ou de plastique, parfaitement lisse ou armoriée, cet ustensile ménager nous est utile sinon indispensable pour piquer, embrocher empaler viandes, poissons et autres nourritures, et tout ceci de la main droite ou de la main gauche.

Mais regardons bien ; parfois la fourchette peut aussi servir à des convives en mal de distraction, à voler une tranche de pain, voir à piquer les fesses de sa voisine. Chose parfaitement impolie, puisque la fourchette, tout comme le fusil, fait l'objet de recommandations, de manuels sinon de traités et bien sûr de diverses écoles spécialisées dans le maniement et le bon usage de ces objets. Au contraire, les petits pois écrasés sur le dos de la fourchette, la pêche fermement embrochée afin de réaliser un lent et méticuleux dépeçage à l'aide d'une pointe de couteau, lui même tenu dans la main droite, ne sont que le B-A BA des préceptes fondamentaux du savoir vivre.

Après chaque utilisation conventionnelle quotidienne ou festive, la fourchette est nettoyée puis rangée (en principe) en divers emplacements tels que tiroirs, coffrets ou ménagères autrefois capitonnées.

Conclusion : en définitive, en ce bas monde, il existe de fines fourchettes, mais aussi de grosses louches.


L'histoire ne dit pas si à la fin du repas Francis Ponge quittait la table tout en prenant le parti de laisser ces choses à leur place.
  • Notre pensée est conceptuelle. Un couteau reste un couteau, qu’il soit noir, bleu ou rouge de sang. Qu’il soit en bois ou en fer. Chacun a une image mentale stéréotypée du couteau qui lui est propre en restant commune. Mais ajoutez-lui, une cheminée et il devient une locomotive. :o))

    · Il y a plus de 3 ans ·
    Photo rv livre

    Hervé Lénervé

Signaler ce texte